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Aliko Dangote
L’homme qui veut «Make Africa Great Again»
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Aliko Dangote
L’homme qui veut «Make Africa Great Again»

■ Aliko Dangote, le magnat nigérian des affaires, figure emblématique du capitalisme africain, l’homme le plus riche d’Afrique.
Très attendu par les participants, le magnat nigé- rian des affaires, figure emblématique du capitalisme africain, l’homme le plus riche d’Afrique avec une fortune de USD 23 milliards de dollars, Aliko Dangote, a livré vendredi une adresse puissante lors de la session dédiée au thème «Can Africa rise in a fractured world?» dans le cadre de la 32e assemblée générale d’Afreximbank à Abuja, au Nigéria. Intitulée «Making Africa Great Again», son intervention s’est rapidement imposée comme un puissant appel à la souveraineté économique du continent.
Fidèle à son style direct, Dangote a bousculé l’assistance en défendant une vision profondément africaine du développement. À ses yeux, le continent a trop longtemps importé la pauvreté et exporté des emplois. Il a appelé les leaders africains à rompre avec cette logique désastreuse qui fait de l’Afrique un marché captif pour les surplus étrangers. Pour lui, le temps est venu d’adopter une posture résolument tournée vers l’intérieur, à l’image du mot d’ordre «America First» transposé en «Africa First». Le continent, a-t-il martelé, doit cesser de subir les règles du jeu fixées ailleurs.
Dans une démonstration empreinte de pragmatisme, le propriétaire du groupe Dangote, présent dans une quinzaine de pays en Afrique, a évoqué l’expérience du Nigeria dans le secteur du ciment. Ce pays, qui importait massivement ce matériau de base, a su renverser la tendance grâce à une politique industrielle audacieuse lancée sous l’ex-président, Olusegun Obasanjo.
Le principe était simple : seuls les investisseurs s’engageant à construire des usines pouvaient obtenir des licences d’importation. Cette stratégie de substitution des importations, appuyée par une vision cohérente de l’intégration industrielle, a permis au Nigeria de devenir le premier producteur de ciment d’Afrique, avec plus de 60 millions de tonnes produites localement. Une réussite qui illustre, selon Aliko Dangote, ce qu’il est possible de réaliser lorsqu’un État met en place les bonnes incitations et accompagne ses industriels.
Le fondateur du groupe Dangote a toutefois insisté sur deux contraintes majeures qui freinent l’essor industriel du continent. Le premier est l’instabilité énergétique, véritable cauchemar des usines africaines qui peinent à fonctionner de manière continue. Le second est l’inconstance dans les politiques publiques. Les investisseurs, a-t-il rappelé, ont besoin de visibilité à long terme, de cohérence réglementaire et non de revirements au gré des alternances ou des crises conjoncturelles.
S’adressant directement aux chefs d’État et de gouvernement, le milliardaire africain a lancé un appel à protéger les industries naissantes contre le dumping étranger. Selon lui, les pratiques de certaines puissances économiques inondent les marchés africains avec des produits vendus à perte, tuant dans l’œuf toute tentative de production locale. Ce fléau, a-t-il dit, ne peut être combattu que par une politique tarifaire ferme, couplée à une stratégie industrielle continentale. L’ouverture désordonnée n’est pas synonyme de liberté, mais d’asphyxie économique.
L’industriel a ensuite élargi son propos à la géopolitique des matières premières. Il a dénoncé le modèle dans lequel l’Afrique exporte ses ressources brutes pour les voir transformées ailleurs, puis réimportées à prix fort. C’est, selon lui, une absurdité qui perpétue la dépendance et freine la montée en gamme des économies africaines. Il a plaidé en faveur de la transformation locale des matières premières, condition essentielle à la création de valeur et d’emplois. Le message est clair: il faut mettre fin au cycle extraction-exportation pour bâtir une économie continentale intégrée, tournée vers l’innovation et la production.
Au cœur de sa vision, Aliko Dangote place l’importance de la finance africaine. Il a salué le rôle central joué par des institutions telles qu’Afreximbank, qu’il considère comme un exemple à suivre. Pour lui, le continent a besoin de dix banques de développement puissantes, capables de financer des projets à long terme dans l’industrie, l’agriculture et les infrastructures. Cette indépendance financière est indispensable pour éviter de rester à la merci des bailleurs extérieurs.
Abordant la question délicate de la corruption, le tycoon nigérian adopte une posture lucide. S’il reconnaît que ce mal n’est pas propre à l’Afrique, mais il déplore en même temps que sur le continent, les fonds détournés prennent souvent le chemin de l’étranger. Ailleurs, a-t-il fait remarquer, les ressources issues de la corruption finissent par être réinvesties dans l’économie locale, avec un effet multiplicateur sur la croissance. Il a donc invité, non sans provocation les acteurs économiques à réinjecter leurs capitaux dans le tissu productif africain, plutôt que de les dissimuler dans les paradis fiscaux.
La portée de son discours ne s’est pas limitée aux constats. Il a mis en avant plusieurs projets phares en cours de réalisation. Parmi eux, le projet du méga-raffinerie de Lekki, située au sud-est de Lagos, qui sera appelé à traiter 650 000 barils de pétrole par jour, et qui permettra de réduire significativement les importations de carburant. Idem pour le complexe de production de fertilisants qui, une fois pleinement opéra- tionnel, deviendra le plus grand du monde, devant celui du Qatar. Des investissements, estimés à plusieurs dizaines de milliards de dollars, sont autant de piliers d’une souveraineté économique en construction.
Mais pour Aliko Dangote, ces projets ne sont pas une fin en soi. Ils s’inscrivent dans une vision plus large : celle d’une Afrique forte, dotée d’une agriculture performante, d’un réseau énergétique fiable, de chaînes de valeur maîtrisées et d’une industrie résiliente. Il a appelé les entrepreneurs africains à prendre le relais, à croire en leurs marchés, à cesser de tout attendre de l’extérieur. Il les encourage à adopter une mentalité de bâtisseurs, à investir, à échouer parfois, mais à recommencer.
À travers son intervention, l’industriel africain a voulu démontrer que «Making Africa Great Again» n’est pas un slogan vide, mais une stratégie fondée sur l’audace, la cohérence et l’investissement de long terme. Son parcours personnel, ses réalisations industrielles, son influence sur la politique économique nigériane font de lui une figure écoutée. Il incarne une Afrique qui refuse le rôle de victime et qui s’impose comme actrice de sa propre histoire.
Son message final a résonné comme une interpellation collective : «Move beyond dialogue to decisive implementation.» Car le temps des discours est révolu. Ce que réclame l’Afrique d’aujourd’hui, c’est l’action.
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