Publicité

Éclairage

Quand les dépenses pré-électorales sont appelées à faire exploser la dette publique

7 février 2024, 09:10

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Quand les dépenses pré-électorales sont appelées à faire exploser la dette publique

Qu’on le veuille ou non, à l’approche de l’échéance électorale, la dette publique s’imposera dans le débat politique et deviendra à coup sûr un argument de campagne. Cela, vu que d’une année à l’autre, elle tend à grimper et atteint des proportions souvent alarmantes. Celle de décembre 2023, en s’appuyant sur les dernières statistiques du ministère des Finances, démontre qu’elle a déjà dépassé la barre des Rs 500 milliards, plus spécifiquement Rs 511,9 milliards.

Toutefois, comparé au Produit intérieur brut (PIB) du pays, la dette publique est en légère baisse : 78,6 % contre 81 % en juin 2023 et 79,3 % en septembre de la même année. Raison avancée : une augmentation du PIB estimée en décembre 2023 à Rs 651,7 milliards, après les baisses conséquentes liées à la contraction économique en 2020, dans le sillage de la pandémie. Des économistes y voient un PIB gonflé artificiellement par la création monétaire et sa comptabilisation révisée, incluant les revenus primaires engrangés via les Global Business Companies.

À plus de Rs 500 milliards, c’est déjà une dette de Rs 425 000 sur la tête de chaque habitant. De quoi alarmer le commun des mortels et s’attirer des critiques des économistes et de l’opposition, qui s’interrogent sur la gestion de la dette publique et sa trajectoire.

L’économiste Eric Ng est catégorique : «Si sous le gouvernement 2014-2020, la dette du secteur public augmentait au rythme de Rs 2 milliards par mois, maintenant, c’est Rs 2,5 milliards par mois !» Comme quoi, dit-il, le ministère des Finances fait très peu d’efforts «pour freiner son appétit gargantuesque en matière de dépenses publiques, en dépit de toutes les déclarations qui voudraient nous faire croire le contraire».

Pierre Dinan a une lecture nuancée. Il estime que les données statistiques à retenir au niveau de la dette publique, c’est surtout le pourcentage en termes de PIB. «Les milliards ne sont pas strictement comparables puisque la roupie ne cesse de glisser en valeur. Une dette publique dépassant les trois quarts du PIB, ce n’est pas négligeable.» Il faut, selon lui, prendre toutes les mesures pour enrayer cette hausse, pour, en fait, en réduire le pourcentage. Or, dans les moyen et long termes, «la seule manière d’y parvenir, c’est de déployer le mieux possible toutes nos ressources économiques en vue de grossir le PIB de manière significative».

Qui dit dette brute de l’État dit obligatoirement celle des entreprises publiques et des corps paraétatiques fortement endettés ces dernières années. Sur une vingtaine, il y en a au moins six dont le niveau d’endettement dépasse largement les milliards de roupies au 30 décembre 2023.

Devises au prix fort

Comme on peut s’y attendre, c’est le Central Electricity Board qui tient la vedette avec une ardoise de Rs 6,1 milliards. Ce qui représente toutefois une baisse par rapport au montant de sa dette en juin 2023 quand elle s’élevait à Rs 4,6 milliards. De même, on retrouve la State Trading Corporation, le bras commercial du gouvernement, qui traîne une dette de Rs 4,2 milliards, et la Development Bank of Mauritius (DBM) qui est endettée à hauteur de Rs 4,3 milliards. Parmi les autres entités qui dépassent les milliards, on relève Airport Terminal Operations Ltd, une filiale d’Airport Holdings Ltd, avec plus de Rs 3 milliards de dette et la State Investment Corporation (SIC) devant Rs 1,7 milliard. Le montant de la dette de ces sociétés d’État, combiné avec d’autres en dessous de Rs 1 milliard, se montait à Rs 23 milliards en décembre 2023.

Cependant, le poids des dettes étrangères contractées par sept entreprises / corps para-étatiques a également alourdi la dette publique avec un total de plus de Rs 29 milliards. Généralement, la dette extérieure est destinée à financier les opérations de ces entreprises ou encore des projets d’infrastructure de l’État. À l’instar de SBM (Mauritius) Infrastructure Development Company, une filiale de SBM Bank, qui demeure de loin la société ayant contracté le plus gros prêt, auprès d’une institution indienne, l’Exim Bank, pour une valeur de Rs 16,6 milliards. D’autres entreprises publiques comme Airports of Mauritius Ltd, CEB, Mauritius Telecom ou encore MauBank Holdings ont des dettes étrangères qui se conjuguent en milliards de roupies.

