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Interview… Anushka Virahsawmy
«Former pour informer comme il se doit et mieux sensibiliser le public»
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Interview… Anushka Virahsawmy
«Former pour informer comme il se doit et mieux sensibiliser le public»
Anushka Virahsawmy, directrice de Gender Links Mauritius.
En fin de semaine, Gender Links Mauritius (GL) a animé un séminaire de deux jours à l’intention des journalistes sur le genre et les médias à OBOE, Péreybère. Le thème général de cette formation était «Reconnaissance, sensibilité et inclusion». Une formation similaire a été dispensée aux médias rodriguais la semaine d’avant. On fait le point sur l’importance d’un tel exercice avec Anushka Virahsawmy, directrice de cette organisation non gouvernementale.
Dans le passé, GL organisait des formations sur le genre et les médias à la suite d’un exercice de monitorage des médias étalé sur un mois, qui était généralement révélateur à bien des égards. Ce séminaire est-il le résultat d’un tel exercice ?
Je dois d’abord préciser qu’il s’agit d’un projet que nous menons avec l’Union européenne et dans lequel il y a un volet sur les médias. Cette fois, nous avons procédé différemment des fois précédentes, c’est-à-dire que nous n’avons pas effectué d’exercice de monitorage des médias dans le sens classique du terme. Nous avons fait une lecture critique des journaux sur une base régulière, et nous avons noté que bien souvent dans les articles de presse, on n’entend toujours pas suffisamment la voix des sources et en particulier, celle des femmes.
Le langage utilisé est parfois sexiste, la femme étant encore toujours perçue comme une carer, celle qui s’occupe des autres, comme une femme au foyer qui est incapable de communiquer correctement. Et c’est pire lorsque des articles ont trait à la violence basée sur le genre. Le traitement est superficiel. On continue à décrire l’habillement de la femme qui a été battue et à la présenter comme une femme faible, qui ne sait qu’encaisser les coups. Je ne vous cacherai pas que certains articles de presse écrite m’ont fait tiquer et sortir de mes gonds. Après tout ce temps et toutes les formations menées jusqu’ici par Gender Links et par d’autres organismes, je trouve anormal qu’en 2024, de telles attitudes persistent au sein de certains titres de presse.
La presse ne doit pas se contenter d’informer ; elle doit aussi éduquer, sensibiliser, et cet aspect-là est négligé, voire inexistant. Je note qu’il y a, par exemple, un manque de données chiffrées dans les articles et une absence de référence aux législations en vigueur, qui protègent pourtant le public. Un journaliste ne fait pas mention, par exemple, dans son article sur la violence domestique, des numéros des hotlines à contacter dans de tels cas, ni ne fournit la liste des organisations non gouvernementales vers lesquelles les personnes victimes de violence peuvent se diriger. Ces informations sont cruciales car elles peuvent sensibiliser les gens. La violence envers les personnes LGBT n’est, par exemple, pas abordée dans la législation.
En effet, la Protection from Domestic Violence Act (PDVA) est muette sur la violence entre personnes du même sexe qui cohabitent. Ce qui signifie que l’orientation sexuelle n’y est pas tenue en ligne de compte. Et même s’il s’agit de violence entre deux amis colocataires, elle n’est considérée que comme une agression. Par conséquent, la définition de domestique, soit ce qui concerne la maisonnée, y est très limitative, voire restrictive. Je considère important que les journalistes s’informent à propos des lois en vigueur pour qu’ils puissent aiguiller le public et l’éduquer. Il y a aussi le fait que lorsqu’ils abordent le sujet de la femme, ils ne tiennent pas souvent compte de l’intégration et de la diversité alors que ce sont deux facteurs importants. Quand nous parlons d’intersectionnalité, nous ne considérons pas seulement différents types de personnes, mais aussi des questions comme l’ethnicité, les castes, etc. Lorsque j’ai abordé ces sujets à Rodrigues, c’était comme si que les yeux des journalistes s’étaient ouverts.
Quand avez-vous mené cette formation à Rodrigues ?
Je l’ai faite lundi et mardi de la semaine dernière à St-Gabriel. Dix-sept journalistes de la presse écrite, de la radio et de la télévision y ont assisté. J’ai été agréablement surprise car ils ont trouvé le séminaire très intéressant et ont dit que cette formation allait leur permettre d’évoluer dans leur traitement de l’information. Mais j’ai également été étonnée par leur méconnaissance des lois, que ce soit par rapport à la PDVA qu’à la Workers’ Rights Act. Une journaliste m’a parlé du harcèlement sur le lieu de travail mais elle ignorait qu’il y a une clause à ce sujet dans la loi. Or, ce sont des informations à connaître non seulement par le journaliste, mais aussi par le public.
