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Incompé-TEMPS

17 janvier 2024, 10:05

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Dimanche soir. Les faratas, le kari pwason, la bouteille Map Moris sont prêts, la tradition est respectée. Sur les réseaux sociaux, souffle une brise de bonne humeur. «Ki li pé fer, li pé alé pe vini ? Pa pé konpran.» On se fiait aux prévisions d’ici et d’ailleurs ; on a cru comprendre que Belal n’allait pas causer de gros dégâts chez nous, on savait qu’on allait devoir travailler le lendemain, qu’il n’y aurait probablement pas école. Nos préoccupations : le Guruji de TikTok rendu célèbre par les posts hilarants de l’impayable Fish John. Ou encore les états d’âme du M. Météo national, Afzal Goodur – qui se faisait lyncher, et à tort, on le verra plus tard, par certains internautes parce qu’il avait prédit un temps exécrable et un jour chômé et parce qu’il s’intéressait «trop» à la situation à l’île soeur. Tout comme une bonne partie des Mauriciens d’ailleurs, qui, entre deux grogs, affirmaient sur Facebook notamment qu’ils étaient de tout coeur avec les frères et soeurs de La Réunion. Dans la soirée, à la télé, le ministre Anwar Husnoo – qui préside la réunion du National Emergency Operations Command, rassure – l’alerte I pourrait être enlevée le lendemain. Le directeur de la météo, Ram Dhurmea, affirme pourtant le contraire. On ne s’inquiète pas outre mesure de ces baromètres verbaux opposés. Nous ne savions pas alors que le vent allait tourner…

Lundi matin. Les Mauriciens se réveillent sous un ciel gris – certains probablement avec une gueule de bois – les enfants font la grasse matinée si possible, l’école étant fermée. Malgré l’excès de roti la veille, il faut bien partir travailler «pour avoir son pain». Sur les chaînes d’infos internationales, la situation à l’île soeur fait toujours la une, Belal lui faisant toujours de l’oeil. Guruji – qui avait assuré qu’il avait fait en sorte que le cyclone s’en aille – inspire toujours les mèmes et les posts «pran nisa». Dans quelques heures, on allait tous rire jaune…

Aux alentours de 10 heures, nous passions en alerte II, à 10 h 30 environ, on annonçait une possible alerte III à 16 heures. À 11 h 30, on apprenait que les fonctionnaires pouvaient rentrer chez eux. La traditionnelle bataille, employés du secteur privé/fonctionnaires, n’avait même pas eu le temps de démarrer que des images incroyables pleuvaient sur les réseaux, une trentaine de minutes plus tard…

Le ciel nous tombait sur la tête. Chaos. Massacre incroyable. Mais tristement vrai. Des gens coincés dans leurs voitures, des véhicules qui s’entassent comme des briques de Lego, emportés par les flots. Des pleurs, du désespoir, l’incompréhension. Des pare-brise défoncés pour libérer des prisonniers d’un nouveau genre. Des employés coincés sur leurs lieux de travail, l’inquiétude des proches, appelant pour savoir où se trouvent ceux qu’ils aiment. Des yeux écarquillés devant des scènes jamais vues, même pas le 30 mars 2013. Un mort dont le corps flottera à côté d’automobilistes incrédules, des disparus, un retrouvé par le public le lendemain, de la douleur, de l’incertitude. Une tombe qui atterrit dans la cour des gens à St-Jean, des routes qui s’en vont comme les pièces d’un puzzle en carton, des infrastructures qui ont l’air aussi fiables que les prévisions météo, des drains inefficaces malgré des millions engloutis dans chaque Budget, des policiers et des autorités débordés, des dégâts psychologiques et matériels stupéfiants. Ce lundi noir, en ce 15 janvier 2024, marquait un peuple à tout jamais.

L’incrédulité passée, se déverse alors un torrent de colère, une cascade de reproches de la part d’une population en état de choc. Quelqu’un doit payer. Finalement, dans l’après-midi, ce sera le directeur de la météo qui sera «emporté» malgré lui par le courant du courroux, sacrifié comme un bouc émissaire, ayant «démissionné» comme l’annoncera le PM dans son allocution, après un épisode d’«atann nou gété» qui aura duré une journée. Anwar Husnoo se contentera de dire «sorry monn foté mé mo resté mwa parski pa mwa sa li sa», tout en blâmant la météo et en s’accrochant à son siège comme un crabe à un pan de mur du Caudan contre lequel s’écrasent des vagues géantes. Dip annoncera un confinement jusqu’au lendemain midi, menaçant les contrevenants de prison et d’amende. Quand on ne nous force pas à sortir, on nous oblige à rester à l’intérieur. Un jour, un grand philosophe a dit : «Apré lamor la tizann.»

Mardi matin. L’île Maurice se réveille douloureusement. Un arrière-(dé)goût amer persiste dans la bouche, dans les coeurs, dans la tête. On est tous sonné. Des dizaines de milliers de foyers sont privés d’électricité, plus de 1 500 réfugiés sont dénombrés, des routes sont impraticables, l’heure est au constat. L’alerte IV sera enlevée aux alentours de 10 h 30. Un autre cadavre sera découvert parmi les décombres durant la journée. Les rafales de la fureur populaire, elles, refusent de s’éloigner. Face aux incompé-TEMPS, qui font la pluie et le beau temps au détriment de la vie des gens.