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Maurice-Inde : entre diplomatie stratégique et enjeux géopolitiques

12 mars 2025, 22:00

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Maurice-Inde : entre diplomatie stratégique et enjeux géopolitiques

Au-delà de la visite du Premier ministre indien, Narendra Modi, à Maurice depuis hier pour assister aux célébrations du 57ᵉ anniversaire de l’Indépendance, il faut voir dans son déplacement de 36 heures une volonté de comprendre et de resituer les contours de la nouvelle diplomatie mauricienne avec l’installation aux affaires d’un nouveau Premier ministre, Navin Ramgoolam, issu de l’Alliance du changement, en novembre dernier.

Navin Ramgoolam n’est sans doute pas dupe. Il sait que la démarche de Narendra Modi de soutenir le Chagos Deal auprès de la nouvelle administration Trump lors de sa récente visite aux États-Unis ne relève pas uniquement d’un geste d’amitié de Mother India. Or, tous les spécialistes savent qu’elle s’insère dans une stratégie beaucoup plus large. De sa situation géographique dans l’océan Indien, Maurice, quel que soit le gouvernement en place, aura à retourner l’ascenseur, soit plier aux exigences indiennes en facilitant sa présence à Agaléga et au-delà.

C’est d’ailleurs pourquoi il ne faut pas s’attendre à une réorientation, voire à un recadrage de l’axe indomauricien dans l’océan Indien. «Navin Ramgoolam ne fera rien pour froisser l’Inde. He won’t do anything to unruffle the feathers of India», nous confie un de ses proches, très informé de l’influence indienne dans la région.

Du coup, toute la question, portée par l’opposition d’alors, aujourd’hui aux commandes du pays, quant à la pertinence des investissements massifs de l’Inde à Agaléga – si ce n’est pour une utilisation militaire des installations portuaires et aéroportuaires – ne serait à l’ordre du jour des discussions entre les deux leaders. «Ce sera un dossier off-table», insistet-on dans l’entourage du Premier ministre.

Tout comme on voit mal le Premier ministre, à la faveur de la visite de Narendra Modi, rendre publics les détails de l’accord de défense entre les deux pays sur Agaléga. Même si certains dirigeants de l’actuel gouvernement ont pu exprimer le souhait de le voir dévoiler dans le passé. Et qui n’auraient jamais cru à la thèse véhiculée par le précédent gouvernement, développée et répétée par Pravind Jugnauth au Parlement, à l’effet que les facilités et autres équipements installés à Agaléga serviraient à la surveillance de la vaste zone exclusive de 2,3 millions de kilomètres carrés ou encore à lutter contre la piraterie, le terrorisme et le trafic illicite. Des explications qui contrastent avec la presse indienne qui a multiplié entre-temps des enquêtes pour établir qu’Agaléga pourrait abriter une base militaire.

Au-delà du partenariat économique et commercial avec Maurice, avec des échanges commerciaux nettement favorables à l’Inde, largement compensés toutefois par ses investissements conjugués en milliards de roupies dans des domaines aussi divers que les infrastructures, l’éducation, la formation, le métro, la santé et les TIC, l’Inde souhaite s’affirmer comme une puissance régionale dans l’océan Indien, avec une stratégie combinant influence économique, soutien diplomatique et présence militaire.

Son engagement envers Maurice demeure un levier important dans cette dynamique régionale, tant sur le contentieux du Chagos en phase de résolution que sur la sécurisation des voies maritimes. Dans ce jeu d’équilibre entre grandes puissances, Maurice doit certes continuer à tirer parti de cette relation tout en préservant son Indépendance et sa souveraineté dans une région stratégique en pleine mutation.

Aujourd’hui, l’Inde, sous l’impulsion de Narendra Modi depuis une dizaine d’années, cherche à s’imposer comme «le gendarme de l’Océan Indien», étendant son influence non seulement à Maurice mais aussi aux Seychelles et d’autres pays de la région comme l’Australie et ceux d’Afrique de l’Est. L’expansionnisme chinois dans l’océan Indien inquiète New Delhi et Washington, qui y voient une tentative de remettre en question l’ordre régional. La Chine a multiplié les investissements dans les infrastructures portuaires de plusieurs pays africains et insulaires, notamment à travers son projet de Belt and Road Initiative (BRI).

La Chine a ainsi investi dans des infrastructures portuaires au Pakistan, au Sri Lanka, au Bangladesh, en Birmanie, en Tanzanie et au Kenya, entre autres, renforçant ainsi sa présence maritime. Une stratégie chinoise perçue comme une tentative d’encerclement. Et Maurice, bien que bénéficiant des retombées financières d’une relation économique avec la Chine, doit jongler entre ces deux influences.

Alliés objectifs

Face à cette montée en puissance de la Chine, l’Inde et les États-Unis sont devenus des alliés objectifs pour renforcer leur coopération militaire et diplomatique dans l’Indo-Pacifique. «L’Inde cherche à consolider ses alliances dans la région, notamment avec Maurice, pour contenir l’influence chinoise et garantir sa propre sécurité maritime. Le nouveau gouvernement y voit déjà ce partenariat entre ces deux grandes puissances partageant le même objectif dans la région et ne fera rien pour remettre en cause leurs intérêts géopolitiques dans cette partie du monde», analyse un observateur politique.

Il en va ainsi pour des craintes qu’auraient pu entretenir les autorités politiques indiennes quant à une éventuelle démarche visant à retirer la National Coast Guard (NCG), opérant sous la force policière mauricienne, de la tutelle indienne, comme cela s’est produit aux Maldives. Ce qui aurait éliminé une pièce maîtresse du dispositif de sécurité maritime indien, ouvrant le champ libre aux forces chinoises d’asseoir leur influence dans la région. Or, il ne sera pas ainsi. La coopération navale avec l’Inde date de plus de 50 ans, suivant l’acquisition par la force policière mauricienne du MNS Amar, le premier patrouilleur, en 1974. «Ce n’est pas après 50 ans qu’on mettra fin à cette collaboration ni que l’on nommera, par exemple, un Mauricien comme le National Security Advisor même s’il y a eu dans le passé des réflexions faites à ce sujet», explique une source proche du bureau du Premier ministre.

En revanche, le lourd héritage économique légué par l’ancien régime, où Maurice a raté in extremis le downgrading par l’agence de notation Moody’s, pourrait amener le Premier ministre à réclamer un ballon d’oxygène financier pour permettre notamment à Metro Express de respirer financièrement. C’est seulement un assouplissement des conditions de la ligne de crédits (Rs 16 milliards), accordée par la Grande péninsule à l’ex-gouvernement, qui permettra à la société d’assurer le servicing de son prêt.

Or, un montant de Rs 1,2 milliard sera nécessaire pour rembourser à la fois le capital ainsi que les intérêts accumulés à partir de l’année financière 2026-27. Narendra Modi fera-t-il preuve de générosité face à la demande de Navin Ramgoolam, si demande il y a ? La réponse viendra au terme de sa visite. Première puissance démographique avec 1,4 milliard d’habitants, l’Inde pourrait dépasser le Japon et l’Allemagne pour devenir la troisième puissance économique mondiale en 2030, derrière les ÉtatsUnis et la Chine. Aujourd’hui, sous le leadership de Modi qui tutoie les grands de ce monde, elle entend bien imposer son agenda, à l’échelle régionale et internationale.