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Vishal Purmessur, plombier

Super Mario local mais sans moustache

24 mars 2024, 15:45

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Super Mario local mais sans moustache

Vishal et son fils Keyan, sept ans, la prunelle de ses yeux.

Il ne porte ni la moustache, ni la salopette bleue, ni le béret rouge, encore moins les gants blancs. Sa Princesse Peach, il semble l’avoir connue jadis mais il n’est pas très loquace à ce sujet ; il avoue quand même avoir débouché quelques conduits. Il ne s’appelle pas Mario mais Vishal Purmessur, il est plombier et manie les coupe-tube, les clés à bonde, les pinces à glissement, à cintrer, à emboîture, entre autres, comme pas deux.

L’homme de 47 ans n’est pas tombé dans les canalisations et autres tuyaux tout de suite. À 17 ans, il avait du fil et des aiguilles entre les doigts et travaillait dans le textile. Grâce à un dé à en découdre avec son avenir, il a décidé de prendre le chemin en épingle et de suivre des cours à l’IVTB avant de trouver de l’emploi à la Development Works Corporation (DWC), qui a fermé ses portes aujourd’hui. Cela, à la suite d’une «série de rapports défavorables sur la gestion financière de cet organisme parapublic», apprenionsnous au Parlement en 2007.

C’est grâce à Praveen Rama, un habitant d’Henrietta, contremaître à la DWC, qu’il se prend de passion pour le métier. «Il m’a tout appris, il m’a pris sous son aile, je tiens à le remercier.» Entre 1997 et 1998 il atterrit à Agaléga dans le cadre de son travail au sein du défunt organisme. Remontant l’allée des souvenirs, il se rappelle qu’il y avait 50 habitants sur l’archipel à cette époque. «Nou ti al konstrwir bann prémyé lakaz. Bann miray blok selman létwa profilaz. Disab pa pou kapav tini pwa dal, mem asterla.» De confier qu’alors, l’argent ne ‘circulait’ pas à Agaléga. «Kan ou al laboutik, banla koup lor ou lapay séki ounn asté. Kouma dir enn voucher kousma.»

Vishal s’occupait d’installer la plomberie dans ces maisonnettes. «Ti pé travay dépi lindi ziska samedi. Dan dimans, ti gagn enn ti répo, lerla nou ti al lapess, kass koko… Lavi zoli laba…» Y retournerait-il s’il avait le choix ? Non. Parce que désormais, il a son précieux «Coco» à la maison, son fils Keyan, qui a eu sept ans en janvier. S’il persévère dans la vie, c’est pour pouvoir offrir le meilleur à son enfant, celui qui a changé sa vie. «Tou séki mo fer zordi sé pou li, pou li kapav débrouyé, gagn enn zoli lavénir mem si mo pa la démin…»

Revenons au présent en faisant un petit détour par le passé. C’était il y a un peu moins d’un quart de siècle. Après la fermeture de la DWC, Vishal-Super Mario décide de se lancer à son propre compte. Sans Facebook, sans Instagram, les petites annonces n’étant pas encore tout à fait ‘à la mode’, c’est grâce aux «bout papyé kolé dan bann quincailleries ek niméro télefonn lorla» qu’il parvient à se faire une clientèle. Sa méticulosité et son professionnalisme font le reste, le bouche-à-oreille parvenant jusqu’au portemonnaie des clients qui apprécient le travail-bienfait-pour-pas-cher.

N’empêche que trouver un ouvrier de nos jours n’est pas chose aisée. Sans parler des prix qui dévissent le pauvre compte en banque déjà entamé par l’inflation et les courses au supermarché. «À notre époque, on se refuse à croire que le plomb puisse être transformé en or... jusqu’au moment où on reçoit la facture du plombier», disait d’ailleurs à juste titre George Bernard Shaw (NdlA, ben quoi, on n’a plus le droit d’étaler de temps en temps notre savoir ?)

Plus sérieusement, comment expliquer cette ‘pénurie’ de plombiers, d’électriciens, de maçons, de jardiniers dignes de ce nom ? Comment expliquer le fait qu’il faille se couper un bras pour tailler sa haie? Derrière les buissons de l’incompréhension, Vishal a une explication. Si certains en abusent, le fait est que les gens qui exercent ces métiers se font rares. «Zeness zordi népli anvi travay. Kot mo resté Chebel, ena enn ta koumsa. Zot bizin kass vite, fasil. Zot rod travay fasil. Si travay lazourné, bizin payé tanto pou zot, pa pou atann lafin lasemenn ou lafin dimwa. Ladrog oussi pé fer ravaz… Li telman domaz…»

Dans son T-shirt gris à rayures rouges, son jean pratique, son sac à dos volumineux posé sur le siège passager de sa moto, le quadragénaire dégage un air de «je n’ai pas trop de temps à gaspiller merci d’accélérer la cadence de vos questions». C’est que les minutes qui passent sont précieuses pécuniairement. Combien d’argent se fait-il par mois ? Ses yeux se dirigent vers le plafond, le calcul est hésitant. «Sa dépann. Mé minimum Rs 30 000. Parfwa doublé parfwa lamwatié, sa dépann travay. Mo travay lindi à samedi, dimans mo gard pou lafami sof si éna irzans…»

Si comme tout le monde, l’argent y contribue, ce n’est pas sa principale source de bonheur. «Mo tipti Keyan, limem pli importan. Mo ena mo mama mo papa oussi ek nou mari happy. Mo bien kontan mo ti lavi…» Et Princesse Peach alors ? «Inn trouv li mé bon… Kapav létan oussi inn fer défo…» Nous n’en saurons pas plus, la pelle de l’indiscrétion ayant heurté un rocher en creusant.

Pince à la main, sourire énigmatique sur le visage, le Super Mario local s’en va réparer, colmater des brèches, défuiter des douchettes. Après avoir livré quelques tuyaux sur son quotidien.