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Que de temps perdu à gagner du temps

14 mai 2024, 10:23

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● Pourquoi la partielle au n°10 n’aura pas lieu

● Pourquoi le Parlement sera dissous avant le 9/10/2024

Parmi toutes les folles dates qui circulent suivant la démission de Vikram Hurdoyal – soit le 11 juillet pour le dépôt de candidatures de la partielle au n°10 et le 9 octobre pour le scrutin y relatif – il n’y a, selon nous, qu’une seule certitude, à ce stade, que le Premier ministre ne va pas confirmer : l’Assemblée nationale sera dissoute avant le 9/10/2024, soit avant sa date d’expiration qui est le 21/11/2024. Pravind Jugnauth ne peut tout simplement pas se permettre une partielle à Montagne-Blanche–Grande-Rivière-Sud-Est. Entre-temps, nous allons assister à une valse de candidatures au n°10 puisqu’il s’agira pour tout un chacun de maintenir une présence, même hypothétique, puisque de toute façon les législatives, imminentes, constituent la toile de fond sur laquelle tout finira par se jouer : de la liste des candidats virtuels ou réels au dépôt de candidatures pour les générales.

S’il y a un consensus qui se dessine parmi l’opinion, que le writ pour la partielle au n°10 est un trompe-l’oeil, puisque le Premier ministre n’est pas disposé à dévoiler ses cartes, il y a, en revanche, encore un flou. Est-ce que Pravind Jugnauth va commettre un bis repetita par rapport aux partielles et législatives de 2019, ou va-t-il modifier son jeu pour confondre ses adversaires jusqu’au dernier moment, d’autant qu’on a déjà brandi les nouveaux registres d’électeurs et les nouvelles frontières de certaines circonscriptions ? Ci-dessous, ces quelques points tentent de décortiquer un jeu politique complexe que Vikram Hurdoyal est venu bouleverser en démissionnant du Parlement le 13 février, après avoir été révoqué comme ministre de l’Agro-industrie pour motifs inavoués, enterrés dans le secret du Sun Trust.

Untitled-8.jpg Au total, 26 candidats se sont inscrits, le 17 août 2019, pour la partielle au n°7 qui n’a jamais eu lieu. 42,31 % des candidats avaient plus de 60 ans et l’on comptait deux femmes.

1) La dépression tropicale nommée Hurdoyal. Jusqu’au 13 février 2024, Pravind Jugnauth détenait quasiment toutes les cartes électorales en main. Sa façon hautaine d’en parler trahissait sa supériorité. Avec la démission de Hurdoyal, la donne a changé, le calendrier est devenu plus compliqué pour lui et son équipe. L’horizon 2025 s’est assombri ; les nuages l’ont rendu invisible. À ce jour, surtout après la manifestation réussie de l’opposition parlementaire le 1ᵉʳ-Mai, à Port-Louis, une partielle au n°10, avant les générales, paraît impensable, car trop risquée pour le pouvoir qui craint un effet domino en cas de défaite – tout au long de la ceinture 4-14. C’est pour cela que les conseillers du Premier ministre ont déjà commencé à lui dire : le plus vite que se tiennent les prochaines législatives, de préférence après le cinquième Budget de Renganaden Padayachy, le mieux ce sera pour le Sun Trust.

2) Quel parallèle avec le cas Lutchmeenaraidoo ? Le cas de Vikram Hurdoyal rappelle certes celui de Vishnu Lutchmeenaraidoo en 2019. Dans les tragédies grecques, le chant du cygne s’avère la dernière oeuvre de quelqu’un avant de mourir. Mais Hurdoyal est différent. Jeune, fougueux et instable, il a déjà retrouvé le chemin du Sun Trust et pourrait même être aligné par le MSM pour s’auto-remplacer. En mars 2019, pris de court par la démission de Lutchmeenaraidoo, Pravind Jugnauth avait trois choix : 1). Affirmer qu’il n’y aura pas d’élection partielle à cause des élections générales imminentes. 2). Annoncer la tenue d’une partielle. 3). Avouer qu’il ne savait pas trop comment gérer le calendrier électoral (partielle puis législatives). Au final, l’option 2 avait été privilégiée afin de conserver les cartes entre les mains de Pravind Jugnauth, tout en semant le doute dans l’esprit des oppositions décomposées. Si Pravind Jugnauth avait abondé dans le sens d’une non-partielle, il aurait, indirectement, donné une indication sur la date de la dissolution du Parlement.

