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Gouverner au bord

28 juin 2025, 17:00

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Gouverner au bord

Il ne suffit pas de désigner le précipice. Il faut gouverner au bord. C’est l’angle mort du discours de clôture de Navin Ramgoolam, jeudi soir. Pendant plus d’une heure, le Premier ministre a dressé un tableau critique de la situation économique, évoquant à la fois le «précipice», la «spirale infernale», le «patient en réanimation» et la «gangrène nécessitant une amputation». Mais dans ce théâtre médical, où tout le drame repose sur l’héritage du Mouvement socialiste militant (MSM), une question reste suspendue : que fait-on désormais, à froid, au contact du réel ?

L’obsession du passé, le retard sur l’avenir ! Le chef du gouvernement accuse le MSM d’avoir «trahi le pays» par une gestion qualifiée de «vandalisme économique». «Ils ont obligé la Banque de Maurice à imprimer des billets […] pour donner de l’argent à leurs proches, copains/copines, comme cadeaux avant les élections», assène-t-il, avant d’évoquer des «voyous aux commandes» et un pays «qui a reculé de dix ans». La rhétorique est violente, répétitive, implacable.

Mais à force de pilonner le passé, Ramgoolam rate l’opportunité de construire une narration cohérente sur l’après. Car le verdict budgétaire ne se joue pas uniquement sur les responsabilités d’hier, mais sur le courage d’aujourd’hui. Le changement, ce n’est pas un slogan. C’est un saut dans le réel, écrivions-nous avant le Budget du 5 juin.

Or, dans son discours de clôture, l’héritage accapare la pensée. Le plan d’action, lui, reste diffus. L’exécutif promet certes une «commission d’experts» sur les pensions, une réforme à venir, des sacrifices partagés «pour deux ou trois ans». Mais aucune trajectoire nette n’est dessinée.

Le bon diagnostic, mais le mauvais thérapeute ? Ramgoolam se montre pourtant convaincant sur le diagnostic : dette à 90 % du Produit intérieur brut, déficit de 9,8 %, 30 % des revenus publics absorbés par les intérêts de la dette. Il emploie la métaphore cardiaque pour illustrer l’ampleur du danger : «Le déficit budgétaire est comme la tension artérielle […] ça monte, ça monte, et boom !»

Son rappel de la trajectoire descendante du crédit Moody’s – de Baa1 stable à Baa3 négatif – est précis. Il est aussi lucide sur l’explosion des dépenses liées à la Basic Retirement Pension : «Une augmentation de 828 % en 14 ans.»

Le récit sacrificiel : grandeur ou diversion ? L’un des ressorts majeurs de son discours est la dramaturgie du sacrifice. Il convoque Churchill, cite le «pied gangrené qu’il faut amputer pour sauver le patient», salue Paul Bérenger comme le «père du miracle économique» de 1983 – et règle ses comptes avec sir Anerood Jugnauth.

Ramgoolam affirme que sa «vie entière l’a préparé à ce moment». Ce récit grandiloquent masque une zone d’ombre : en quoi consiste, concrètement, le plan de sauvetage ? Comment le gouvernement garantira-t-il que la rigueur n’écrasera pas les plus fragiles ? Quelle fiscalité, quel ciblage, quelle gouvernance ?

L’heure est grave, certes. Mais ce n’est pas le passé qu’il faut gouverner. C’est l’après, tout en empruntant la route sinueuse, au bord du gouffre.

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