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De change promesse électorale
14ᵉ mois : le choc budgétaire que les entreprises n’avaient pas prévu
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De change promesse électorale
14ᵉ mois : le choc budgétaire que les entreprises n’avaient pas prévu

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En l’absence de soutien financier généralisé, le versement de la «14th Month Allowance» met à mal la trésorerie et la rentabilité de nombreuses entreprises mauriciennes.
C’était une promesse électorale séduisante. Un geste en apparence généreux, destiné à redonner du pouvoir d’achat et à satisfaire les attentes sociales. Mais quatre mois après l’entrée en vigueur du 14th Month Allowance, le vernis de cette mesure commence sérieusement à se fissurer dans les bilans comptables des entreprises mauriciennes. Derrière les chiffres et les slogans politiques, c’est une autre réalité qui se dessine : celle d’une économie privée qui peine à absorber les coûts imprévus de cette mesure, sans filet de sécurité.
Payé en quatre tranches mensuelles entre décembre et mars, le 14ᵉ mois devait, selon le gouvernement, permettre un lissage budgétaire et une meilleure anticipation des charges. Dans les faits, nombre d’entreprises affirment n’avoir jamais véritablement pu se préparer. «On n’avait pas budgété ces dépenses supplémentaires et on n’a pas reçu de subventions pour amortir les coûts», déplore le directeur financier d’un grand groupe du secteur tertiaire.
Ce versement, absent dans les prévisions financières, a effectivement eu un effet domino sur les flux de trésorerie. Certaines entreprises ont dû retarder des paiements bancaires, différer le règlement des salaires ou puiser dans leurs réserves, quand d’autres ont été contraintes à contracter des prêts pour honorer cette obligation.
Outre le choc de trésorerie, le versement du 14ᵉ mois a aussi produit des effets collatéraux inattendus. Plusieurs employeurs rapportent une vague de démissions juste après le versement des primes, notamment dans les secteurs où la main-d’œuvre est très mobile. D’autres signalent un effet délétère sur la motivation des salariés, notamment ceux exclus de la mesure, leur salaire dépassant le seuil de Rs 50 000.
«Comment expliquer à un cadre gagnant Rs 51 000 par mois qu’il ne reçoit rien, alors que son subordonné à Rs 48 000 reçoit une prime de Rs 48 000 ?», s’interroge la directrice des ressources humaines d’un groupe manufacturier. Le sentiment d’injustice est d’autant plus fort que dans certains cas, un subalterne touche in fine plus que son supérieur. Le calcul est simple : Rs 48 000 × 14 = Rs 672 000, contre Rs 51 000 × 13 = Rs 663 000.
Face à cette pression, plusieurs organisations patronales ont tenté de négocier un soutien étendu de l’État. Mais la réponse est restée inchangée : «Nous avons déjà fait notre part», martèle le gouvernement. En effet, seuls quelques secteurs ciblés, comme les compagnies d’autobus ou Metro Express Limited, ont obtenu une aide financière exceptionnelle.
Concrètement, les entreprises des transports en commun déficitaires peuvent obtenir une prise en charge partielle ou totale du 14ᵉ mois, en fonction de la baisse de leur rentabilité. Mais pour l’immense majorité des entreprises, notamment les petites et moyennes entreprises, c’est silence radio.
Le gouvernement invoque une contrainte budgétaire sévère. Selon le Premier ministre, Navin Ramgoolam, l’actuel exécutif hérite d’un Budget en «état de chaos», marqué par des déficits masqués et des engagements sous-évalués. Lors de la présentation du Supplementary Appropriation Bill, il a fustigé la gestion «irresponsable» du précédent gouvernement, qui aurait «maquillé la réalité des dépenses publiques».
Dans ce contexte de rigueur imposée, le gouvernement affirme avoir déjà injecté Rs 11,8 milliards pour couvrir plusieurs mesures sociales et économiques, dont le 14ᵉ mois et les compensations salariales. Mais cette enveloppe, jugée insuffisante par le secteur privé, laisse sur le carreau des centaines d’entreprises qui n’ont pas les moyens d’encaisser ce coût structurel sans dommages.
D’autant que l’État a ses propres urgences : les pensions à revaloriser, la dette de la MauBank à combler ou encore des litiges contractuels à régler, comme celui de Patel Engineering Ltd, qui a coûté Rs 1,9 milliard au Trésor. À cela s’ajoute une dette publique désormais estimée à 84 % du PIB et un déficit budgétaire réel à 5,7 %, bien au-delà des chiffres annoncés précédemment.
La véritable faille du dispositif réside dans son caractère permanent. Contrairement à une prime exceptionnelle, le 14ᵉ mois s’installe dans la durée, devenant une obligation annuelle non négociable pour les entreprises, qu’elles aient les moyens ou non. «Une fois accordée, impossible de revenir en arrière. C’est devenu un droit social, mais sans plan d’accompagnement», analyse un économiste.
La situation est d’autant plus complexe que plusieurs entreprises doivent composer avec d’autres charges croissantes : salaires revalorisés depuis janvier 2024, inflation sur les intrants, pression sur les marges et ralentissement économique global.
Face à l’intransigeance budgétaire de l’État, les entreprises n’ont d’autre choix que d’adopter des réponses managériales internes. Cela passe par une révision de la grille salariale, une rationalisation des effectifs ou une redéfinition des priorités d’investissement. Mais cela se fera souvent au prix d’une baisse de compétitivité ou d’un ralentissement de la croissance. À moyen terme, plusieurs voix s’élèvent pour réclamer une concertation tripartite : gouvernement, patronat et syndicats. «Si le 14ᵉ mois devient un acquis, alors il faut un mécanisme clair de compensation ou de subvention. Sinon, on fragilise tout le tissu productif», avertit un consultant en stratégie.
Pour l’heure, cette concertation semble peu probable. Le pouvoir exécutif, pris entre ses engagements sociaux et ses marges budgétaires limitées, avance au pas. Et dans les entreprises, on serre les dents – en espérant que le 15e mois ne devienne pas la prochaine promesse électorale.
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