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Actuellement à Maurice

Jean Marie Le Clézio: ouvrons grand les livres, fermons les chapitres de la violence

25 mars 2024, 21:30

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Jean Marie Le Clézio: ouvrons grand les livres, fermons les chapitres de la violence

Un plaidoyer traverse les interventions du prix Nobel de littérature 2008, Jean Marie Le Clézio. Actuellement dans l’île pour une série d’activités, à chaque prise de parole, il défend la nécessité de lire et d’en donner le goût à la jeunesse. Incitant les parents à adopter des «techniques de combat» contre «la violence de l’instant» déversée par le flot ininterrompu d’images en ligne qui font écran à la réflexion.

Maurice mon amour

L’une des constantes des discours de Jean Marie Le Clézio : sa fibre mauricienne. Le mercredi 20 mars, au lancement de Lire, une Anthologie internationale, le prix Nobel de littérature 2008 a affirmé : «Je suis Mauricien. À chaque fois que je viens à Maurice, j’ai le sentiment d’un retour au pays natal, bien que je ne sois pas né à Maurice.» Il lie la longue tradition de l’art littéraire à Maurice à «l’éducation créole qui privilégie l’imagination, l’humour, la distance, l’affirmation de soi. Maurice est le lieu idéal pour lancer une campagne incitant la jeunesse à lire parce que c’est à travers les livres que les enfants pourront développer leur esprit».

L’écrivain a raconté qu’à sa première visite «quand j’ai vu des jeunes qui faisaient la queue devant la bibliothèque Carnegie, j’ai été absolument bouleversé. Je ne me souviens pas des paysages, je ne me souviens pas des plages, je ne me souviens pas des scènes pittoresques et exotiques mais je me souviens de la bibliothèque Carnegie». Il a également partagé qu’il avait été «ému aux larmes» par un enfant mauricien de sept-huit ans qui «serrait le livre qu’on lui avait donné comme si c’était un trésor. Je me suis dit, voilà un livre qui va vivre».

En tant que Mauricien, Jean Marie Le Clézio souhaite célébrer «l’esprit universel de Malcolm de Chazal. C’est un des vrais génies de Maurice. Il célébrait la beauté de la nature et trouvait dans l’imaginaire créole de Maurice la raison de croire dans la nouveauté de la poésie».

Untitled-10.jpg Krishav Sanyasi, dix ans, recevant un exemplaire de l’anthologie.

Pour la défense de la littérature

Donner à lire. Cause que soutient activement le prix Nobel. Jean Marie Le Clézio précise que ce qu’il veut défendre dans la littérature c’est l’«art de la durée». Pour que les enfants réfléchissent sur les mots, le langage, «tous les instants de leur vie». Sans se contenter de ce qu’on leur donne.

Comment inciter les jeunes à se détourner de la «violence de l’instant», de ce qui «pousse à regarder plutôt qu`à réfléchir», se demande-t-il. Sa réponse : encourager très tôt les enfants à lire. «Il faut avoir une réaction immédiate. Cela a quelque chose qui s’apparente à des techniques de combat.»

Face au manque de moyens financiers pour acheter des livres, il propose d’apprendre aux enfants que l’on peut s’échanger les livres, se mettre à plusieurs pour en acheter puis les faire circuler.

Dans Se connaître, se reconnaître, texte lu le jeudi 21 mars aux Rencontres interculturelles, à l’Uniciti International Education Hub, à Pierrefonds, l’écrivain s’est interrogé : «À quoi sert la littérature ? Que peut la littérature ?» D’emblée, il a reconnu qu’elle «n’a pas empêché la traite des esclaves, les crimes de la colonisation, les guerres, les mouvements haineux ni les injustices. Elle n’a même pas contredit les offenses faites à la nature».

Sa mise en garde : la littérature n’est pas une «collection de bons sentiments». Par contre, «l’écrivain permet de mieux comprendre les enjeux de société». Poursuivant l’analyse, il se demande ce que peut la littérature dans ce temps actuel fait «d’égoïsme et de violence». Ce qui le porte vers l’engagement de la littérature qui s’est développée dans l’après-colonialisme et les tyrannies nouvelles. Cette littérature qui a «porté son glaive dans la plaie de l’indifférence».

