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Preetam Seewoochurn: «Pour redonner de l’élan au secteur touristique, des réformes structurelles sont nécessaires»
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Preetam Seewoochurn: «Pour redonner de l’élan au secteur touristique, des réformes structurelles sont nécessaires»

Le secteur touristique mauricien traverse une zone de turbulences. Après des années portées par le «revenge travel» post-Covid, les arrivées touristiques en pleine haute saison sont en net recul en ce début 2025. Alors que les discours sur la nécessité de réforme se répètent depuis des années, la réalité du terrain montre peu de progrès tangibles. Preetam Seewoochurn dresse un état des lieux d’une industrie à la croisée des chemins et explore les pistes pour un renouveau durable du tourisme mauricien.
Depuis le début de l’année, les chiffres du tourisme sont en recul. Est-ce une alerte sérieuse pour le secteur ? Que révèlent ces données ?
La diminution de 12,1 % des visites touristiques en février 2025, après une baisse de 2 % en janvier, ne peut être qualifiée de simple fluctuation saisonnière. Cette baisse en pleine saison touristique reflète un déclin radical et pérenne de l’industrie. Cet équilibre déséquilibré met en évidence la nécessité urgente de diversifier les marchés émetteurs et les produits offerts. Parallèlement, Maurice est confronté à une compétition régionale intense, notamment des Maldives, des Seychelles ou de Zanzibar, qui ajustent rapidement leur proposition face aux nouvelles exigences (durabilité, nomades digitaux, accessibilité aérienne). L’augmentation des tarifs aériens contribue à la détérioration de la situation, limitant l’attrait. La diminution des arrivées a un impact sur l’emploi, les petites et moyennes entreprises locales et les revenus fiscaux. Si cela continue, cela pourrait créer un effet domino sur l’économie. Il est donc crucial de concevoir un modèle plus robuste, inclusif et innovant.
Récoltons-nous les conséquences d’un modèle touristique trop rigide ou trop dépendant de certains marchés ?
Les données récentes indiquent sans ambiguïté que Maurice souffre des contraintes d’un modèle touristique excessivement rigide et trop centré sur des marchés traditionnels comme la France, le Royaume-Uni ou l’Afrique du Sud. Cette dépendance marquée expose le pays à des risques externes : les crises économiques, les tensions géopolitiques ou même les simples changements dans les habitudes de consommation influencent le nombre d’arrivées touristiques. De plus, ce modèle semble ne pas être en phase avec les aspirations contemporaines des voyageurs, qui favorisent un tourisme durable, les expériences authentiques ou des propositions adaptées aux nomades numériques. Dans un environnement global de plus en plus compétitif, caractérisé par une inflation continue et une évolution rapide des pratiques, il est crucial de revoir la stratégie nationale en matière de tourisme. Au lieu de s’accrocher à un modèle qui a porté ses fruits par le passé, Maurice devrait considérer cette phase de repli comme une chance : élargir ses marchés, innover dans son offre et mettre en valeur ses atouts culturels, humains et écologiques afin d’établir un tourisme plus résistant et pérenne.
Le concept de «revenge travel» post-Covid semble s’essouffler. Comment le secteur se réadapte-t-il à cette nouvelle réalité?
