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MIC : quand la finance d’État vacille...
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MIC : quand la finance d’État vacille...
La double arrestation – distincte dans sa forme mais simultanée dans son retentissement – de l’ancien gouverneur de la Banque de Maurice, Harvesh Seegolam, et de l’ancien ministre des Finances, Renganaden Padayachy, fait le bonheur des gazettes. Mais derrière l’effet de sidération médiatique, ce sont surtout des signaux d’alerte rouge, qui s’accumulent sur l’image et la stabilité du centre financier mauricien.
Un ancien ministre en détention, un ex-gouverneur entendu longuement par les enquêteurs, un ex-Chief Executive Officer (CEO) de fonds publics, désigné contre l’avis du Board – si ces faits sont avérés – laissent penser que l’affaire dépasse le cadre d’un simple dérapage personnel. Il s’agirait plutôt d’un mode de fonctionnement institutionnel, d’un système verrouillé, qui aurait permis des décisions financières majeures sans contrôle effectif.
Au cœur de l’instruction : ce que l’on désigne désormais comme le «deal Apavou». Il porterait sur l’acquisition de 70 % des actions d’un hôtel pour un montant de Rs 2,4 milliards via la Mauritius Investment Corporation (MIC). Le conseil d’administration de l’époque aurait émis des réserves sur l’évaluation de cette transaction. Le décaissement aurait néanmoins eu lieu. La MIC, bras financier de l’État post-Covid-19, disposerait d’un portefeuille initial de Rs 82 milliards – un war chest qui, selon les allégations, aurait été piloté en marge des règles habituelles de gouvernance.
Selon plusieurs versions relayées par des sources proches de l’enquête, l’ancien CEO de la MIC, Jitendra Bissessur, aurait été nommé en dépit de critiques internes sur son profil. Une nomination qui serait intervenue sans appel de candidatures ni procédure transparente. La société Verde Frontier, peu connue avant cette affaire, aurait perçu des commissions importantes en tant que transaction advisor, sans expérience institutionnelle confirmée – ce qui ne plaît guère aux Big Four.
Toujours selon les éléments mis à disposition des enquêteurs – et dont les détails restent sous scellés – les flux liés à ce dossier pourraient s’élever entre Rs 300 et Rs 400 millions, et impliqueraient des pressions exercées sur des responsables de groupes immobiliers. Rien n’est confirmé à ce stade par les autorités judiciaires mais l’enquête se poursuit sur la base de témoignages convergents et d’éléments matériels saisis.
Harvesh Seegolam, après une longue période de réserve, aurait livré une déclaration jugée capitale dans l’enquête. Il aurait évoqué des pressions répétées venues du ministre des Finances dans la gestion de la MIC. Des propos qui, s’ils sont retenus, viendraient corroborer partiellement d’autres témoignages recueillis par la FCC. Ce revirement pourrait modifier le cours de l’enquête et placer les décisions ministérielles passées au centre d’une instruction pénale délicate.
Mais il serait hasardeux, à ce stade, de résumer cette affaire à une simple dérive individuelle. Ce que cette enquête met en lumière – indépendamment de ses conclusions judiciaires à venir – c’est une culture de la centralisation du pouvoir, une opacité dans les circuits de financement public et l’absence de garde-fous institutionnels.
La MIC, censée relancer l’économie et protéger l’emploi après la pandémie du Covid-19, aurait été perçue – dans certains milieux – comme un outil de redistribution politique. Absence de liste exhaustive des bénéficiaires, manque de critères publics pour l’allocation des fonds, absence de contrôle parlementaire : les failles systémiques sont nombreuses.
La symbolique est aussi marquante. Alors que les familles mauriciennes font face à une inflation durable, à des prix immobiliers inaccessibles et à une érosion du pouvoir d’achat, certaines révélations évoquent – au conditionnel – des tentatives d’acquisition en cash de propriétés de luxe à Moka par d’anciens hauts responsables de l’État. Sans explication connue à ce jour sur l’origine des fonds.
En parallèle, d’autres structures de financement public, comme l’Industrial Finance Corporation of Mauritius, sont désormais examinées de près. Avec Rs 4,29 milliards distribués à 298 entreprises – dont certaines proches de l’ancien pouvoir – l’ampleur du champ d’investigation de la FCC pourrait rapidement s’élargir.
Le silence du Mouvement socialiste militant et de ses alliés – Obeegadoo, Ganoo, Collendavelloo – demeure pour l’instant relatif. Est-ce une stratégie d’attente ? Une prise de distance tactique ? Ou le signe d’un isolement politique de l’ex-ministre ?
Quoi qu’il en soit, cette affaire constitue un test de crédibilité pour nos institutions. Elle interroge la solidité de notre État de droit, la réactivité de notre justice et la résilience de notre démocratie face aux soupçons de détournement d’argent public. Si la justice va au bout de son travail – sereinement, méthodiquement, sans interférences – ce dossier pourrait devenir un tournant. Sinon, il ne restera qu’une nouvelle affaire classée, au fond d’un tiroir, dans un pays habitué aux scandales sans fin.
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