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Risques

Séismes : faut-il trembler ?

14 juillet 2024, 21:00

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Séismes : faut-il trembler ?

Un séisme de magnitude 6,5 a été enregistré à 4 500 km au sud-ouest de Maurice mercredi, et un autre au large de Rodrigues le mois dernier. L’ingénieur en environnement et océanographe Vassen Kauppaymuthoo affirme que nous ne sommes pas à l’abri du pire. Les séismes marins engendrent des tsunamis qui peuvent être dévastateurs. Faut-il pour autant trembler de peur ?

Les forces de la nature se sont à nouveau déchaînées mercredi matin. Au sud de l’Afrique du Sud, un tremblement de terre s’est produit à 10 km de profondeur au niveau d’une faille tectonique. À 4 500 km de Maurice, le séisme, estimé à une magnitude de 6,5 sur l’échelle de Richter, a été enregistré à Port-Louis à 8 h 55 par le National Disaster Risk Reduction and Management Centre (NDRRMC). Aussitôt après, ce dernier a émis une alerte de catastrophe. Tout en indiquant qu’il n’y avait pas de risque de tsunami, il a conseillé de ne pas s’aventurer dans les lagons et sur les plages dans les régions de l’Ouest et du Sud. Aucune réplique n’a été notée. Mais l’United States Geological Survey, qui surveille les activités sismiques dans le monde, a observé la formation de grosses vagues qui se sont calmées par la suite, sans atteindre les côtes.

En réalité, les tremblements de terre se produisent tout le temps. Un mois plus tôt, presque jour pour jour, le NDRRMC avait signalé un séisme de magnitude 5 sur l’échelle de Richter à 218 km au nord de Rodrigues. Dans son communiqué, il avait affirmé qu’il n’y avait aucun risque de tsunami pour Rodrigues et encore moins pour Maurice. En 2021, un séisme marin de magnitude 6,6 avait été enregistré au large de Maurice. Des secousses avaient été notées à 1 000 km au nord-est. Aucune alerte au tsunami n’avait été déclenchée non plus. Idem en 2007, lorsque le volcan La Fournaise, à La Réunion, avait provoqué un séisme de 6.0.

Image de carte postale ou la sécurité ?

La situation géographique de Rodrigues est plus sensible que celle de Maurice. L’île est située à 300 kilomètres d’un secteur appelé la «Triple Jonction de l’océan Indien» qui connaît une activité sismique plus importante. Elle enregistre en moyenne une ou deux secousses par mois, mais de faible intensité, entre 3,5 et 5,2 sur l’échelle de Richter.

Tous les océans connaissent régulièrement des tremblements, résultats de collisions entre deux plaques tectoniques ou d’éruptions volcaniques. «Maurice, La Réunion et Rodrigues sont proches d’une jonction entre les plaques africaines, antarctiques et indo-australiennes», relevait le géomorphologue-hydrogéologue Prem Saddul dans l’express. *«Ce sont des mouvements de magma qui provoquent des frictions de ces plaques.» *Selon lui, cette zone enregistre de 14 à 16 séismes par an. Relativement faibles en ampleur, ils sont sans conséquence, au point où l’expert préfère parler de secousses telluriques au lieu de tremblements de terre. Les plus grosses secousses enregistrées à Rodrigues datent de 2013 et 2014. Elles avaient atteint une magnitude de 5,2.

Vassen Kauppaymuthoo, ingénieur environnemental et océanographe, s’est aussi penché sur le faible tremblement de terre de mercredi matin et met en garde contre toute complaisance par rapport à l’avenir. «Il ne s’agit pas de faire peur à la population, mais de dire la vérité», lance-t-il. «Il n’y a aucun endroit au monde qui soit à l’abri de ce phénomène et de ses conséquences dévastatrices.» Il s’élève contre ceux qui, de tout temps, veulent protéger l’image de carte postale et la réputation du pays alors que les risques pour la sécurité sont bien réels. «Les scientifiques observent et relatent des faits, et selon eux, il est irresponsable d’exclure des risques sismiques, volcaniques et de tsunamis à Maurice», affirme-t-il.

