Publicité

Les mérites de l’informel

1 mars 2019, 08:02

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

Commençons par définir ce que nous entendions au ministère du Tourisme par «l’informel» vers la fin des années 80. Tout simplement l’hébergement chez l’habitant en complément des facilités offertes par les hôtels avec leur panoplie de certificats «formels». Ce concept fait actuellement débat dans les milieux concernés à Maurice. Internationalement, l’informel est en pleine expansion.

Une analyse menée en 1986 sur l’évolution de l’industrie du tourisme avait révélé certaines faiblesses d’organisation et de promotion. De plus, les bouleversements politiques des années 80 avaient créé un climat d’incertitude généralisée. Le calme revenu, le ministère et l’Office du Tourisme (MGTO), ce dernier sous une direction plus professionnelle, s’assignèrent quelques objectifs prioritaires dont :

  • encourager l’investissement dans une hôtellerie de grande qualité ;
  • booster la promotion dans les marchés porteurs, européens surtout, avec un budget annuel beaucoup plus étoffé.

Cela nous valut, inter alia, la construction du Royal Palm, la recherche d’événements pouvant augmenter le nombre des arrivées, une révision de notre représentation à l’étranger. Les Assises du Tourisme (1986) précisèrent l’impératif de qualité dans la formation, les services, le réceptif, les brochures, le choix du haut de gamme plutôt que le sac à dos.

La première expérience événementielle fut le Festival de la Mer (FIM 87). Il en résulta bien vite une augmentation substantielle des arrivées (+25,6 % en 1987) et une capacité d’accueil en expansion. Il s’avéra toutefois que cette dynamique favorisa surtout ceux qui avaient la capacité d’investir dans l’hôtellerie en adhérant aux normes d’excellence et d’exclusivité.

En profitèrent les groupes déjà bien structurés (Beachcomber, Sun), certains alliés à des partenaires étrangers expérimentés capables de propulser le tourisme à un plus haut niveau d’organisation, à de plus grandes possibilités d’emploi, à plus de rentabilité pour les investissements. Le fisc y trouva son compte.

Ces nouvelles dispositions laissèrent sur la touche le Mauricien moyen, propriétaire d’un «campement» qu’il aimerait bien pouvoir louer à des étrangers sur d’autres critères que l’amateurisme et participer à sa manière à l’industrie du tourisme. Il en parla au ministère en se plaignant d’une certaine hostilité de la part des hôteliers.

Le ministre de l’époque se retrouva écartelé entre protéger les lourds investissements qui avaient été encouragés et trouver le moyen d’aider les débrouillards de la côte à s’organiser pour obtenir leur part de la manne touristique. Ce dilemme fut résolu en tenant compte des points suivants :

Une tradition d’hospitalité

Près d’un siècle avant l’établissement d’un ministère du Tourisme, vers la fin des années 60 ou début 70, beaucoup de familles mauriciennes étaient déjà installées sur la côte, pieds dans l’eau, recevant visiteurs et amis locaux. Louer les facilités d’hébergement pour des séjours à la mer a donc été pratique courante pendant des décennies. Il fut conclu que le désir de développer cette ressource et participer au développement économique, modestement certes, était légitime.

La libre entreprise

La zone franche venait fraîchement de démontrer la capacité du Mauricien d’imaginer, de créer, de s’adapter à de nouvelles exigences commerciales, industrielles et administratives. S’émanciper du sucre n’eût pas été possible sans le courage de prendre des risques dans des secteurs nouveaux. Proposer une autre dimension d’accueil méritait donc d’être encouragé. Discrètement.

Vivier prometteur

Informés de l’existence d’une classe moyenne européenne qui cherchait autre chose que les «resorts and spa», certains propriétaires de baux sur les pas géométriques s’organisent pour la séduire aux charmes de l’île Maurice. Sont disponibles des refuges de plus longue durée, spacieux pour familles et enfants, confortables et d’un bon rapport qualité-prix. Le séjour pieds dans l’eau chez l’habitant répondait ainsi à la demande de tels touristes. Plus qu’une niche ce marché, selon nos sources, était composé essentiellement de membres d’une très large classe moyenne intelligente, curieuse et peu désireuse d’uniquement «bronzer idiot» sur les sables des tropiques.