En cette année électorale, il faut s’attendre à ce que le Trésor public ou, plus largement, le gouvernement ne se soucie outre mesure du niveau de la dette publique, conscient qu’elle est dans une phase baissière. Elle est passée de 92 % du PIB en juin 2021 à presque 79 % aujourd’hui, soit en deçà, selon le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, de l’ancrage fiscal déterminé par le Fonds monétaire international (FMI) qui était de 80 % du PIB. «Avec une croissance robuste de 8,9 % en 2022 et de 7,1 % en 2023, notre objectif est de réduire davantage la dette souveraine à son niveau prépandémique. Nous pensons pouvoir ramener la dette publique à 60 % du PIB bien avant 2030», soutient le ministre Padayachy. Pour le moment, son objectif budgétaire affiché l’année dernière de la ramener à 71,5 % du PIB à la fin de juin 2024 est loin de convaincre les spécialistes.

«Le PIB ne croît pas assez rapidement pour entraîner une baisse drastique du ratio dette /PIB, affirme Eric Ng, persuadé que les dépenses pré-électorales qui iront en s’accroissant vont faire grimper la dette publique dans les mois à venir.» D’ores et déjà, expliquent d’autres spécialistes, «la hausse de la pension à Rs 13 500 à ceux et celles ayant 75 ans ou plus, une mesure qui pourrait d’ailleurs être étendue aux retraités de plus de 65 ans, couplée à d’autres mesures électoralistes devraient faire filer la dette publique».

Des opinions que partage Pierre Dinan. Il y a lieu de craindre que la dette publique ne prenne l’ascenseur avec la tenue des élections générales cette année. Ce qui, du coup, dit-il, ouvrirait la voie à d’éventuelles hausses de la fiscalité (IncomeTax, TVA, taxe sur l’essence…) afin de gérer les déficits budgétaires. Mais il estime qu’il y a un autre aspect à considérer : c’est l’impact des largesses économiques et sociales sur le niveau et la nature des importations de biens et services du pays. «Celles-ci dépassent largement les exportations, soit Rs 35 milliards en 2022 et Rs 25 milliards en 2023 avec, pour conséquence, une forte pression sur la disponibilité des devises étrangères pour financier nos importations, obligeant ainsi la Banque de Maurice à acheter ces devises à des prix forts.» Résultat, «nos poches et nos portefeuilles doivent être élargis pour accueillir davantage de roupies mais celles-ci risquent de peser moins lourd qu’auparavant en termes de pouvoir d’achat».

Capacité de rembourser

Pour autant, faut-il s’obséder et toujours engager un débat sur le seuil de la dette publique, dans la mesure où le pays ne dispose pas de ressources minières ou pétrolières ? Certains économistes diront 60 % du PIB alors que d’autres estiment que le pays peut s’endetter davantage, à condition qu’il ait la capacité de rembourser ses dettes et que les fonds soient investis dans des projets susceptibles d’influer positivement sur la croissance économique. «Un taux élevé de la dette publique n’est pas nécessairement une mauvaise chose en soi. Sa bonne gestion peut améliorer le niveau de vie d’un pays, incitant la population à dépenser plus, favorisant une croissance économique soutenable dans le temps, en sus de générer plus de revenus fiscaux à collecter», explique l’analyste financier Imrith Ramtohul.

Aujourd’hui, comme hier, on cite volontiers le Japon ou Dubaï pour rappeler que les progrès économiques et sociaux dans ces deux États n’auraient pas été possibles si le plafond de la dette était limité à 60 % du PIB. D’ailleurs, nombreux sont les économistes et autres experts qui arguent que la dette du secteur public à Maurice dépasserait largement les 80 % du PIB si on inclut les Special Purpose Vehicules à travers lesquels l’État garantit des prêts internationaux.

Quoi qu’il en soit, la dette publique reste un indicateur économique éminemment politisé à Maurice comme ailleurs. Elle enflammera le débat politique à l’approche de la campagne électorale.