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Le dilemme des enseignants : collège privé ou d’État

17 mai 2025, 19:00

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Le dilemme des enseignants : collège privé ou d’État

Alors que certains se précipitent sur les applications dès que l’État ouvre de nouveaux postes dans ses collèges, d’autres choisissent de rester dans un collège privé subventionné. Enseigner dans le privé ou le public : quel est le meilleur choix ? Trois enseignants livrent leur expérience.

Dainshakti Jahajeeah, enseignant dans une SSS : «Tout dépend de la personne qui dirige l’école»

«Dans certains collèges privés, quand et si les responsables utilisent bien l’argent reçu du gouvernement, les classes et les équipements sont parfois meilleurs que dans les écoles publiques. D’après ce que j’ai vu en travaillant dans des écoles privées et publiques, les enseignants des collèges d’État ont plus de liberté pour choisir comment enseigner et les recteurs leur font confiance. Par contre, dans certaines écoles privées, les conditions sont très mauvaises. Les enseignants travaillent sous pression et sous étroite surveillance. C’est pourquoi beaucoup d’enseignants préfèrent quitter le privé pour le public, où ils se sentent plus respectés et en confiance.

D’après mon expérience, les enseignants ont plus de soutien et de meilleures conditions de travail dans les écoles publiques. Par exemple, dans certaines écoles privées, on demande aux enseignants d’acheter eux-mêmes leurs marqueurs ou produits de nettoyage. Ils n’ont pas le droit d’emprunter des livres à la bibliothèque ; et on les accuse parfois si les élèves ont de mauvais résultats. Dans certains cas graves, des enseignants sont maltraités ou harcelés, leurs droits étant ignorés. À l’inverse, dans les écoles publiques, les collègues et les recteurs leur apportent généralement un meilleur soutien. Leurs droits sont respectés et ils peuvent même avoir des heures de congé chaque semaine, ce qui est très rare dans les écoles privées. Personnellement, je préfère travailler dans une école publique où mes compétences sont reconnues et où les conditions de travail sont meilleures. Mais on ne peut pas généraliser. Il y a aussi des écoles privées qui respectent bien leurs enseignants et leur assurent parfois des conditions de travail supérieures à celles des écoles publiques. Au final, tout dépend de la personne qui dirige l’école.»

Pradeepshika Sanmukhiya, enseignante dans un collège privé : «Pression écrasante et besoins souvent ignorés»

«L’enseignement dans les écoles privées représente bien souvent une réalité douloureuse pour de nombreux enseignants. Le soutien est un luxe rare et le traitement réservé aux enseignants parfois profondément dégradant. Les conditions de travail sont loin d’être idéales, les enseignants évoluant dans un environnement hostile, bien éloigné du respect et de la stabilité dont jouissent leurs homologues des établissements publics. Si certaines écoles privées offrent un certain soutien, dans la majorité des cas, le quotidien est marqué par une direction toxique, une pression écrasante et un cruel manque de ressources de base. Les enseignants y sont traités comme remplaçables, leurs besoins ignorés, et leurs efforts peu ou pas reconnus. Cette disparité est criante, et l’impact émotionnel est bien réel.

Les expériences des enseignants, qu’ils soient dans le privé ou le public, dépendent souvent de la direction et du leadership en place. Par exemple, je me considère chanceuse d’avoir une cheffe de département qui me soutient, me valorise et m’encourage. Mais certains de mes collègues se sentent étouffés par un traitement irrespectueux de leur chef de département. Par ailleurs, les enseignants du privé sont souvent sollicités pendant les vacances scolaires pour corriger des copies, assister à des réunions ou effectuer d’autres tâches, tandis que les enseignants du public profitent de leurs congés bien mérités. Par exemple, durant les vacances du troisième trimestre, nombre d’enseignants du privé continuent à travailler, parfois jusqu’à la deuxième semaine des congés.

Par ailleurs, des opportunités comme la correction des examens nationaux (NCE) ne sont pas accessibles à tous de manière équitable. Certaines écoles privées imposent à leurs enseignants d’utiliser leurs congés annuels pour ces activités – des congés déjà difficiles à obtenir. Même prendre un jour de congé devient un véritable parcours du combattant. Les enseignants doivent justifier leur vie personnelle ou fournir des motifs dits «acceptables», pour finalement essuyer un refus. Le stress et l’humiliation engendrés sont considérables. Dans certaines écoles, les droits les plus élémentaires des employés, comme les congés payés, ne sont pas réellement respectés. Des recteurs ou managers ne font même pas preuve de courtoisie minimale, créant ainsi un environnement toxique et démoralisant.

