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Assemblée nationale: les maudits mardis

19 mai 2020, 08:04

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Assemblée nationale: les maudits mardis

Dans l’esprit des Assemblée nationale : les maudits mardis Standing Orders, l’Assemblée nationale doit se réunir les mardis et par conséquent, les parlementaires auront l’occasion d’interpeller les ministres à chaque séance. Si la règle générale est que le Parlement se réunit les mardis et que la tenue d’une séance tout autre jour de la semaine est l’exception, ces derniers mois, l’exception est devenue la règle.

À l’ajournement de l’Assemblée nationale le vendredi 15 mai, Pravind Jugnauth a demandé  que l’Assemblée se réunisse de nouveau le jeudi 4 juin à 17 heures. Depuis la séance du 24 septembre 2019, l’Assemblée s’est réunie le lundi 2 décembre, le vendredi 24 janvier, le lundi 3 février, le vendredi 14 février, le lundi 24 février, le vendredi 28 février, le lundi 2 mars, le vendredi 6 mars, le lundi 16 mars et le vendredi 20 mars.

La première séance tenue un mardi l’a été le 5 mai. Cette séance est la première et la seule séance tenue un mardi depuis le 24 septembre 2019, soit pendant une période de presque NEUF mois. 

Comme la prochaine séance parlementaire est prévue pour le jeudi 4 juin, au cas où une séance doit se tenir un mardi elle n’aura pas lieu avant le 9 juin (au plus tôt). Si une séance est effectivement convoquée pour le matin du mardi 9 juin, cela voudrait dire que pendant une période de presque NEUF mois, les parlementaires n’auraient eu l’occasion d’adresser des questions aux ministres qu’en deux occasions.

Pourquoi les séances du mardi revêtent-elles une telle importance ?

Tout simplement parce que selon les Standing Orders qui régissent les procédures de notre auguste Assemblée, ce n’est que les mardis que les députés peuvent adresser des questions aux ministres. 

Or, les questions adressées aux ministres constituent un des principaux piliers du principe concernant «l’accountability of the Executive to Parliament». 

Ce principe est au coeur du régime parlementaire. L’exécutif est une émanation du Parlement - il reste en fonction aussi longtemps qu’il jouit de la confiance d’une majorité des parlementaires et il est redevable (accountable) au Parlement pour toutes ses actions. 

Ce principe fondamental d’un régime parlementaire est, dans le cas mauricien, pas uniquement un élément de la théorie savante. Il est prévu dans une disposition particulière de notre Constitution. En effet, aux termes de l’article 61 alinéa 2 de la Constitution mauricienne,

“2. The functions of the Cabinet shall be to advise the President in the Government of Mauritius and the Cabinet shall be collectively responsible to the Assembly for any advice given to the President by or under the general authority of the Cabinet and for all things done by or under the authority of any Minister in the execution of his office.”

Selon les Standing Orders de l’Assemblée nationale, les députés ne peuvent adresser des questions aux ministres que lors des séances qui ont lieu les mardis (même si le leader de l’opposition peut poser des Private Notice Questions lors des séances qui ont lieu autrement que les mardis) :-

L’article 22 alinéa 2 des Standing Orders prévoit clairement que les questions ne peuvent être posées que les mardis. “Questions shall be put only at Tuesday sittings and question time shall not exceed three hours…”

Même si un Parlement est l’organe législatif de gouvernement et on se réfère souvent aux membres du Parlement comme des législateurs, le rôle du Parlement n’est pas seulement de légiférer. Le Parlement composé des représentants du peuple exige et obtient de l’exécutif des informations, des explications et des comptes. Il le fait surtout à travers les questions parlementaires.

Un droit, pas un privilège

Un ancien speaker du Parlement canadien, James Jerome, définissait ainsi l’importance des questions parlementaires : «If the essence of Parliament is government accountability then surely the essence of accountability is the question period.» Il ajoutait que pour les parlementaires, interroger les ministres est un droit et non un privilège. 

Aux termes de l’article 21 des Standing Orders de notre Assemblée nationale l’objet des questions adressées aux ministres est d’obtenir des informations «on a matter of fact within the special cognizance of the Minister to whom it is addressed. (2) Questions may be asked of Ministers relating to public affairs with which they are officially connected, or any matter of administration for which such Ministers are responsible».

Si ces questions ne peuvent être posées que les mardis et que l’exécutif qui décide de la tenue des séances parlementaires évite que ces séances aient lieu les mardis, l’exécutif prive ainsi les parlementaires de la possibilité de poser des questions.

Dans une démocratie parlementaire les députés keep the Executive on its toes. Les ministres sont appelés à répondre non seulement aux questions qui leur sont adressées en avance mais également aux questions supplémentaires pour lesquelles ils n’ont pas eu de préavis. Un ministre qui méconnait son dossier se trouve alors dans une situation délicate. Les questions peuvent être posées aussi bien par les députés de l’opposition que par ceux de la majorité. Souvent, les élus de la majorité ne posent que des questions de complaisance selon des instructions reçues afin de permettre à des ministres de marquer des points sur leurs adversaires politiques ou de tirer un capital politique d’une action quelconque. Les backbenchers d’un gouvernement faillissent ainsi à leur devoir et à leurs responsabilités. Cela n’est pas toujours le cas. En Grande-Bretagne, les backbenchers du gouvernement posent souvent des questions qui embarrassent le pouvoir. Il arrive aussi à des backbenchers du gouvernement de voter contre le gouvernement sur certains projets de loi. 