Le Clézio s’est aussi montré sensible au «droit des femmes d’écrire, de raconter leur version des choses, d’être égoïstes, impudiques, acrimonieuses. Non pas de prendre la place des hommes comme bien souvent les homes aimeraient le faire croire mais de les remettre à leur place. Et aussi le droit d’aimer, de forcer le respect, de parler d’un autre modèle de société où elles ne sont plus que cuisinières et muses, des putains ou des mères admirables, mais ellesmêmes. Simplement elles-mêmes».

L’écrivain martèle que la littérature permet l’échange. «Nous cessons d’être des étrangers. Nous apprenons à être des voisins. Et qui sait, un jour peut-être pourrons-nous réaliser le vœu prononcé par Martin Luther King quand il disait, en parlant des êtres humains : ‘Nous avons appris à voler comme des oiseaux, à nager comme des poissons mais nous n’avons pas encore appris l’art tout simple de vivre ensemble comme des frères’.»

Jean Marie Le Clézio-LIVRE.jpg

Ce qu’il faudrait lire

Quel meilleur guide qu’un prix Nobel de littérature pour explorer l’immensité des littératures ? Jean Marie Le Clézio recommande des auteurs, tous pays, toutes époques, tous genres confondus, à la recherche de «la lumière de la lucidité qui brille entre les lignes». Dans son texte Se connaître, se reconnaître, il affirme «que grâce à la littérature, nous avons des voix multiples pour lutter contre ceux qui malgré les enseignements de l’Histoire tentent aujourd’hui de revêtir les loques trouées du racisme et de la xénophobie». Il cite entre autres :

La Ballade de la geôle de Reading d’Oscar Wilde

Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde

Rhapsodie de l’ère littéraire de Hu Shi

Notre besoin de consolation est impossible à rassasier de Stig Dagerman

Automne allemand de Stig Dagerman

Les 144 quatrains d’Omar Khayyam

Poèmes de Djalal ad-Din Rumi

Poèmes du moine japonais Ryôkan

Textes de Malcolm de Chazal

La route de sampo de Hwang Sok-yong

Monsieur Han de Hwang Sok-yong

La Vie rêvée des plantes de Lee Seung-U

Textes de Mo Yan, prix Nobel de littérature 2012

Œuvre d’Aimé Césaire

Œuvre de Frantz Fanon

Œuvre de Maryse Condé

Le venin du papillon d’Anna Moï

Textes du Mexicain Juan Rulfo

Romans du péruvien José Maria Alguedas

Textes de la calédonienne Déwé Gorodé

Œuvre de Marcel Cabon

Pleure, ô pays bien-aimé d’Alan Paton

En attendant le vote des bêtes sauvages d’Ahmadou Kourouma

Textes d’Abdourahman Waberi

Œuvre de Ken Saro-Wiwa

Al Capone le Malien de Sami Tchak

Le silence des dieux de Yahia Belaskri

Œuvre de la Sénégalaise Aminata Sow Fall

Textes de la Nigériane Chimamanda Ngozi Adiche

Textes de la Camerounaise Leonora Miano

Textes de la Kenyane Grace Ogot


Lire, une Anthologie internationale

Lire, une Anthologie internationale, est un recueil de 18 textes réunis par Issa Asgarally. C’est une série de plaidoyers en faveur de la lecture, signés Ananda Devi, Priya Hein, Sudhir Hazareesingh, Tahar Ben Jelloun, entre autres. Celui de Jean Marie Le Clézio raconte son «premier souvenir de liberté (…) dans le couloir de l’appartement de ma grandmère, lorsque j’ai découvert, à l’âge de huit ou neuf ans, sur le rayon le plus bas de sa bibliothèque, une collection de livres anciens, reliés en cuir marronnasse, dix-sept volumes du Dictionnaire de la Conversation».