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L’impatience n’est pas un futur

22 mai 2019, 07:10

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Une vraie-fausse polémique colle au dos de l’Economic Development Board. S’impatienterait-il au point qu’on lui prête l’intention de court-circuiter un système de validation environnementale jugé trop encombrant ? Une idée qu’elle réfute mais qui fait néanmoins des émules. Au point de provoquer une réflexion plus large sur le rôle de l’organisme et les mécanismes de mise en route de projets dits de dimension nationale et stratégique dans le pays.

Les mouvements d’opposition sont perçus comme des nuisances, des ennemis du développement. Des groupes qui ne représenteraient qu’«eux-mêmes». Leur erreur: adhérer à une vision romantique et passéiste d’une île Maurice d’antan, impossible à retrouver. Alors que le reste de la population serait, pour sa part, tourné vers le futur. Dans l’attente sans doute d’un miracle, mais qu’importe, c’est le futur. Les opposants sont donc invités à être raisonnables. Rapidement s’il vous plaît.

Qu’est-ce donc être raisonnable ? Surtout en matière de futurologie... Quel est le baromètre qui fait basculer la raison dans un camp ou dans l’autre ? Certains ont des visions plus précises que d’autres. On constate surtout que ce qui n’était pas raisonnable hier, peut survivre des siècles. Tout comme l’absurdité d’une décision peut laisser pantois à peine quelques années plus tard.

Quand, au 18e siècle, Mahé de Labourdonnais faisait construire le ruisseau du Pouce, était-ce bien raisonnable ? 300 ans plus tard, ceux qui ne l’entretiennent pas sont des criminels. Quand, dans les années 50, au nom d’intérêts de la facilité et de l’individualisme rampant, le pays abandonne le rail, la plaisanterie aura duré 70 ans. Aujourd’hui, le coût du retour en arrière est phénoménal. Quand, dans les mêmes années 50, le littoral était loué à bail en petits morceaux, pour remplir les caisses vides de la colonie, qui s’en préoccupait ? Qui parlait au nom de ces Mauriciens qui n’étaient pas encore nés et qui étaient déjà condamnés à n’apprécier le littoral que par coups d’œil furtifs ? Trop tard: le coût est passé aux générations suivantes.

Si certains pensent encore que l’environnement se conjugue au passé, c’est qu’ils lisent peu, voire mal les fils d’actualité. Plus que jamais, négliger l’environnement c’est construire les conditions de la vulnérabilité financière des projets. Et créer aussi les conditions de notre état de sous-développement économique, puisque nous serons mal adaptés aux modes de vie qui changent, à la nature toujours plus imprévisible. Au niveau national, une île Maurice qui investirait dans des projets éphémères construirait elle-même sa vulnérabilité financière et des conditions de vie misérables. 

Pour éviter ces scénarios ratés, il serait effectivement utile de sortir d’une logique de conflit systématique et d’inviter le gouvernement, les promoteurs et les opposants au compromis. Encore faudrait-il s’entendre sur une vision de l’avenir qui soit réaliste, commune et socialement responsable. Quel sera le transport du futur ? L’alimentation du futur ? Les conditions de santé et de survie ? Le logement ? Les loisirs ? Comment l’aménagement physique du territoire affectera-t-il les relations sociales du futur ?

Quand je pose cette question autour de moi, je remarque l’irritabilité de mes interlocuteurs, au mieux une certaine lassitude, un sentiment d’impuissance. La question agace. Elle se prête à des démonstrations de compétences en «mansplaining» dans toutes les règles de l’art. On les voit alors baisser le menton, froncer les sourcils, pincer les lèvres, aggraver le ton de la voix... puis hausser les épaules d’impatience. Ce n’est pas le talent qui manque à Maurice !

Certains sont convaincus que le prochain miracle arrivera par Emirates. D’autres, que l’Afrique entière a vu à son réveil en l’île Maurice son salut. Il y en a, ils sont nombreux, qui se noient dans la critique sociale et se replient dans le passé pour trouver des boucs émissaires. D’autres avouent leur désarroi. Ils n’ont pas de plan B. Ce sont les leaders les plus avertis. Car s’ils n’ont pas de réponses, au moins ont-ils amorcé des pistes de réflexion.

Entre-temps, les promoteurs de projets continuent de s’impatienter. Avec des initiatives qui font alterner la séduction et la répression, ils contribuent à alimenter le conflit. Ils s’éloignent du compromis.

Si l’énergie des leaders pressés doit trouver quelque exutoire, plutôt que de la diriger vers ce qui entretient le conflit, elle serait mieux dirigée à élargir le champ de pensée. À faire sauter les cadres temporels étroits qui encadrent les décisions pour les aligner sur celui des générations. Y compris celles qui ne sont pas nées et ne sont pas encore entendues.