Tandis que les écoles publiques fournissent généralement les matériels pédagogiques de base – marqueurs pour tableau blanc, cahiers de notation, copies de préparation – les enseignants du privé doivent souvent les acheter à leurs propres frais. Dans certaines écoles, le confort de base fait souvent défaut : chaises inconfortables, bureaux délabrés ainsi que salles des profs bruyantes et exiguës. En raison du manque d’infrastructures telles qu’ordinateurs à disposition du personnel, de nombreux enseignants doivent effectuer la majorité de leur planification, correction et préparation d’examens à la maison. Cela alourdit encore leur charge de travail et empiète sur leur vie personnelle.

Cela dit, il est important de souligner que toutes les écoles privées ne fonctionnent pas de cette manière. Il existe des établissements où les enseignants sont respectés, soutenus et traités équitablement. Une bonne gestion fait toute la différence. Les enseignants se sentent valorisés, écoutés, et confiants dans leur rôle. Mais tant que le traitement équitable ne deviendra pas la norme plutôt que l’exception, les défis auxquels sont confrontés les enseignants du privé continueront de peser lourdement sur leur bien-être et leur estime professionnelle.»

La transition

Nina (nom fictif) a enseigné pendant neuf ans dans un collège privé de filles. Elle a ensuite rejoint une école publique. Elle partage que, dans les collèges d’état, il y a plus de facilités – laboratoires, salles de travaux pratiques pour l’économie domestique, l’informatique, etc., gymnase et terrain de sport. Dans le collège privé où elle travaillait, ce n’était pas le cas. Elle trouve que, dans les collèges d’état, il y a plus d’activités, car il y a davantage de sponsors. Elle aurait souhaité que les collèges privés puissent aussi en bénéficier. «Vu que les écoles privées organisent moins d’activités à cause du manque de moyens, les enfants ne peuvent pas se défouler. Ils deviennent frustrés et se comportent mal.»

Les écoles privées ont, dit-elle, plus de problèmes de discipline, car la direction ne veut pas perdre ses élèves. Par conséquent, ces derniers se permettent tout et les profs sont livrés à eux-mêmes face à l’indiscipline. Elle estime que si tous les enseignants s’unissent et mettent la main à la pâte, la discipline pourrait être mieux encadrée. Par ailleurs, sur le plan affectif, elle affirme que dans un collège privé, les enseignants s’attachent davantage aux élèves et sont plus enclins à les aider, car ils passent plus de temps ensemble. Dans un collège d’état, les transferts fréquents rendent le suivi difficile.

Concernant le bien-être des enseignants, elle dénonce le fait que, dans les écoles privées, lorsqu’un enseignant parle de ses problèmes, il peut être harcelé par la direction. En revanche, dans les collèges d’état, les enseignants se battent pour leurs droits. Dans les écoles privées, si un professeur prend un congé maladie ou pour raisons personnelles, à son retour, la direction fera en sorte de lui attribuer plus de classes à remplacer. Il est aussi difficile d’obtenir un long congé. «Tout cela crée une frustration parmi les enseignants», conclut-elle.

Spécificités

En somme, le choix d’enseigner dans une école privée ou publique à Maurice dépend de nombreux facteurs, notamment de la direction de l’établissement, de la gestion des ressources, du respect des droits des enseignants et des conditions de travail au quotidien. Les témoignages recueillis révèlent une réalité complexe : si certaines écoles privées offrent un environnement sain et respectueux, beaucoup imposent une pression constante et un manque de reconnaissance, contrastant avec les avantages relatifs offerts par les écoles publiques, notamment en termes de soutien, de liberté pédagogique et de respect des droits. Cependant, on ne peut pas généraliser. Chaque école a ses spécificités et le bien-être des enseignants dépend largement de la culture interne et du leadership en place. Pour un avenir plus équitable, il est essentiel que toutes les écoles – publiques comme privées – placent le respect et le bien-être des enseignants au cœur de leur fonctionnement.

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