Maurice parmi les 50 pays les plus exposés Selon l’expert, il est aussi faux de dire que notre région océanique n’a pas connu d’événements sismiques. Il rappelle que l’Île Plate et l’Îlot Gabriel, dans le nord du pays, ont été secoués en 2004 et que l’Île aux Bénitiers, qui mesure 2 km sur 500 mètres sur la côte sud-ouest, a été formée par la dislocation d’un pan de La Réunion suite à un séisme.

«Mieux vaut prévenir que guérir», fait valoir Vassen Kauppaymuthoo. «Au lieu de fermer les yeux, préparons-nous plutôt à toute éventualité. Cela nous permettra d’éviter des catastrophes comme celle vécue par les Haïtiens en 2010.» Ce 12 janvier, un séisme de magnitude 7,3 sur l’échelle de Richter avait dévasté l’île et fait plus de 220 000 morts et 300 000 blessés. C’était le plus puissant depuis 200 ans et il avait détruit les habitations de 1,5 million de personnes et généré une crise humanitaire et sanitaire majeure.

L’océanographe revient aussi sur le tremblement de terre de décembre 2004 d’une magnitude de 9,1 à 9,3 dans l’océan Indien avec son épicentre à Aceh, île indonésienne, à la frontière des plaques tectoniques eurasienne et indo-australienne. Il avait provoqué un tsunami monstre qui avait frappé l’Indonésie, la Thaïlande, le Sri Lanka et l’Inde de plein fouet. Le bilan en vies humaines avait été estimé à 250 000 personnes. Vassen Kauppaymuthoo relève que les grosses vagues avaient aussi fait des victimes en Somalie et aux Seychelles et avaient atteint les Comores, La Réunion, Rodrigues et même Maurice.

«Désormais, on peut craindre que le changement climatique et la fonte des glaces en Antarctique accélèrent les modifications structurelles de la planète et provoquent de plus fréquentes catastrophes», poursuit-il. «Dès lors, le langage de vérité doit s’imposer pour assurer la sécurité de la population à long terme.» Il affirme que certains hôtels à Maurice reconnaissent les risques liés à d’éventuels tsunamis et ont déjà mis en place des plans de sauvetage pour leurs clients. Selon l’Unesco, qui est responsable de la gestion des océans au sein de l’ONU, davantage de tsunamis sont à prévoir compte tenu de la montée du niveau de la mer causée par le changement climatique. «Soyons pragmatiques et dépassionnons le débat», demande l’expert. «Notre pays fait partie de la liste des 50 pays parmi les plus exposés aux catastrophes naturelles, selon un classement de l’ONU.»

Plus fréquentes et plus dévastatrices

Les États de l’océan Indien ont tiré la leçon des conséquences mortelles et dévastatrices du tsunami de 2004. Avec l’aide de l’Unesco, un système d’alerte a été mis en place, notamment des capteurs qui détectent toute montée inhabituelle des houles. «Un séisme marin donne lieu à des vagues qui peuvent se déplacer très vite», fait remarquer l’océanographe. «Le système d’alerte est alors essentiel pour prévenir les populations côtières en cas de tsunami.» Selon Vassen Kauppaymuthoo, le pays dispose d’un bon niveau de préparation pour faire face à un cyclone ; nous devons avoir les mêmes outils pour pouvoir sauver des vies en cas de tsunamis. À Maurice, il faut le dire, une grande partie de la population habite dans les zones côtières.

Notre interlocuteur plaide pour une prise de conscience non seulement par rapport aux tremblements de terre et d’éventuels tsunamis, mais aussi contre toutes les autres calamités, y compris les cyclones. «Le dernier grand cyclone qui a balayé le pays date de 2002», rappelle-t-il. «Fin janvier, Dina avait provoqué des dégâts importants, surtout dans le nord de l’île, avec des rafales qui avaient atteint 280 km/h. Aujourd’hui, un grand nombre de jeunes n’ont pas conscience des dangers potentiels. Dès lors, le pays doit investir dans l’information, l’éducation et l’entraînement et être prêt à faire face non seulement aux tremblements de terre et aux tsunamis, mais aussi aux inondations et aux cyclones.» Enfin, Vassen Kauppaymuthoo souhaite une coopération régionale accrue pour se préparer et affronter les catastrophes naturelles qui seront inéluctablement plus fréquentes et plus dévastatrices.