Cette formation a débouché sur un exercice de brainstorming où les journalistes et les animateurs ont réfléchi ensemble sur les articles que les premiers voudraient écrire et comment les enrichir avec les informations susmentionnées pour mieux éduquer les gens en leur donnant des informations pouvant leur être utiles un jour. Les journalistes rodriguais ont envisagé le genre dans son amplitude et sa justesse. Tous ont dit vouloir aller plus loin et devenir des experts en genre. Des outils existent et les journalistes doivent les connaître. Comme je l’ai dit, le rôle du journaliste n’est pas juste d’informer mais aussi de faire des plaidoyers. Je considère que les activistes les plus importants actuellement sont les journalistes. Ils ont la voix et la plateforme voulue pour toucher la population.
Combien de journalistes ont assisté aux deux jours de formation à Maurice et quel a été le programme de ces deux journées ?
Ils étaient 23 journalistes de la presse écrite et audiovisuelle à y assister, de même que des étudiants d’université en dernière année de communication et médias. En termes de programme, j’ai commencé par sonder leurs connaissances à propos du concept du genre dans les médias. Pour moi, il était important de tâter leur pouls, et de savoir ce que les journalistes savent et croient savoir. Ensuite, j’ai développé quatre thématiques avec eux : le genre et le changement climatique et surtout le rôle de la femme par rapport au dérèglement climatique ; la violence basée sur le genre et les hommes comme alliés, avec un témoignage d’un homme allié, et la cause LGBT, thématique insuffisamment couverte surtout lorsque l’on parle de diversité et d’intégration, les personnes transgenres étant les plus à plaindre car aucune loi ne les protège. Cette thématique a été abordée par des représentants du Collectif Arc-en-Ciel. Et quand on parle d’inclusion, il faut aussi considérer les personnes handicapées et souvent à Maurice, on les oublie. Quand vous êtes une femme handicapée, c’est comme si que vous l’étiez doublement et lorsque vous êtes handicapé et gay, c’est pire, vous n’existez pas.
La dernière thématique qui a été abordée a été la politique. Nous avons évoqué les changements positifs qui ont eu lieu en matière de genre, notamment la nomination récente de deux femmes ministres – nous félicitons d’ailleurs le Premier ministre pour cette décision – mais le problème n’est pas là. Il manque des femmes en politique. Nous serons bientôt en campagne électorale et il y a des enjeux que les journalistes doivent couvrir. GL prépare d’ailleurs un symposium sur la politique pour le 30 mars. Mars est un mois faste car il y a la Journée internationale de la femme et l’Indépendance du pays. Je n’en dirai pas plus pour l’instant. Comme nous l’avons fait à Rodrigues, nous avons effectué, avec les journalistes mauriciens, un brainstorming à propos des articles et des émissions possibles qu’ils peuvent réaliser. À mes yeux, il est très important qu’une fois qu’ils aient compris comment ils doivent restructurer leurs idées, ils vont assurer une couverture médiatique plus globale et seront plus à même de faire passer des messages.
Quelles sont vos attentes par rapport à ce séminaire ?
Que les journalistes arrivent à mieux communiquer et qu’ils redonnent ses lettres de noblesse à ce métier et qu’ils donnent envie à des jeunes d’être journalistes. Les jeunes sont tellement sur leurs écrans à consulter les réseaux sociaux que leur capacité d’attention est limitée. Les journalistes doivent essayer de comprendre comment les jeunes «consomment» l’information aujourd’hui, c’est-à-dire rapidement, ce qu’ils cherchent, ce qui les intéresse et ce qu’ils reçoivent en réalité comme information. Il est important de déterminer comment leur transmettre une information de qualité. Je souhaite aussi qu’il y ait un pool de journalistes qui écrivent des articles de fond qui soient sensibles au genre, surtout sur la politique, la violence basée sur le genre et le changement climatique. Et qu’au final, nous ayons une population qui soit mieux informée de ses droits.
À part le symposium du 30 mars, quels sont vos autres projets ?
Nous en avons plusieurs, mais une des thématiques urgentes que nous aborderons dans un futur proche et qui est porteuse de problèmes, mais que les gens refusent de voir en préférant se voiler la face, a trait aux droits à la santé sexuelle et reproductive. Cette thématique comprend l’éducation sexuelle des enfants dès le jeune âge à l’école. À Rodrigues, j’ai visité deux écoles primaires où nous avons côtoyé environ 200 enfants. Après que nous ayons abordé le sujet, par la façon dont les enfants s’exprimaient, il nous a semblé que certains d’entre eux ont peutêtre connu la violence et les abus. Les instituteurs sont au courant qu’il y a des problèmes et c’est pour cela qu’ils nous ont demandé de venir parler directement aux parents.
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