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Pension : pourquoi l’exemple doit venir des élus

25 juin 2025, 08:17

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Il faut du courage pour dire la vérité. Navin Ramgoolam l’a fait. «L’express» a salué le fait que du haut de la tribune parlementaire, le Premier ministre et ministre des Finances a assumé la réforme la plus impopulaire, mais peut-être la plus nécessaire de cette législature : repousser l’âge de la pension universelle de 60 à 65 ans. Une décision budgétairement logique, économiquement défendable, démographiquement inévitable. Mais socialement ? Politiquement ? C’est un électrochoc. Car on ne réforme pas le peuple… sans réformer l’élite.

Le gouvernement peut-il réellement convaincre les Mauriciens de faire des sacrifices si les élus eux-mêmes ne donnent pas l’exemple ? C’est là que le bât blesse. Car dans le même pays où l’on demande aux retraités de patienter cinq années de plus, un ministre ayant fait deux mandats – et à peine la quarantaine – perçoit une pension à vie d’environ Rs 50 000 par mois. Une rente garantie, pour une contribution ridicule. Le cas de «Mr. X», ce député devenu ministre, est édifiant : pour une cotisation d’à peine Rs 2 millions sur dix ans, il encaisse plus de Rs 96 millions sur trente ans. À ce rythme, ce n’est pas une réforme qu’il faut. C’est une révolution morale.

La rue a compris. Samedi, à Rose-Hill comme à Port-Louis, deux marches citoyennes ont porté un même message : la réforme ne peut être unilatérale. Ce n’est pas seulement la pension qu’on repousse. C’est une promesse qu’on trahit. Celle d’un changement respectueux, empathique, participatif. Celle d’un gouvernement élu sur un score historique – 60-0 – et qui semble désormais décidé à gouverner contre ceux qui l’ont porté. L’austérité ne s’impose pas. Elle se partage.

Partout ailleurs, les réformes des retraites des élus ont précédé ou accompagné celles des citoyens. En France, la Cour des comptes a mis fin au régime autonome des députés. En Italie, la «pensione d’oro» (pension dorée) a été rabotée. En Portugal, en Inde, les avantages ont été plafonnés. Et dans des pays comme les Pays-Bas ou la Norvège, il n’a jamais existé de régimes spéciaux pour les parlementaires. Parce qu’un élu n’est pas un roi. Parce qu’on ne peut demander au peuple d’attendre, pendant que les puissants encaissent.

Alors, pourquoi Maurice devraitelle faire exception ? Pourquoi continuer à entretenir des retraites de luxe, des privilèges à vie, des allocations de bureau, de chauffeur, de sécurité, pour des élus qui ont quitté leurs fonctions depuis vingt ans ? Ce double standard est non seulement indécent, il est explosif. Car il alimente la colère, la défiance, la fracture.

L’expert Bernard Yen l’a bien expliqué: le système BRP est devenu insoutenable et l’espérance de vie augmente, la natalité diminue, et bientôt il n’y aura plus qu’un travailleur pour financer un retraité. On est d’accord : si on ne fait rien, la dette publique dépassera Rs 700 milliards, et il faudra augmenter la TVA à 30 % et l’impôt sur le revenu à 60 %. Mais ce discours, aussi rationnel soit-il, ne passe pas quand il ne s’applique qu’à ceux qui n’ont ni chauffeur, ni siège doré, ni traitement à vie.

La justice symbolique, c’est là que tout se joue. Elle ne coûte rien, mais elle vaut tout. C’est elle qui crée la confiance, l’exemplarité, l’adhésion. C’est elle qui fait qu’un peuple accepte un effort s’il voit que ceux qui décident partagent le fardeau. Le Premier ministre a su montrer une forme de courage en assumant une réforme risquée (contre ses propres ministres dès fois). Il doit désormais aller plus loin : réformer aussi le régime de pension des parlementaires – ce qui va le rendre, cette fois-ci, impopulaire aux yeux de ceux à qui il a donné un ticket aux dernières élections. Comme pour le grand public, il pourra plaider qu’il ne savait pas l’état désastreux des finances publiques.

Il faut aligner la retraite des élus sur le régime général, allonger leur durée de contribution, interdire le cumul des avantages, publier chaque année un rapport sur les pensions versées aux anciens élus. Il faut plafonner les rentes, supprimer les traitements à vie après deux mandats, et mettre fin aux privilèges de confort post-mandat (voitures, bureaux, gardes). Ce n’est pas de la mesquinerie. C’est de la décence républicaine.

La Fondation Jean-Jaurès, la Banque mondiale, l’OCDE, Transparency International : toutes convergent vers cette conclusion. On ne peut réformer sans justice. On ne peut exiger des sacrifices sans exemplarité. Et on ne peut appeler à l’effort collectif si l’élite politique s’en exonère.

Ce gouvernement a une opportunité unique. Celle d’inscrire son nom non pas dans l’austérité subie, mais dans la refondation morale de l’État. S’il ose, s’il écoute la rue, s’il réforme avec elle – et non contre elle – alors cette réforme, douloureuse mais lucide, pourra marquer le début d’un véritable contrat social. Sinon, elle restera ce qu’elle semble être aujourd’hui : une fracture froide, une injustice chaude, et un suicide politique différé.

À l’heure du choix, une vérité s’impose : on ne réforme pas durablement un pays sans réformer d’abord les privilèges de ses élus. Sinon, les chiffres ne suffisent plus. Il reste la rue.

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