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Budget 2014 : virage économique?

30 octobre 2013, 05:58

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Le budget 2014 amorce la fin d’un cycle pour l’économie du pays. Depuis juillet 2005, les affaires du pays étaient implicitement sous la bienveillante vigilance des institutions de Bretton Woods. Cette surveillance amicale était d’un commun accord. Voulue par Rama Sithanen d’abord et, à son départ, par son alter ego, Ali Mansoor. La voie parcourue ensemble par le Fonds monétaire international (FMI) et Maurice ne résultait donc d’aucune contrainte. Bien au contraire, c’était un choix conscient découlant d’une forte affinité entre le rationalisme économique de ces deux hommes et la philosophie du FMI et de la Banque mondiale. L’intérêt de ces institutions pour ce partenariat était de faire du pays le show case de la viabilité de leur philosophie économique dans la région et dans le monde. Ainsi, sans trop exagérer, on peut dire que l’économie mauricienne a été le laboratoire d’une expérience économique grandeur nature pendant ces huit ans.

 

 

On ne résume pas les résultats d’une telle expérience en quelques colonnes et ce n’est pas ici le but recherché. Ce qu’on peut dire, par contre, c’est que le budget ultra-réformateur de 2006 de Rama Sithanen a mis l’économie de ce pays sur de solides rails pour survivre au démantèlement des préférences commerciales dont le pays était devenu accro dans le domaine du sucre (baisse de 36 %) et du textile habillement (fin de l’accord multifibre). Ceci a permis d’ouvrir une économie surprotégée à la concurrence internationale. Pour ce faire, Sithanen a été très loin. Dans un pays historiquement bâti sur l’injustice sociale et raciale, où l’écart entre riche et démuni était déjà flagrant, il ramène, avec beaucoup d’audace, les impôts de Rogers et d’IBL au même niveau que celui du plus modeste contribuable mauricien : 15 %, le taux privilégié précédemment réservé à la seule zone franche. Le taux uniforme avait sonné le glas des «incentives» qui jusque-là, étaient le maître mot de tous les budgets. Il change les règles du jeu dans la forme aussi bien que dans le fond. Il se débarrasse de tous les pouvoirs discrétionnaires et autres pouvoirs de rémission du Grand argentier et privilégie des règles clairement établies et une régulation uniforme.

 

 

 

Et quid du résultat ? Celui-ci s’apparente au verre à demi vide ou à demi rempli selon les points de vue. Il n’était un secret pour personne que le système capitaliste de libéralisme économique (à outrance ou pas) est le meilleur moyen de créer la richesse nationale. Ce système était cependant aussi connu comme étant le pire en ce qui concerne la distribution de cette richesse nationale, ce qui finit inéluctablement par creuser le fossé entre les riches et les pauvres. Le coefficient de Gini l’année où Rama Sithanen présenta son budget était de 0.388, alors que l’année dernière, ce coefficient avait atteint 0.413, bien qu’il ait dit, lors de son budget, «the policies we put in place now will ensure that rising incomes would be shared more with the low income workers, the unemployed, and other disadvantaged groups that are making the biggest sacrifices». Le Empowerment Programme de Rama Sithanen et son Corporate Social Responsibility ne furent, semble-t-il, pas suffisants pour endiguer l’appauvrissement qui a suivi. On peut, de plus, rappeler que la croissance économique de 2005/06 était de 3,5 % (contre 3,2 % actuellement), que le chômage, autour de 2005, oscillait entre 9,5 % et 8,5 %, ce qui n’a pas beaucoup changé depuis, et que l’épargne du secteur privé est aujourd’hui aussi décevante qu’elle l’était alors ! On pourrait logiquement se demander, devant cet état de choses, si ces huit ans de vaches maigres en valaient vraiment la peine pour si peu de résultat tangible.

 

Notre réponse à cette question est un oui catégorique. Nous sommes intimement convaincus que le choc financier mondial amorcé en 2008 aurait pu être dévastateur pour l’économie nationale si elle n’avait pas été dotée d’une nouvelle résilience. La question est donc de savoir si l’effort de ces huit ans est à la veille d’être défait avec le nouveau budget. Pour répondre à cette importante question, il est nécessaire d’identifier les paramètres majeurs qui seraient aptes à nous dévoiler si changement de cap économique il y aura dans les semaines et années à venir. Nous passerons donc prochainement en revue ces paramètres clairs et objectifs dont se servaient, du reste, ces bonnes vieilles institutions de Bretton Woods pour suivre le parcours de notre économie.

