Publicité

Budget 2025-2026

Changement de paradigme économique

13 mai 2025, 08:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Il fallait s’y attendre. Un parfum d’austérité flottait dans l’air. Ramené à la dure réalité économique après la liesse populaire suivant la victoire éclatante de l’Alliance du Changement aux élections générales, Navin Ramgoolam a vite compris que les premiers mois de cette mandature allaient être beaucoup plus compliqués que prévu et qu’en tant que chef de l’État, il se devait d’agir, de parler un langage de vérité quitte à s’attirer la vindicte populaire et de prendre des décisions courageuses pour remettre de l’ordre dans les finances publiques et reconstruire l’économie sur des fondations plus solides et durables.

Pour y parvenir, il n’y avait pas de la place pour des compromis. Pour ce Budget 2025-2026, la priorité des priorités était, avant tout, de changer le cap de la politique budgétaire, de réussir la transition d’un modèle économique axé sur la consommation vers un modèle centré sur la production, l’investissement et l’innovation.

Dans la forme, la loi de finances 2025-2026 repose sur trois principaux piliers : le renouvellement de l’économie, l’instauration d’un nouvel ordre social et la consolidation financière. Après une décennie de mauvaise gestion des finances, de gaspillage des fonds publics, c’était la trajectoire à suivre. D’autant plus que malgré l’impact de la crise sans précédent qu’on a connue avec la Covid-19, l’administration Jugnauth avait maintenu le cap de sa politique fiscale expansionniste.

Cette politique kamikaze a eu pour conséquence un creusement du déficit budgétaire – c’est-à-dire le différentiel entre les dépenses et les recettes – de Rs 70 milliards au lieu des Rs 26,8 milliards projetées par Renganaden Padayachy dans son dernier Budget. Ce qui, selon les chiffres communiqués par le Premier ministre, équivaut à 9,8 % du PIB au lieu des estimations initiales de 3,4 %. Quant à la dette publique, elle a été calculée à Rs 642 milliards à juin 2025 contre des estimations initiales de Rs 574 milliards. Cela représente un taux de 90 % du PIB, qui place Maurice tout de suite sous le radar de Moody’s qui, si elle n’est pas satisfaite des réformes enclenchées en termes de consolidation fiscale, pourrait, dans un proche avenir, rétrograder la note souveraine du pays à Baa3. Concrètement, cela signifiera qu’on perdra notre statut de pays d’investissement (Investment grade) et que les obligations de l’État mauricien seraient alors considérées comme junk, donc représentant un risque de défaut de paiement.

Dans le fond, la loi de finances se veut novatrice. Au chapitre de la réorientation de l’économie, le Premier ministre veut jouer à fond la carte de la recherche et de l’innovation, ainsi que de l’intelligence artificielle pour dynamiser les secteurs productifs, en particulier dans les services financiers, l’agriculture, le domaine de la santé et l’éducation. On note ainsi la création d’un National Research and Innovation Institute. Ou encore, l’élaboration d’un plan directeur pour le secteur des Tic afin de numériser le pays et d’améliorer la productivité à tous les échelons. Dans le même ordre d’idées, pour favoriser l’émergence des start-up technologiques, les néo-entrepreneurs pourront bénéficier d’une déduction fiscale sur leurs investissements dans les technologies de l’intelligence artificielle, et ce, jusqu’à un montant de Rs 150 000. Pour libérer toutes les forces productrices et encourager l’entrepreneuriat féminin, tous les prêts accordés par la Banque de Développement dans le cadre du Women Entrepreneur Loan bénéficieront d’un délai de grâce de 18 mois pour les remboursements, au lieu de 12 mois. En outre, la limite maximale de ces prêts passe de Rs 500 000 à Rs 1,2 million.

Au chapitre de la facilitation des affaires, une série de mesures conjoncturelles sont annoncées allant dans le sens d’une refonte de l’Economic Development Board qui aura la responsabilité de mieux promouvoir Maurice auprès des investisseurs étrangers. De même, le levier de la diplomatie économique sera actionné à fond. Les ambassades auront pour stricte directive de créer des projets commerciaux et d’investissement concrets en s’appuyant sur les accords de coopération économique, comme les cadres de partenariat stratégique que nous avons déjà conclus avec des pays amis comme le Royaume-Uni.