En effet, le phénomène de revenge travel, vague de voyages frénétiques après le confinement du Covid-19, semble avoir atteint son pic. Aujourd’hui, le secteur touristique, à Maurice comme ailleurs, doit faire face à une nouvelle réalité, celle d’un tourisme plus mesuré, plus réfléchi, et influencé par des enjeux économiques et environnementaux. On doit passer d’un tourisme de masse à un tourisme de valeur où les professionnels s’efforcent de privilégier un tourisme de qualité plutôt qu’un tourisme en masse. Le but est d’attirer des visiteurs qui vont dépenser davantage, séjourner plus longtemps et sont en quête d’expériences authentiques. Cela offre non seulement une solution pour contrer une diminution des arrivées, mais également pour minimiser les effets environnementaux et sociaux liés au tourisme de masse. La diversification des marchés et des offres doit aussi être considérée. Pour s’adapter à la fin du «revenge travel», l’île Maurice doit miser sur la diversification en attirant de nouveaux marchés comme l’Asie de l’Est, l’Europe de l’Est ou les pays du Golfe. Et s’orienter sur des thématiques tels le tourisme du bien-être, l’écotourisme, le tourisme culinaire, ou aux séjours de travail à distance (digital nomads). Cette approche facilite la gestion des pics de clientèle et permet d’attirer des profils de voyageurs aux demandes variées. Au lieu de tenter de retrouver les chiffres d’avant la crise, il est temps de réinventer le modèle touristique. C’est une chance pour l’île Maurice de développer un tourisme plus résistant, plus pérenne et mieux en phase avec les nouvelles aspirations des touristes.
Comment expliquer que des hôtels de luxe soient aujourd’hui en grande partie animés par des étrangers, pendant que des Mauriciens expérimentés partent à l’étranger ?
Cette situation paradoxale où les hôtels haut de gamme à Maurice sont majoritairement gérés ou dirigés par des étrangers tandis que des Mauriciens chevronnés préfèrent l’expatriation, s’interprète par divers facteurs économiques, structurels et culturels. D’une part, les importantes chaînes hôtelières mondiales établies à Maurice ont tendance à embaucher des cadres étrangers pour les postes de direction, de gestion ou d’animation. Ceci est notamment fait pour respecter certains critères internationaux spécifiques ou pour faire venir des profils diplômés d’écoles prestigieuses ou possédant une expérience dans d’autres lieux touristiques de renom. Cela peut donner l’impression (parfois justifiée) de «préférence étrangère» dans certains établissements de luxe. D’autre part, beaucoup de professionnels mauriciens du tourisme, formés localement et dotés d’une solide expérience, choisissent de partir à l’étranger, notamment vers Dubaï, les Maldives, ou l’Europe. Pourquoi ? Pour de meilleures conditions salariales, des perspectives de carrière plus claires et parfois, un meilleur équilibre entre reconnaissance et responsabilités. En comparaison, à Maurice, certains se plaignent d’un plafonnement des carrières, d’un manque de valorisation ou d’un certain favoritisme dans les promotions internes. Ce phénomène soulève aussi une question de valorisation des talents locaux : malgré la présence d’institutions de formation reconnues (comme l’École hôtelière sir Gaëtan Duval), l’intégration des Mauriciens aux postes clés reste insuffisante dans plusieurs établissements haut de gamme. Cela alimente un sentiment de frustration et peut créer un climat de déséquilibre dans le secteur.
On entend les mêmes discours depuis des années sur les défis du secteur touristique. Mais la situation ne s’améliore pas, au contraire. À quoi attribuez-vous cette absence de réelle transformation ?
En dépit de multiples rapports, séminaires et plans d’action élaborés au fil du temps, l’industrie touristique à Maurice paraît être en proie à une certaine stagnation. Au lieu de connaître une amélioration, la situation semble plutôt se détériorer. Plusieurs facteurs structurels, institutionnels et culturels peuvent expliquer le manque de transformation réelle. Tout d’abord, il existe un déficit de vision stratégique à long terme réellement mise en œuvre. Les stratégies sont fréquemment élaborées sur papier, mais elles rencontrent des difficultés pour être mises en œuvre de manière pratique. Les initiatives pilotes se déroulent sans supervision stricte ni évaluation d’effet, et les modifications de gouvernance ou de ministères entraînent fréquemment une rupture de continuité dans les politiques publiques.
Par la suite, le poids des intérêts déterminés a une importance considérable. L’industrie du tourisme est contrôlée par quelques grandes entreprises, généralement conservatrices dans leurs stratégies et réticentes à changer un modèle qui, historiquement, a rapporté d’importants bénéfices. Ce conservatisme entrave l’innovation, la diversification et l’exploration de modèles alternatifs tels que l’écotourisme ou l’entrepreneuriat local.
