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Après 100 jours du nouveau gouvernement : Mille attentes pour le changement

11 janvier 2025, 07:00

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Après 100 jours du nouveau gouvernement : Mille attentes pour le changement

© POV

Que faut-il s’attendre à la fin de la période de grâce du gouvernement issu des élections du 10 novembre 2024, largement plébiscité par l’électorat mauricien ? Après 100 jours à la tête du pays, le tandem Ramgoolam-Bérenger, qui revient aux affaires après respectivement dix ans et 25 ans, découvre l’immensité des chantiers qui s’allongent et les attentes d’une population qui le surveille comme le lait sur le feu, prête à passer à l’offensive face aux promesses électorales non tenues.

Sans doute, une majorité de 62,5 % des votants, notamment des ménages, qui ont souhaité la victoire de l’Alliance du changement, ont cru aux narratifs des principaux dirigeants de l’opposition d’alors. Qui répétaient dans des réunions privées et sur les estrades qu’une fois au pouvoir, les prix de produits de consommation baisseraient dans les premières semaines de la victoire électorale, que la roupie se stabiliserait autour de Rs 45, qu’ils rattraperaient la baisse du pouvoir d’achat et verraient ainsi leur caddie se remplir.

Du reste, la grande majorité de la population n’avait pas totalement tort car, à coups de prestations sociales révisées à la hausse et des réajustements salariaux au cours de ces dernières années, le précédent régime avait créé une illusion monétaire à laquelle des nombreuses familles, des jeunes couples et des étudiants avaient peut-être été sensibles. Mais au bout du compte, la réalité des prix dans les supermarchés et la cherté de la vie au quotidien les avaient renvoyés à une autre image, celle qui donne le tournis.

Après 100 jours, il ne faut pas s’attendre à ce que certaines mesures, certes symboliques, comme la baisse de Rs 5 sur les prix de l’essence et du diesel, le paiement du 14ᵉ mois à ceux touchant moins de Rs 50 000 ou encore une compensation salariale de Rs 610 à tous les employés percevant un salaire de base inférieur à Rs 50 000, soient suffisantes pour calmer les frustrations d’une population financièrement asphyxiée et répondre à ses attentes grandissantes. Elles se veulent momentanément un soulagement financier en attendant d’autres, probablement plus conséquentes, dans le sillage du prochain exercice budgétaire en juin prochain.

Car entretemps, l’état de l’économie s’est révélé catastrophique à la lumière du diagnostic dressé par les techniciens du bureau du Premier ministre et ministre des Finances. Ce que, d’ailleurs, des observateurs économiques anticipaient déjà bien avant le démarrage de la campagne électorale. Face au maquillage des statistiques officielles, voire des chiffres manipulés de Statistics Mauritius, les Mauriciens ont appris avec stupéfaction comment le taux de croissance a été artificiellement gonflé en 2024 à partir d’un PIB faussé, impactant naturellement le ratio de la dette publique. Loin évidemment du constat implacable du State of the Economy. Pour le moment, l’ex-ministre des Finances, attaqué frontalement par le gouvernement du jour pour sa mauvaise gestion économique et ce qui serait étroitement associé à ce window dressing, ne s’est toujours pas expliqué.

Un tel héritage économique laisse une marge de manœuvre réduite aux dirigeants du pays pour appliquer ses mesures-phares telles qu’énoncées dans leur manifeste électoral. Et la décision des nouveaux gouvernants de jouer la carte de la transparence en publiant le document pour le moins accablant sur l’état des lieux de l’économie n’a fait que placer Maurice dans le viseur des agences de notation et des institutions internationales. Le couperet est tombé le 30 janvier dernier avec Moody’s abaissant la perspective de «stable» à «négative» tout en maintenant la note souveraine de Maurice à Baa3 dans son rapport de notation. La menace d’un downgrading a été évitée in extremis mais le danger est réel, alerte-t-on au ministère des Finances, qui aura 18 mois pour renverser cette tendance à travers un plan de consolidation fiscale.