Dans la pratique parlementaire mauricienne, c’est le Premier ministre qui demande l’ajournement des travaux et propose la date de la prochaine séance. Le Premier ministre est communément appelé le «Leader of the House», même si ce titre ou cette fonction n’est prévue dans aucun texte. Donc, dans les faits, il revient à un homme ou une femme de décider quand le Parlement se réunit même si, formellement, sa proposition est mise au vote. Dans beaucoup de pays c’est un comité regroupant les parlementaires de tous bords qui décide du calendrier parlementaire et du business of the House.

Selon un document publié par l’Inter Parliamentary Union, «Parliament and democracy in the twenty-first century:a guide to good practice», la gestion du business of the House se fait surtout par le biais de décisions prises par consensus.

“Control over business”

Equally relevant to a Parliament’s autonomy is control over its own business, and over the allocation of time between different types of business and between different parliamentary groups. In the traditional Westminster parliamentary system business was typically organised through informal arrangements between the Leader of the House (a Cabinet Minister) and opposition leaders and their whips. Such arrangements are now increasingly being formalised through a parliamentary business committee, on which all political groups are represented, and which is chaired by the Assembly President or Speaker. As an example, the chairmanship of the Business Committee of the Samoan Parliament has recently been transferred from the Prime Minister to the Speaker. Under this kind of arrangement the role of ‘Leader of the House’, if there is one, becomes more narrowly defined as ‘leader of government business in the chamber’. This evolution took place early in the life of the Indian Lok Sabha, with the creation of a Business Advisory Committee, whose members are nominated by the Speaker as ex officio Chair.

The function of the Committee is to recommend the time that should be allotted for discussion on such government, legislative and other business as the Speaker in consultation with the Leader of the House may direct to be referred to the Committee. After the report of the Committee is agreed by the House, the allocation of time in respect of bills and other business takes effect as if it were an order of the House.

In the South African Parliament, there is a Programme Committee for each House, meeting weekly, and a joint Programme Committee for both Houses which has the responsibility for preparing the annual programme for Parliament, including the legislative programme. This Committee allocates time for the Executive’s legislative and other business and sets deadlines by which the Executive must introduce bills in Parliament, subject to fast-tracking in exceptional circumstances according to predetermined criteria. Within this agreed allocation, the Leader of Government Business, who is ‘responsible for the affairs of the national executive in Parliament’, takes responsibility for programming all parliamentary business initiated by the executive and for the attendance of relevant Cabinet members. These Programme Committees typically make decisions by consensus.”

À Maurice, les Standing Orders prévoient que «… the Assembly shall sit on Tuesdays at 11.30 o’clock in the morning or at such other day and time as it may decide”.

Donc il est clair que dans l’esprit du texte, l’Assemblée doit se réunir les mardis et que par conséquent, les parlementaires auront l’occasion d’interpeller les ministres à chaque séance. Si la règle générale est que l’Assemblée se réunit les mardis et que la tenue d’une séance tout autre jour de la semaine est l’exception à la règle, la pratique suivie ces derniers mois fait que l’exception est devenue la règle. 

Le Covid-19 Bill et le Quarantine Bill ont été adoptés vendredi dernier sans qu’il n’y ait de division of votes comme réclamé par l’opposition. Certes, la procédure suivie pour faire voter les projets de loi est conforme à la lettre des Standing Orders. Un division of votes permet à chaque parlementaire de consigner pour l’histoire son accord ou son opposition à l’adoption d’un projet de loi. Pourquoi est-ce que Pravind Jugnauth a objecté à la demande de l’opposition, même s’il pouvait se prévaloir des Standing Orders pour objecter ? Le résultat c’est que les noms des parlementaires ayant soutenu ces deux textes de loi ne seront pas consignés pour l’histoire dans les annales du Parlement.

‘Backbenches’ inactifs

À Maurice, aucun projet de loi n’a été proposé par l’exécutif depuis les élections de novembre dernier, avant ceux du 5 mai. En effet, les séances qui ont eu lieu depuis les élections ont été essentiellement consacrées au discours-programme. Donc au final, les backbenchers qui ne posent aucune question ou qui n’ont pas eu l’occasion de débattre des textes de loi depuis leur élection, environ six mois plus tôt, ne sont intervenus au Parlement que pour faire les éloges du pouvoir ou s’attaquer à l’opposition. 

Il n’y a eu aucun débat sur un projet de loi ni aucune question des députés (autre que le leader de l’opposition) entre octobre 2019 et juin 2020, à l’exception des séances de la semaine dernière. Nos honorables parlementaires ont quand même été invités á élire le président et le vice-président de la République. Tache ô combien importante ! Cette séance n’a duré que deux minutes. Le Premier ministre s’est levé pour proposer le nom de SON candidat à la présidence. Les députés qui, 30 secondes plus tôt, ne connaissaient même pas l’identité du candidat ont quand même voté immédiatement pour son élection. Moins de deux minutes plus tard le pays avait un nouveau chef de l’État et Commander in Chief. Le tout a duré moins de deux minutes. Les parlementaires avaient ainsi accompli la tâche la plus importante de leur mandat avant le vote de vendredi dernier.