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Judiciaire
David Gaiqui : une mort, des questions, une attente de vérité
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David Gaiqui : une mort, des questions, une attente de vérité

■ Les proches de David Gaiqui, photographié menotté et nu au poste de police de Curepipe le vendredi 26 janvier 2018, remettent en question la cause naturelle attribuée à son décès.
La magistrate Naazish Sakauloo a mis en délibéré ses conclusions de l’enquête judiciaire visant à déterminer les circonstances exactes de la mort de Mike David Gaiqui, survenue le 10 mai 2020 sur le parking de l’hôpital Dr A. G. Jeetoo.
L’annonce a été faite à l’issue d’une dernière audience, le mercredi 2 juillet, qui aura clôturé une procédure entamée plus de deux ans plus tôt, en février 2023, à la demande du bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP).
L’enquête judiciaire avait été ouverte officiellement le 17 février 2023. Elle s’inscrivait dans le sillage d’un décès qualifié de suspect par la famille, sur fond d’antécédents : David Gaiqui avait été en 2018 photographié menotté et nu au poste de police de Curepipe, une affaire qui avait suscité une vive polémique sur les abus policiers à Maurice. Le décès en 2020, survenu dans un lieu public, à proximité immédiate d’un centre hospitalier, a relancé les interrogations sur les conditions de prise en charge, les causes médicales réelles et les éventuelles responsabilités.
Le 11 mars 2023, la cour a entendu le témoignage du Chief Police Medical Officer, le Dr Sudesh Kumar Gungadin. Celui-ci a présenté en détail les résultats de l’autopsie pratiquée le 11 mai 2020, en présence du Dr Satish Boolell, ancien médecin légiste. Selon lui, la cause du décès est une thrombose coronaire aiguë, due à l’obstruction totale de l’artère coronaire gauche. Le cœur du défunt pesait 430 grammes, ce qui est, selon ses termes, «une hypertrophie manifeste». Il a également noté la présence de sang coagulé sur le visage de Gaiqui, qu’il a attribuée à une chute ayant suivi une perte de conscience soudaine. Les quelques égratignures relevées sur le visage ont été considérées comme superficielles. Il n’a décelé aucune fracture, y compris au niveau des orteils.
Le 21 avril 2023, Roselle Gaiqui, veuve du défunt, a été entendue. Dans une déclaration émotive, elle a affirmé avoir reçu un appel vers 7 h 50 le matin du décès. Ce coup de fil, selon elle, émanait d’un policier qui lui a annoncé que son mari était inconscient sur le parking de l’hôpital. Elle a affirmé que son époux s’était plaint de douleurs à l’estomac et au pied avant de quitter la maison vers 6 h 30, et qu’à la morgue, elle avait vu des marques suspectes sur son visage, ainsi qu’un téléphone portable brisé. Ces éléments, bien que significatifs pour la famille, n’ont pas été corroborés par les rapports médicaux.
L’enquête judiciaire s’est ensuite poursuivie par étapes successives. Plusieurs séances ont été ajournées entre juillet et septembre 2023 pour permettre la convocation de nouveaux témoins. Le 20 septembre 2023, un policier est venu confirmer à la barre qu’il avait effectivement téléphoné à l’épouse de David Gaiqui, mais il n’a pas apporté plus de précisions sur le contexte exact de son intervention ni sur les circonstances dans lesquelles le corps avait été retrouvé.
Le 5 décembre 2023, le Dr Satish Boolell, qui avait assisté à l’autopsie, a été à son tour entendu. Il a confirmé dans sa déposition les conclusions du Dr Gungadin, précisant que l’état du cœur du défunt indiquait une pathologie ancienne non traitée. À aucun moment il n’a relevé de blessures, qui auraient pu laisser penser à une agression physique.
Le 7avril 2025 , l e Dr Gungadin a été rappelé à la barre pour un second témoignage. Sous serment, il a réaffirmé que les lésions visibles sur le corps de Gaiqui étaient compatibles avec une chute provoquée par un arrêt cardiaque. Il a aussi mentionné qu’un infarctus antérieur avait été détecté, signe que le défunt avait déjà une santé cardiovasculaire précaire. Il a réitéré l’absence d’éléments indiquant une intervention extérieure.
Le 14 février 2025, Roselle Gaiqui est revenue en cour pour une nouvelle série de questions, cette fois dans un climat de tension entre les avocats de la famille et la magistrate, qui a écarté certaines questions qu’elle jugeait suggestives. Les avocats de la famille, notamment Mᵉ Anoup Goodary, Mᵉ Sanjeev Teeluckdharry et Mᵉ Rajendra Appa Jala, ont formellement demandé que le rapport d’autopsie leur soit communiqué, estimant que ce document était central pour comprendre pleinement les circonstances du décès.
L’ultime témoin entendu ce 2 juillet était Buruthsing Burthun, préposé hospitalier affecté, ce jour-là, à l’hôpital Jeetoo. Dans sa déposition, il a expliqué avoir retrouvé David Gaiqui allongé sur le parking, inconscient, sans traces visibles de violence. Il a immédiatement alerté le personnel médical pour une prise en charge. Aucune anomalie flagrante n’a été observée, selon lui, ce qui vient appuyer la version médico-légale.
À l’issue de cette dernière déposition, la magistrate Sakauloo a annoncé que le jugement était désormais mis en délibéré. Aucun calendrier n’a été fixé quant à la date de prononcé. L’enjeu pour la cour est de statuer si le décès de David Gaiqui relève strictement d’une cause naturelle ou s’il subsiste suffisamment de zones d’ombre pour justifier d’éventuelles actions policières ou juridiques.
Réactions de la famille et l’ONG Dis-Moi
La veuve de David Gaiqui, Roselle, a maintenu durant l’enquête que son mari présentait des blessures suspectes sur le visage et le corps et que son téléphone portable avait été retrouvé cassé. Elle affirme également que son époux se plaignait de douleurs au pied et à l’estomac avant sa sortie de la maison ce matin-là. Elle remet en question la version officielle et souhaite que la lumière soit faite sur tous les détails entourant la mort de son mari. Du côté de la société civile, l’ONG Dis-Moi, qui milite activement contre les brutalités policières, suit l’affaire de près. Elle s’était déjà exprimée dans le passé sur les traitements inhumains que Gaiqui aurait subis en 2018, lorsqu’il avait été photographié menotté nu au poste de police de Curepipe.
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