Il est également nécessaire de souligner un manque de coordination entre les divers intervenants: secteur public, secteur privé, collectivités locales et citoyens. Il arrive trop fréquemment que les initiatives soient réalisées de façon isolée, sans véritable coordination ni cohérence d’ensemble Cela entraîne des actions éparpillées, voire conflictuelles. En somme, l’absence d’investissement dans la formation continue, l’innovation technologique et le soutien aux petites entreprises touristiques entrave la naissance d’un réseau économique plus varié, plus dynamique et plus inclusif. En définitive, l’insuffisance de mutation pérenne du secteur est davantage attribuable à un manque d’initiatives, de détermination politique et de bravoure économique qu’à une carence en matière de diagnostics. Afin que les discours influencent la réalité, il est nécessaire de dévier des pratiques conventionnelles, de défier les normes dominantes et de recentrer l’homme, l’environnement et l’innovation au centre du modèle touristique mauricien.
La connectivité aérienne reste-t-elle l’un des freins principaux au développement du tourisme mauricien ?
Effectivement, l’un des principaux obstacles à la croissance du tourisme à l’île Maurice demeure la connectivité aérienne. L’attrait de la destination est diminué par le nombre restreint de vols directs, particulièrement en provenance de certains marchés émergents, ainsi que par le prix élevé des billets d’avion. Ceci est particulièrement vrai lorsqu’on la compare à des rivaux mieux connectés tels que les Maldives, Seychelles et d’autres pays. Cette circonstance contraint la diversification des marchés touristiques et nuit au tourisme de masse comme le haut de gamme. Pour relancer la croissance du secteur, il est essentiel d’améliorer la fréquence des liaisons, de négocier de nouveaux accords aériens et de stimuler la concurrence entre compagnies.
Air Mauritius joue-t-elle encore un rôle moteur pour le secteur ou est-elle devenue un maillon faible ?
Air Mauritius demeure un acteur clé dans l’expansion du tourisme à l’île Maurice, en garantissant la liaison avec les marchés internationaux majeurs. Néanmoins, la compagnie nationale se trouve affaiblie par des problèmes internes récurrents et une compétition aérienne de plus en plus intense. La fiabilité du service et l’image de marque sont mises à mal par des problèmes opérationnels récurrents, annulations de vols, retards et tensions parmi le personnel. De plus, diverses entreprises étrangères offrent actuellement des options plus séduisantes en matière de tarifs, de fréquence et de confort, ce qui impose une pression à Air Mauritius. Pour maintenir sa position prépondérante dans l’industrie du tourisme, il est essentiel qu’elle actualise sa flotte, optimise l’expérience de ses clients et consolide ses alliances stratégiques pour se conformer plus efficacement aux exigences des touristes.
La promotion de Maurice à l’international est-elle à la hauteur de nos ambitions ?
L’essor international de Maurice ne répond pas encore aux attentes, malgré des progrès récents. Le pays demeure en déficit de clarté sur plusieurs marchés émergents et d’approches spécifiques pour se démarquer de rivales touristiques telles que les Maldives, les Seychelles, le Sri Lanka et Dubaï. Il arrive souvent que les initiatives de marketing numérique et les campagnes soient éparpillées et dépourvues de cohérence. Pour réaliser ses aspirations, Maurice doit renforcer sa visibilité dans les médias internationaux, se concentrer plus sur l’écotourisme et les nouvelles tendances (tels que le tourisme responsable) et tirer parti de sa diversité culturelle pour séduire des segments de marché plus vastes et variés.
Nos campagnes de communication s’adressentelles aux bons publics, au bon moment, avec les bons messages ?