 

 

Mais avant d’en venir au moteur du système lors de nos prochains papiers, il est nécessaire de s’arrêter à la nature des timoniers en question. Économistes de formation, Sithanen et Mansoor avaient le réflexe qui leur permettait de faire la différence instantanément entre une requête ministérielle économiquement viable et défendable à l’opposé de la fanfreluche qui va créer des inefficiences le long de la chaîne économique et dont le seul but serait de plaire à la circonscription de l’élu. Ils le reconnaissaient instinctivement et ils osaient le dire, d’où la dernière anicroche d’Ali Mansoor qui a voulu instaurer, chez nous, ce qui se pratique depuis des décennies dans toutes les économies modernes du monde : le principe de recouvrement du coût du service public, appelé le «user pays».

 

 

 

Dev Manraj ne pourrait avoir un profil plus différent de ces deux bêtes économiques. Il est, comme la grande majorité des Financial Secretaries (FS) avant lui, expert- comptable et non économiste. Ce n’est pas un avantage, mais il a deux autres désavantages qui vont peser bien plus lourd dans la balance. D’abord, on sent chez l’homme un désir instinctif de plaire à la masse. Ceci fut apparent dans son traitement des syndicats alors que nous étions tous deux sur le board de Airports of Mauritius Ltd. Cette propension ne semble pas s’être estompée quand on constate qu’il a été l’auteur du PRB 2 où il trouva nécessaire d’augmenter de plus d’un milliard de roupies le pactole de Rs 4,6 milliards dont les fonctionnaires allaient hériter. Le principe de la réduction de l’écart salarial entre les secrétaires permanents et leurs messengers, c’est-à-dire un nivellement par le bas, en dit déjà long sur la rationalité économique de cette mission. On pourrait donc s’inquiéter aujourd’hui que Dev Manraj

a une grande cote parmi les syndicalistes, car on devine que sa popularité n’est pas due à sa grande capacité de travail ni à sa grande expérience au ministère des Finances. Ensuite, le second désavantage de Dev Manraj c’est qu’ il a été, pendant toute une carrière, directement associé à ériger le système complexe d’exemptions fiscales, d’exceptions, d’income reliefs, d’allowances et autres déductions qui ont proliféré au sein du système fiscal de ce pays jusqu’à ce que Sithanen y mette bon ordre en 2006. Il se pourrait que, devant un tel tabula rasa, il ne puisse changer son frame of mind et abandonner des concepts qui lui furent jadis

très chers. Si l’envie lui prenait de recommencer le manège d’antan, il ne finira qu’à créer des lourdeurs et des inefficiences à un système, aujourd’hui bien rodé, au plus mauvais moment possible : à la veille de la décision indienne sur notre offshore et à la descente aux enfers de tout un pan de notre tourisme. Vu les attentes déjà créées, le nouveau FS subira beaucoup de pressions sous le prétexte qu’il est un homme de consensus, contrairement à son prédécesseur. Cela ne l’aidera pas à accomplir

une tâche ingrate.

 

 

Les embûches ne tarderont pas. Ainsi, il a déclaré récemment qu’il accordera une attention particulière à la relance du secteur de la construction où il compte éliminer les «inhibiting factors». On peut présumer qu’il incorporera ceci au prochain budget de Xavier-Luc Duval. Il devra d’abord se rendre compte qu’un premier facteur inhibant se trouve être le ministre du Travail qui a fermé le robinet des travailleurs étrangers, le ballon d’oxygène de la construction. Le second facteur inhibant qu’il découvrira dans ce domaine est nul autre que le gouverneur de la Banque de Maurice qui retourne aux anciennes méthodes de «sectoral limits» imposées aux banques commerciales durant les années où le fiat et les plafonds de crédit étaient de mise. Ainsi le crédit au secteur de la construction résidentielle et commerciale sera réduit à 15 % l’année prochaine et à 12,5 % en 2015 et 2016 pour des raisons prudentielles. Une cacophonie que le nouveau FS devra mettre au diapason.