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?Il y a une certaine désillusion des pays en voie de développement?

3 septembre 2003, 00:00

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- A une semaine de la rencontre de Cancun, quelles sont les questions qui sont toujours en suspens depuis le sommet de Doha ?

Les négociations actuelles, plus connues comme le ?Doha Develop-ment Agenda?, ont été lancées au titre de la Déclaration ministérielle de Doha (novembre 2001). Cette Déclaration contient l?affirmation suivante : ?La majorité des membres de l?OMC sont des pays en développement. Nous visons à mettre leurs besoins et leurs intérêts au centre du programme de travail adopté dans la présente déclaration.?

A Doha, nous avons salué cette réaffirmation de l?Accord de Marrakech de 1994, dont un des objectifs explicites était le ?développement durable?. Ces engagements ont-ils été traduits dans la réalité ? C?est à cette tâche que les ministres doivent s?atteler à Cancun : le mandat de Doha a-t-il été respecté même si les négociations sont appelées à être conclues le 1er janvier 2005 ?

Force est de constater qu?il y a une certaine désillusion chez les PED (pays en voie de développement). Des 88 propositions qui ont été faites sous le chapitre Traitement Spécial et Différencié , seules quelque 23 ont été conclues. Pour ce qui est des sujets de mise en ?uvre (les Implémentations Issues), la situation est restée bloquée. En ce qui concerne l?accès au marché des produits agricoles et non agricoles, la tendance générale veut que les engagements pris à Doha n?ont pas été honorés. En revanche, les PED ont remporté une certaine victoire par rapport à l?Accord sur les ADPIC et la santé publique.

- La récente décision de l?OMC ouvre de nouvelles perspectives pour les pays les moins riches...

Effectivement, l?OMC a, le samedi 30 août, adopté à l?unanimité la décision du 16 décembre 2002 après huit mois de négociations intenses. Rappelons que plus de 2 milliards de personnes, soit un tiers de la population mondiale et jusqu?à la moitié de la population des régions les plus pauvres de l?Afrique et de l?Asie, n?ont pas accès aux médicaments essentiels. Ce manque d?accès aux médicaments s?explique principalement par les coûts exorbitants des médicaments brevetés. Par ailleurs, les systèmes de fixation des prix n?ont aucune logique. L?ensemble des Pays moins avancés (PMA) et la grande majorité des PED ne disposent ni de capacités nécessaires pour fabriquer les ingrédients thérapeutiques à la base des produits pharmaceutiques ni des moyens d?obtenir des produits finis à partir d?intermédiaires cliniques.

La Déclaration ministérielle sur la santé publique faite à Doha en 2001 affirme la primauté de la santé publique sur les droits privés conférés par les brevets. Elle autorise également l?utilisation des licences obligatoires pour outrepasser les brevets en cas d?urgence de santé publique. La Déclaration de Doha a donné mandat au conseil sur les Accords sur les droits de propriété intellectuelle) DPIC pour trouver des solutions concrètes avant le mois de décembre 2002. Aucune solution n?a été trouvée à cette date butoir. Le projet de décision publié par le conseil le 16 décembre 2002 propose une solution de compromis.

Mais ce texte, maintes fois débattu car il ne faisait l?objet d?aucun consensus, a finalement été adopté le 30 août, au grand soulagement des PMA et des PED. Soulignons qu?il s?agit d?une solution temporaire pour les pays n?ayant pas ou ayant peu de capacités de fabrication. La solution idéale serait de revoir carrément certaines dispositions contraignantes de l?accord sur les ADPIC et la santé publique.

Il ne faudrait pas croire que l?accord sur les ADPIC ne concerne que la santé publique. L?Article 27,3 (b) de cet accord autorise la protection de la propriété intellectuelle par rapport aux variétés végétales et autres formes de vie. Peut-on conférer des droits de propriété privée à des substances qui sont essentiellement des produits de la nature ? Peut-on criminaliser les pratiques traditionnelles des petits agriculteurs des PED et des PMA qui, pendant des générations, ont préservé, utilisé, échangé des semences entre-eux, contribuant ainsi à l?amélioration et l?évolution de nouvelles variétés de semences ?