Les campagnes de communication de Maurice visent généralement des audiences classiques telles que les touristes européens et les vacances en famille. Néanmoins, elles ont du mal à s’ajuster aux nouvelles demandes des milléniaux et des nomades numériques, dont l’influence ne cesse de croître. Les messages demeurent parfois standards et manquent d’adaptation individuelle. Pour optimiser leur efficacité, les campagnes doivent cibler les segments appropriés, valoriser des expériences uniques et tirer parti des possibilités offertes par les plateformes numériques pour atteindre des publics variés au moment le plus propice.
Le «storytelling» autour de la destination Maurice est-il encore pertinent face à des concurrents comme les Maldives, les Seychelles ou même Zanzibar?
L’histoire de Maurice continue d’être pertinente, mais elle nécessite une adaptation pour concurrencer les Maldives, les Seychelles et Zanzibar qui gagnent en popularité. Alors que ces lieux privilégient des expériences uniques et soutenables, Maurice doit se démarquer en mettant l’accent sur sa culture riche, son patrimoine créole et ses propositions de tourisme éthique. Il convient de souligner davantage le récit de Maurice en tant que destination unique au croisement des cultures, en mettant l’accent sur des expériences authentiques telles que le tourisme communautaire ou l’écotourisme. Ceci dans le but d’attirer des touristes recherchant l’authenticité et de nouvelles découvertes.
Quel modèle voulons-nous dans les dix prochaines années ?
Maurice doit viser un modèle de tourisme durable, diversifié et inclusif. L’accent doit être mis sur le tourisme responsable, en mettant en avant ses richesses naturelles tout en préservant l’environnement. Il est essentiel de diversifier l’offre en développant des segments comme l’écotourisme, le bien-être, le tourisme culturel et celui des digital nomads. L’île doit aussi renforcer son offre gastronomique, artisanale et patrimoniale, en valorisant l’authenticité et les traditions locales. De plus, l’île devrait investir dans des infrastructures intelligentes et une meilleure connectivité aérienne pour attirer des marchés émergents. Enfin, un tourisme qui profite à toutes les couches de la société mauricienne, et en impliquant les communautés locales dans le développement du secteur.
Le tourisme durable et culturel est-il un vrai objectif ou juste un concept marketing?
À Maurice, le tourisme durable et culturel ne se limite pas à une simple stratégie marketing ; il a le potentiel de devenir un véritable but si des mesures tangibles sont mises en œuvre. Néanmoins, son efficacité repose sur l’inclusion de démarches éthiques dans le développement touristique: sauvegarde de l’environnement, appui aux communautés locales, promotion des cultures et de l’artisanat. En respectant ces principes, le tourisme durable et culturel peut représenter une option pérenne en réponse au tourisme de masse. Sans une véritable implication et régulation, cela pourrait n’être qu’une simple campagne marketing sans effet durable sur l’économie et la société de Maurice.
Quelles réformes structurelles faudrait-il engager pour redonner de l’élan au secteur, tout en le rendant plus équitable, plus inclusif et plus résilient?
Pour redonner de l’élan au secteur touristique tout en le rendant plus équitable, inclusif et résilient, plusieurs réformes structurelles sont nécessaires. Il y a la diversification des marchés et des produits en s’éloignant de la dépendance aux marchés traditionnels, en attirant des segments émergents (écotourisme, tourisme culturel, digital nomads). Cela passe aussi par la diversification des offres en fonction des nouvelles attentes des voyageurs (séjours durables, bienêtre, gastronomie locale). Nous devons aussi renforcer la formation et l’inclusion et investir dans la formation continue des Mauriciens pour leur permettre de prendre des positions clés dans le secteur, tout en favorisant l’implication des communautés locales dans l’offre touristique. Nous devons aussi avoir un développement d’infrastructures durables en modernisant les infrastructures touristiques et en intégrant des critères environnementaux et sociétaux pour assurer une croissance équilibrée. Il faut aussi une amélioration de la gouvernance en créant une coordination efficace entre les acteurs publics et privés, afin de mener des politiques cohérentes et renforcer la compétitivité du secteur face aux défis mondiaux.
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