Équité

Prêter une oreille attentive aux sollicitations de «petits» entrepreneurs valait aussi bien qu’étudier les projets élaborés des magnats de l’industrie. Il fut conclu qu’une approche de partage était équitable. C’est ainsi que s’amorça l’accès à une ressource économique d’appoint. Elle représente aujourd’hui une clientèle de près de 300 000 touristes heureux de résider chez l’habitant. L’expérience a prouvé, et prouve toujours, que ces visiteurs préfèrent le calme et l’espace des villas, le service ancillaire personnalisé, la rencontre avec les gens du village. Ils mangent souvent au restaurant, utilisent les taxis, bref dépensent gros sur place en devises fortes.

Ce segment de notre industrie touristique mérite d’être mieux reconnu, soutenu, encouragé alors qu’il est vu avec une dose de soupçon par les hôteliers. Attentives aux lobbies, les autorités veulent le pressurer à blanc en lui imposant une fiscalité insoutenable en dépit d’accords préalablement convenus. N’at- il pas été amplement prouvé que trop d’État et de taxe tue l’initiative privée et pénalise la croissance ? Penser qu’en décourageant l’informel le touriste ira séjourner dans les hôtels, c’est se fourrer le doigt dans l’oeil jusqu’au coude. Il ira trouver l’informel ailleurs.

L’informel représente-t-il un danger pour notre hôtellerie ? Tout au plus un manque à gagner. Et cela n’est même pas acquis ! Ces touristes, on le sait, et les agents le confirment, n’iront jamais séjourner dans les quelques mètres carrés des chambres d’hôtel, si confortables soient-elles. Peu grégaires, ils préfèrent explorer la gastronomie locale plutôt que s’attabler entre 19 et 22 heures dans les restaurants des «resorts», nonobstant la joyeuse convivialité de quelque 400 convives autour d’alléchants buffets.

À moins que le vrai mobile, cyniquement politique celui-là, serait de pousser les propriétaires de «campements» à résilier leurs baux que d’autres, les fortunés de notre oligarchie, accapareraient à des fins plus juteuses ! La revue HOSPITALITY (août 2018) analyse ainsi l’expansion de l’informel mondialement : «The lines between private and hotel accommodation are blurring. The key drivers for booking a private accommodation are price and location, meet local people and experience local culture... Consumers increasingly desire to explore more unique places to stay, including homes and apartments.»

Des agences spécialisées offrent déjà une très large sélection d’hébergements chez l’habitant de par le monde. Notamment Booking.com : 1 M 200 000 «vacation rental properties» dont le nombre augmente de 53 % «year after year» ; Airbnb’sv affiche 1 M 980 000 «instantly bookable properties». Home Away, Trip Adviser sont aussi actifs sur ce marché porteur.

Eric NG (Week-end 3.12.19) pense avec raison qu’il «...faut faire en sorte que les bienfaits du tourisme profitent plus aux petites entreprises que les grands groupes.» Disons «également» plutôt que «plus» – tenant compte de l’ampleur des investissements requis, en moyenne tous les cinq ans, pour maintenir le très haut niveau de notre parc hôtelier.

Au lieu d’essayer de pressurer abusivement les entrepreneurs locaux engagés dans la petite et moyenne hôtellerie familiale, la Tourism Authority ferait oeuvre utile en mettant un peu d’ordre dans la location d’hébergements dans l’outback de Case-Noyale, Grand-Baie, Mahébourg où des milliers de cases, de chambres, d’appartements sont loués à des touristes peu nantis.

Non pas en décourageant ces entrepreneurs à la petite semaine qui, à leur manière assez fruste,veulent s’accrocher à la locomotive du tourisme. Plutôt en les encourageant, en les aidant même par des prêts, à respecter les normes élémentaires de confort, de salubrité et de sécurité. Éventuellement, ils paieraient leur 15 % à la MRA…

En dépit des bonnes résolutions prises fin 80, le sac à dos est en pleine progression dans les zones périphériques mentionnées plus haut. La Tourism Authority et le MTPA devraient y porter plus d’attention afin d’éviter que l’image haut de gamme ne se dégrade. Inexorablement.