L?Accord sur les ADPIC est conforme ni aux dispositions de la Convention sur la diversité biologique ni au Traité international sur les ressources génétiques des plantes. La Déclaration de Doha demandait un réexamen de l?Article 27.3(b) de cet Accord. Or à ce jour, c?est l?impasse totale !

- Quels sont les principaux intérêts que Maurice devra défendre lors de cette réunion ?

Bien évidemment tous les thèmes de négociations nous concernent dans la mesure où, avec la globalisation, tout est lié. Cependant, pour nos intérêts offensifs, nous avons décidé de mettre l?accent sur quelques thèmes qui ont pour nous une importance capitale à savoir, l?agriculture, les tarifs industriels, les petites économies, les acquis préférentiels, le principe de la non-réciprocité et l?extension des délais.

- Dans quelle mesure est-il correct de dire que les propositions de Girard ont été rejetées dans la dernière version du ?draft ministériel? qui doit être présenté à Cancun ?

En ce qui concerne le ministerial draft, précisons d?emblée qu?il n?émane pas des membres de l?OMC qui est une member-driven organisation mais qu?il a été préparé par le président du Conseil général sous sa propre responsabilité. Au cours de la réunion du Conseil Général de la semaine dernière, les PED et les PMA ont fait des représentations pour lui communiquer leurs divergences par rapport à certains points contenus dans ce draft. Le président en a pris note. Il a clairement fait savoir qu?il ne compte pas modifier son draft. Par contre, il l?accompa-gnera d?une lettre où il fournira, dans la mesure du possible, des éclaircissements aux ministres concernant les prises de position des différents membres. Comme vous le savez, eu égard à l?impasse dans les négociations agricoles, le draft ne parle plus de l?établissement de modalités pour les négociations mais d?un cadre (framework) pour l?élaboration des modalités. Et c?est ce cadre qui fera l?objet des discussions à Cancun. Il en est de même pour les propositions de Girard sur les produits non agricoles. Il n?y a pas eu de consensus sur les modalités proposées par Girard et au niveau de la formule de réduction de tarifs proposée et au niveau de l?approche sectorielle. Ici aussi, on dit adieu à ces modalités pour le moment et on va se concentrer sur le framework qu?il propose lui aussi. Girard a finalement accepté que la question des préférences doit être abordée alors qu?au départ il affichait une certaine inflexibilité. Dire que ses propositions sont tombées à l?eau, je n?y crois pas. Il y va sûrement y revenir mais ce sera après Cancun, quand nos ministres auront adopté le framework à Cancun avec des amendements ou non.

- Pourquoi l?Union africaine s?oppose-t-elle aux ?Singapore issues??

Pour ce qui est des 4 Singapore issues, nos ministres, lors de la Conférence ministérielle tenue à Maurice, ont fait sortir une déclaration sans équivoque, qui a été par la suite entérinée par nos chefs d?Etat et nos chefs de gouvernement à Maputo. Nous ne sommes pas prêts pour ces 4 nouveaux sujets : nous demandons que le processus de clarification continue. D?autre part, nous demandons que nos developmental issues soient réglées avant de prendre d?autres responsabilités pour lesquelles nous n?avons pas encore les infrastructures, les facilités et les compétences voulues. Et quand on parle de developmental issues, bien sûr nous faisons allusion au traitement spécial et différencié, aux thèmes de Mise en oeuvre et à l?accès aux marchés.

- Ne craignez-vous pas les discussions dans les coulisses, à Cancun ? L?équipe de négociateurs mauriciens est-elle suf-fisamment équipée pour y faire face et être sur tous les fronts critiques ?

Pour ce qui est des discussions dans les coulisses ou dans les ?Chambres Vertes?, nous n?y pouvons rien, même si nous n?avons pas cessé de mettre en garde l?OMC contre cette pratique de ?Green Room? qui consiste à privilégier certaines délégations au détriment d?autres pour des consultations. A Doha, nous l?avons constaté mais il paraît que c?est inévitable ? un mal nécessaire comme disent certains. Espérons que nos ministres qui seront présents à Cancun seront invités à participer à ces réunions sélectives même si sur le fond nous sommes pour la transparence totale et ?l?inclusiveness?. Le porte-parole de l?Afrique ne peut être tenu à l?écart des grandes discussions, c?est inadmissible ! Que ce soit au niveau de Maurice ou au niveau de Genève, je suis persuadé que nous sommes bien équipés. Nous serons présents sur tous les fronts, encore faut-il que chaque délégué sache exactement ce qu?il vient faire à Cancun. Nous allons devoir travailler d?arrache-pied pendant 5 jours comme une équipe soudée et harmonieuse. Que chacun assume ses responsabilités et ne cherche pas des boucs émissaires. D?ailleurs, je pense qu?au niveau du ministère de l?Industrie, on y pense sérieusement et on est en train d?élaborer un calendrier de travail, dans lequel chaque membre trouvera son compte.