Concernant le processus de consolidation fiscale, il ne va pas se faire sans heurts. Si la nécessité de redresser les finances publiques s’impose comme une nécessité, d’aucuns verront dans les réformes annoncées, notamment celle de repousser progressivement l’âge d’éligibilité à la pension universelle à 65 ans, une volonté de virer de bord, en abandonnant la social-démocratie pour un libéralisme pur et dur. Le gouvernement a-t-il été trop prompt à suivre un peu trop à la lettre les recommandations des institutions internationales comme le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale qui, depuis des décennies, prescrivent un désengagement progressif de l’État dans la protection sociale ? On peut le penser. Justifiant cette réforme expéditive, le Premier ministre a rappelé qu’à ce jour, la Basic Retirement Pension (BRP) représente 26 % des dépenses budgétaires.

L’annonce de cette réforme est un risque politique calculé. Mais on peut questionner son timing. Si une telle mesure trouve une légitimité économique, ne fallait-il pas au préalable que l’Alliance du Changement engage un débat public sur le sujet pendant la campagne électorale ? Cette absence de consultations et, fort probablement, d’études sur l’impact de la réforme des pensions est, sans doute, la raison pour laquelle il y a un tel tollé ces jours-ci. Des questions se posent : qu’adviendra-t-il par exemple de ces travailleurs indépendants qui exercent des métiers pénibles et qui ne seront pas en mesure de travailler à un âge avancé ? L’on se rappellera qu’en France, avant la présidentielle de 2022, Emmanuel Macron avait annoncé son projet de repousser l’âge de la retraite à 64 ans. Ayant eu le plébiscite des Français, il a pu aller de l’avant avec son projet de société.

Toujours au chapitre de la réforme des pensions, Navin Ramgoolam a annoncé la mort prochaine de la Contribution sociale généralisée et la réactivation du National Pension Fund. Là encore, c’est une mesure attendue mais qui provoque des grincements de dents, d’autant plus que les allocations CSG seront progressivement abolies jusqu’en 2027.

Par ailleurs, la politique de consolidation fiscale se caractérise par une fiscalité plus lourde, que ce soit pour les individus ou les entreprises. Ainsi, la rationalisation de l’impôt sur le revenu (Income tax) va lourdement impacter les plus hauts salaires. Idem pour la Fair share contribution, qui frappera les grosses fortunes de plus de Rs 12 millions et qui vient rendre les dividendes imposables à hauteur de 15 %. Bien qu’elle renfloue les caisses, cette mesure pourrait avoir un impact sur le marché boursier et le secteur de la gestion de patrimoine. Il en est de même pour l’Alternative Income Tax qui touche cinq secteurs : l’hôtellerie, l’immobilier, les assurances, le secteur financier et les télécommunications. Cette taxe est susceptible de rendre trop rigide l’environnement des affaires. L’autre mesure qui suscite l’incompréhension, c’est celle qui impose aux commerces de s’enregistrer auprès de la TVA si leur chiffre d’affaires dépasse Rs 3 millions. Comment créer une nation d’entrepreneurs alors qu’au travers de mesures fiscales pesantes, on est en train de laisser très peu de marge de manœuvre aux très petites entreprises et PME ?

Le gouvernement s’est fixé pour mission de changer de paradigme économique. Pour ce faire, il fallait s’attaquer à la problématique de consolidation fiscale. Les agents économiques l’avaient déjà compris. Mais le remède au mal s’apparente à un électrochoc. Quant aux perspectives de croissance, là encore, le Premier ministre s’est voulu très mesuré, anticipant une performance moyenne de 3 % à 4 % pour 2025. Est-ce que ces estimations prennent en compte les turbulences sur la scène internationale comme la guerre commerciale ou encore l’impact du Spending Bill aux États-Unis qui, outre d’avoir déclenché une guerre ouverte entre Donald Trump et Elon Musk, pourrait provoquer une nouvelle pagaille sur les marchés financiers ?

La vision du Budget 2025-2026 est de construire un pont vers l’avenir. Or, ce Budget n’est pas un exercice complet en lui-même. Il est la promesse d’une nouvelle conjoncture qu’il faut encore créer. Pour le secteur touristique, le gouvernement promet la publication d’une feuille de route. Pour quand ? On ne le sait pas encore. Pour l’économie bleue, on promet des assises de l’océan. Dans l’immédiat, on ne voit que l’esquisse d’un projet économique prometteur.

Publicité