3) Que dit la loi et que ne dit-elle pas ? D’après les Representation of People Regulations 1987, à partir de la date de démission d’un membre de l’Assemblée nationale (celle par exemple de Lutchmeenaraidoo, intervenue le 21 mars 2019), le Premier ministre dispose de 90 jours au maximum pour émettre le writ of election (ce qui nous aurait menés au délai du 18 juin 2019 au plus tard). Ainsi, la partielle aurait dû se tenir 150 jours plus tard, soit en novembre 2019. Et la seule façon d’éviter la partielle – qui risquait de donner encore plus de sérum au PTr, revigoré après sa franche victoire au n°18, suivant la démission de Roshi Bhadain –, c’était donc de dissoudre le Parlement. Ce que Pravind Jugnauth démentira jusqu’au bout avant de faire précisément cela. En 2024, dans le cas de Hurdoyal, Pravind Jugnauth a attendu le 89ᵉ jour sur les 90 pour faire émettre le writ. Le maître des horloges veut gagner du temps et surtout en faire perdre à ses adversaires qui ne savent pas trop sur quel pied danser davantage : sur celui de la partielle du 9 octobre ou sur celui des générales.

4) Le maître des horloges et notre destin ? Après deux mandats du MSM, et un mandat et demi pour Pravind Jugnauth, le contexte de 2024 diffère de celui de 2019, forcément. En septembre 2019, Pravind Jugnauth nous disait que le Parlement ne serait pas dissous de sitôt. Mais personne ne le croyait quand l’on savait qu’il se préparait activement pour affronter l’épreuve qui déterminerait non seulement son sort ou celui de son parti, mais la survie de sa dynastie. Mais un évènement était venu s’intercaler entra la parole du politicien et la loi électorale : la visite papale. En maintenant alors que l’Assemblée nationale allait poursuivre ses travaux bien au-delà de la visite papale, le leader du MSM voulait nous faire croire que la partielle du n°7 allait se tenir bel et bien le 13 novembre 2019. Il lançait, par la même occasion, le message qu’il ne voyait aucun problème à dépenser une trentaine de millions de nos roupies pour élire un candidat pour le plus court mandat de l’histoire politique (soit pour une vingtaine de jours seulement !).

5) Mais jusqu’à quand peut-il gagner du temps et fuir l’affrontement… On verra bien. Une chose est sûre : on ne devrait plus permettre à un Premier ministre de berner tout le monde à cause de ses pouvoirs illimités. Nous nageons en plein suspense électoral. Il ne se passe pas un jour sans que l’on spécule sur la dissolution imminente du Parlement. Mais jusqu’ici toujours rien. Les coupures de ruban et les débauchages ne sont apparemment pas encore finis. Il y a aussi l’aspect éthique politique. La campagne du gouvernement s’inscrit dans une logique de diabolisation du camp adverse incarné par le duo Ramgoolam et Bérenger qui n’est pas une promesse de nouveauté. Tenir la partielle du n°10 dans le but de pouvoir tenir les générales en 2025 équivaudrait à faire perdurer «la farce». «(...) une élection partielle est prévue pour un mois avant la dissolution automatique du Parlement ! Donc, à première vue, on dépensera des millions pour élire un député qui ne siégera que pour quelques semaines ! Cela lui permettra quand même au cas où il est réélu aux générales de justifier de deux mandats lui donnant droit à une pension à vie! Il est évident qu’en voulant éviter à tout prix une partielle le régime a été contraint de pratiquer un jeu absurde mais légal. Tout ce qui est légal n’est pas nécessairement légitime» , s’indigne Milan Meetarbhan, constitutionnaliste et conseiller de Navin Ramgoolam.

6) Si Pravind Jugnauth ne bluffait pas… C’est un cas de figure absurde, mais pas illégal. Dans leur majorité, les oppositions ne comptent pas participer à la partielle du 9 octobre. Le travailleur social Nishal Joyram, qui est d’accord que l’on assiste à de grandes manoeuvres afin «de gagner un maximum de temps afin de peaufiner le stratagème idéal et d’aligner les étoiles qui mèneront l’équipe gouvernante vers l’hôtel du gouvernement» , préfère ne rien laisser au hasard. «(...) si l’opposition parlementaire et extraparlementaire, persuadées que l’annonce d’une partielle n’est que du chiqué, s’abstiennent d’aligner des candidats, cela pourrait avoir des conséquences désastreuses. Il est probable que, flairant que la chance de se faire élire aux élections générales est quasi inexistante, le MSM pourrait décider d’aller jusqu’au bout de son mandat (...) Considérons ce scénario hypothétique où aucun candidat de l’opposition ne se présente. Le candidat de l’alliance gouvernementale se fera conséquemment élire sans difficulté. Le Premier ministre n’aura donc aucune raison de ne pas attendre la dissolution automatique du Parlement pour fixer la date des élections générales en 2025 !» Notons qu’un caretaker government , après la dissolution du Parlement, ne peut plus légiférer mais aura, à sa disposition, les cordons de la bourse de l’État pour gérer les budgets déjà alloués.

Et le nerf de la guerre, plus que jamais, demeure l’argent, avec ou sans une loi sur le financement politique !