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Dirigeants et destins croisés

19 mai 2024, 09:59

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Partout le problème de transition ou de non-transition se pose. Les réponses diffèrent d’un endroit géographique à un autre. Même deux îles comme Maurice et Singapour auront connu des trajectoires différentes en raison de la qualité des dirigeants que nous avons hérités sous nos cocotiers et que nous élisons, en connaissance de cause (?) ou sans grande excitation, à chaque fois que la loi nous le permet.

Après 16 ans au pouvoir, Angela Merkel, qui dirigeait la première puissance européenne, a bien préparé sa sortie de la scène politique. La «chancelière éternelle» est partie la tête haute, applaudie par la majorité des 80 millions d’Allemands. L’usure du pouvoir, propre aux dirigeants de plusieurs pays (dont ceux ayant dirigé le nôtre), n’a eu aucun effet sur elle.

Merkel, née le 17 juillet 1954 à Hambourg, est restée accrochée, non pas au pouvoir mais, aux principes et valeurs qui lui sont chers depuis qu’elle s’est engagée en politique : une large et profonde connaissance des enjeux de bonne gouvernance, un réalisme politique, un engagement sincère et sans détour en faveur du service public et de la dignité humaine, un détachement des biens qu’elle aurait pu accumuler. Elle a choisi de vivre pleinement sa vie politique, mais simplement, sans opulence.

C’est sans doute ce qui expliquait la douce mélancolie, qui s’était installée dans les coulisses des relations internationales depuis l’annonce de sa retraite, vers la fin de 2021. Dans les forums internationaux, sa prestance, son sérieux et son pragmatisme sont absents, lourdement. Elle savait parler un langage de vérité; les dirigeants du monde entier la respectaient beaucoup pour cela, eux qui souvent pratiquent la langue de bois ou qui brandissent le secret d’État.

Merkel est parmi ces dirigeants qui brillent en temps de crise. En 2008, la crise financière la propulsait en tête des sondages. La pandémie du Covid-19 n’a fait que consolider sa place de choix dans le coeur de ses concitoyens, qui avaient l’impression qu’ils étaient entre de bonnes mains, maternelles et débrouillardes. Certes, il y a eu des critiques aussi. Par exemple, Merkel était pointée du doigt pour son manque de vision globale ou de leadership sur la scène internationale : on la trouvait moins charismatique qu’un Emmanuel Macron, moins flamboyante qu’un Boris Johnson, bien plus discrète dans sa gestuelle qu’un Obama ou un Narendra Modi. Lors d’une conférence de presse, à ses débuts, une journaliste l’avait interrogée : «We notice that your suit is repeated, don’t you have another?» La réponse de Merkel a fusé et a frappé les esprits depuis: «I am a government employee and not a model!»

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Mi-avril 2024, le Premier ministre (PM) de Singapour, Lee Hsien Loong, a annoncé qu’il quitterait son poste à la mi-mai, après un mandat de 20 ans, pour être remplacé par l’actuel vice-Premier ministre, Lawrence Wong. En poste depuis 2004, Lee Hsien Loong n’est autre que le fils du légendaire Benevolent Dictator Lee Kuan Yew, le premier PM de Singapour depuis l’accession de l’ancienne colonie britannique à l’Indépendance. Des élections générales doivent avoir lieu d’ici novembre 2025 mais selon certaines sources singapouriennes, elles pourraient se dérouler cette année. Quant à Lawrence Wong, économiste de 51 ans, formé aux États-Unis, «il sera seulement le deuxième non-membre de la famille Lee à diriger Singapour», relève Le Monde. M. Wong fait partie d’une nouvelle génération de députés du Parti d’action populaire (PAP), qui gouverne Singapour sans interruption depuis son indépendance en 1965. Le nouveau PM est surtout salué pour une gestion efficace de la crise du Covid-19 lorsqu’il a supervisé le groupe de travail du gouvernement sur la pandémie. «La cité-État a été l’une des premières économies d’Asie à se remettre rapidement en selle lorsque la pandémie s’est atténuée en 2022», met en avant la presse internationale. Qui rappelle aussi que «l’image du PAP a été récemment entachée par des scandales, qui ont vu deux députés démissionner et un ministre, mis en examen devant un tribunal, pour corruption.»

Contrairement à d’autres dirigeants, Merkel et Lee Hsien Loong n’ont pas une propriété démesurée, avec piscines et aires de jeux de taille olympique, ils n’ont pas placé leurs proches à des postes de responsabilité.

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Revenons à Maurice. Notre PM Pravind Jugnauth a beaucoup de responsabilités. Peut-être même trop pour une seule personne. En fait, personne ne peut se mettre à sa place actuellement. Il est le chef du gouvernement soucieux de la bonne gouvernance du pays et du besoin de ne pas gaspiller les sous de l’État (paramètres majeurs avant des élections générales), il est aussi le Leader of the House, et il doit, en tant que tel, gérer le calendrier de l’Assemblée nationale avant ou en attendant la dissolution automatique, le 21 novembre prochain, et enfin, comme leader du Mouvement socialiste militant et général du Sun Trust, il doit veiller, comme stratège de la guerre totale et finale, à la bonne marche de ses troupes et de ses alliés. C’est beaucoup d’enjeux, qui s’entrechoquent dans la tête d’un seul être, aussi puissant soit-il…