- L?Union européenne (UE) a fait des propositions pour réformer la politique agricole commune. Quelles en sont les implications pour les ACP et pour le sucre mauricien en particulier ?

Par rapport à la réforme de la politique agricole, vous n?êtes pas sans savoir que l?UE et les Etats-Unis d?Amérique sont parvenus à se mettre d?accord sur les modalités. Bien évidemment les pays appartenant au Cairns Group trouvent que ces démarches ne sont pas assez ambitieuses. Ces derniers trouvent que les efforts de l?UE sont insuffisants par rapport aux trois piliers, notamment les subventions à l?exportation des pays riches, les aides internes excessives et inappropriées et l?accès aux marchés pour les PED. Maurice, bien évidemment, soutient les propositions de l?UE et des Etats-Unis d?Amérique. Certains pays d?Afrique, notamment, nous en tiennent rigueur mais nous avons à défendre nos intérêts vitaux et surtout nos acquis préférentiels. Et puis, n?oublions pas que l?agriculture n?a pas pour nous qu?une fonction marchande. Pour nous il y a aussi des préoccupations noncommerciales (Non Trade Concerns) dont il faut tenir compte, comme le développement rural, la sécurité alimentaire et la protection de l?environnement. Et de là on parle de la Multifonctionnalité de l?Agriculture. Donc, n?en déplaise à certains, nous devons nous battre pour présenter nos acquis. N?oublions pas que l?Agriculture demeure un pilier important de notre économie.

- La vedette de Cancun sera sans nul doute la Chine. Une initiative en vue de limiter sa participation dans le marché mondial est-elle envisagée à Cancun ?

Si la Chine a été la vedette à Doha, au moment de son accession, à Cancun, la vedette sera sans doute l?Agriculture. Aussi je ne vois pas qu?il y ait une quelconque initiative de limiter la participation de la Chine dans le marché mondial. La Chine est membre à part entière de l?OMC. Elle est un des pays phares au niveau des pays en développement. Tout le monde connaît le poids de la Chine dans le commerce mondial et le respect dont elle jouit. Aussi je ne vois pas comment on peut arrêter une locomotive aussi puissante quand elle est en marche. Tout ce qu?on peut espérer c?est que dans sa marche, elle ne piétine pas les petits pays vulnérables.

- La solidariré africaine, est-ce possible à Cancun ?

La solidarité africaine est un sine qua non si l?on veut bouger dans la bonne direction. Et ce sera une des plus grandes responsabilités que le Coordonnateur du Groupe africain aura à assumer à Cancun. Ce ne sera pas facile vu que tous les pays africains ne sont pas sur la même longueur d?onde sur tous les sujets. Je pense en particulier à l?Agriculture. Mais il existe quand même des positions communes par exemple sur la Santé publique, les négociations non agricoles. On a vu à Doha que cette solidarité a subi quelques brèches surtout après quelques ?green room meetings?. J?espère qu?à Cancun le ministre Cuttaree aura plus de chance à maintenir intact cet esprit d?équipe. D?ailleurs à Genève, nous travaillons actuellement avec le bureau de l?UA sur une grille de responsabilités partagées dans laquelle chaque pays africain se sentira partie prenante, précisément pour consolider cet esprit de solidarité. Pour chaque item de négociation, nous prévoyons une petite équipe de délégués africains dirigés par un Ministre ou deux. Cela facilitera la tâche à nos ministres d?une part et de l?autre cette stratégie va éviter la dispersion de nos efforts. De toute façon, l?Afrique fera sentir tout son poids à Cancun.

Propos recueillis par Akilesh ROOPUN