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Les défis du métier de boulanger
Entre passion transmise, exigences du marché et pressions économiques
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Les défis du métier de boulanger
Entre passion transmise, exigences du marché et pressions économiques
Avant que le soleil n’effleure les toits et que Rose-Hill dort encore derrière ses rideaux tirés, un four s’allume, des mains s’activent, la farine vole. C’est dans cette obscurité féconde que commence la journée du boulanger – un métier de l’ombre, un métier de feu.
Ce savoir-faire ancestral, souvent porté par la passion et transmis comme un héritage sacré, se heurte aujourd’hui à des défis silencieux mais persistants. Car derrière les étals généreux, les croûtes craquantes et les miches dorées, se cache une réalité bien plus complexe.
À la boulangerie «Île de France» à Rose-Hill, le pain a l’odeur de la mémoire familiale. David Canarapen, l’actuel maître des lieux, parle avec la gravité de ceux qui n’ont pas choisi ce métier mais qui l’ont accepté. «Je n’ai pas choisi d’être boulanger mais je me suis senti investi à reprendre le flambeau après que mon père et mes oncles ont décidé de passer la main.»
Le flambeau, il le porte à bras-le-corps, chaque nuit, chaque matin. Dans son atelier, ils sont 25 à faire tourner la fournée. Quinze d’entre eux viennent d’ailleurs – des travailleurs étrangers, discrets et constants, devenus indispensables dans cette mécanique bien huilée. «Les travailleurs étrangers représentent une main-d’œuvre plus flexible. Le savoir-faire mauricien est tout aussi bon, voire meilleur, mais beaucoup de Mauriciens trouvent ce travail trop éprouvant», explique David Canarapen.
Pourtant, il faut livrer. Toujours. Peu importent les absences, les machines qui lâchent ou les corps qui fatiguent. «Le client attend son pain le matin», dit-il simplement, comme une sentence.
Plus bas dans Rose-Hill, un autre boulanger pose la question qui brûle les lèvres de toute une profession. «Un employé mauricien veut parfois presque le double du salaire d’un travailleur étranger. Dans ce cas, combien devra-t-on vendre une viennoiserie ou même le pain ?»
Dans ce métier, chaque centime compte. À Maurice, la hausse constante du prix des matières premières rend la situation de plus en plus intenable. La subvention gouvernementale sur la farine panifiable reste un maigre rempart. «Cette subvention aide à faire tourner les boulangeries mais ce sont les produits de pâtisserie qui font vraiment tourner la boîte», reconnaît David Canarapen. Quant au prix du pain, figé dans une logique sociale, il étouffe lentement les artisans. «Il faut envisager une augmentation, même légère, pour permettre aux boulangers de sortir la tête de l’eau.»
🟦 Le mirage du pain brun
La mode du «manger sain» n’épargne pas l’île. Dans les salles de sport, sur les réseaux, les adeptes du bien-être vantent les mérites du pain brun. Mais cette demande de niche masque une réalité moins savoureuse. «Ce produit est très amer lorsqu’on utilise 100 % de farine de blé. C’est pourquoi la plupart des pains bruns vendus à Maurice contiennent un pourcentage non négligeable de farine blanche», confie David Canarapen. «Le marché reste trop restreint pour en faire une ligne rentable.» Ainsi, entre les aspirations du consommateur et la faisabilité en boulangerie, le fossé reste grand. Trop grand, parfois, pour être comblé.
🟦 Une tradition menacée
La montée en puissance des grandes surfaces, des produits importés, des solutions toutes prêtes vendues à bas prix, vient bousculer l’équilibre fragile de la boulangerie artisanale. Les artisans, eux, ne disposent ni du volume ni des marges pour suivre. Et pourtant, ils tiennent bon. Par devoir, par passion, par respect d’un métier que peu comprennent vraiment. Le métier de boulanger à Maurice est à la croisée des chemins : enraciné dans une tradition riche mais assiégé de toute part – par l’économie, la modernité, l’indifférence aussi. Il est temps, peut-être, de reconnaître la valeur réelle de ce savoir-faire. Non pas seulement comme un commerce de bouche mais comme un maillon essentiel du tissu social et culturel mauricien.
Car tant que le pain aura le goût du levain et de l’effort, la boulangerie ne sera pas un simple métier : elle restera un art. Un art qu’il faut protéger.
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