Signaux rassurants

Qu’on ne soit pas dupe. En clair, Moody’s réclame que Maurice baisse son déficit budgétaire en augmentant ses revenus par le biais partiel d’une hausse de l’impôt pour redresser l’économie. Il n’y a pas de solutions magiques. Il faudra arbitrer entre la hausse potentielle des impôts sur les sociétés susceptibles de nuire à l’attractivité fiscale de Maurice et la majoration de la TVA ou d’autres taxes indirectes qui pourraient être politiquement et socialement impopulaires. C’est toute la problématique qui incombe au Premier ministre, à son junior minister, Dhanesh Damry, et à ses techniciens de régler.

Il est vrai que les mesures répétées dans la campagne et qui ont pu faire la différence dans la victoire de l’Alliance du changement, à l’instar du fonds de soutien de Rs 10 milliards pour stabiliser les produits de base essentiels, la baisse des prix des médicaments, l’abolition de la TVA sur certains produits de consommation courante ou l’internet gratuit, sont peu audibles dans les discours de Navin Ramgoolam ou de son DPM. On ose espérer que ces mesures, sans doute électoralistes, ne soient pas renvoyées aux calendes grecques mais qu’elles soient bien présentes dans le premier Budget national du nouveau gouvernement, revues ou corrigées peut-être.

D’ailleurs, les grandes manœuvres ont déjà commencé au ministère des Finances avec l’invitation des propositions pré-budgétaires auprès des stakeholders, institutions du privé et associations professionnelles, entre autres. Ce sera évidemment une nouvelle occasion pour Navin Ramgoolam d’envoyer des signaux forts à la communauté des affaires et aux agences internationales que le gouvernement means business, qu’il a la volonté d’assainir les finances publiques en ramenant le déficit budgétaire à un seuil gérable et en inversant la courbe de la dette publique. Sans pour autant, dans la foulée, brandir des mesures d’austérité qui, dans la mémoire collective de la population, peut s’apparenter à ser sintir.

Ce sont autant de responsabilités pour le ministère des Finances qui doit naviguer à vue pour sortir le pays de la tempête économique. Mais après 100 jours, il ne faut pas en même temps occulter l’autre signal envoyé par la Banque de Maurice (BoM) pour redonner confiance aux opérateurs économiques sur la politique monétaire et stopper la dépréciation de la roupie face au billet vert. L’installation d’une nouvelle équipe à la BoM Tower à la mi-novembre, avec la nomination de Rama Sithanen au poste de gouverneur, a sans doute rassuré le marché. Avec une roupie qui se stabilise face au dollar et à l’euro, un comité de politique monétaire qui retrouve sa crédibilité et son indépendance de décisions politiquement motivées, et une volonté de mettre fin à la mauvaise gestion de la MIC avec des fonds volés en plein jour, le bilan reste sommairement positif. Même si la tâche reste herculéenne avec l’épineux problème du manque de devises étrangères, principalement le dollar sur le marché forex. Mais comme le nouveau patron de la BoM se plaît à dire : on ne peut pas régler en trois mois une situation qui a perduré pendant cinq ans au sein de cette institution.

Au-delà des urgences économiques, les 100 jours et plus voudront aussi dire une certaine respiration démocratique dans le pays. Ce, avec l’indépendance redonnée au Directeur des poursuites publiques, un judiciaire libre des ingérences politiques, (le cas de l’arrestation de l’ex-Premier ministre avec sa libération sous caution le lendemain avant minuit et le traitement auquel il a eu droit en est un exemple parfait), l’annulation du réenregistrement de la carte SIM, une MBC qui redécouvre l’information, loin encore de la BBC de l’océan Indien, et le sentiment de se sentir libre, sans être espionné dans ses faits et gestes.

Une centaine de jours sur un mandat de cinq ans est certes insignifiante mais elle esquisse les contours d’un long chemin. Mais «the direction of travel is good», pour reprendre une expression de Rama Sithanen.