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Constitution: interprétations à contre-courant

15 septembre 2016, 08:51

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Constitution: interprétations à contre-courant

L’auteur revient sur la problématique de celui qui succèderait à sir Anerood Jugnauth au poste de Premier ministre. Il postule, contrairement à l’opinion générale, que la Constitution du pays ne couvre pas cette éventuelle démission d’un Premier ministre en cours de mandat et son passage de témoin volontaire à un autre membre de la Chambre…

Ces jours-ci, se déroulent discussions et spéculations sur le cas, disons, HYPOTHÉTIQUE (à la date du 8.09.2016), selon lequel le Premier ministre cèderait sa place. Autour de la Constitution, les interprétations divergent, souvent pour justifier une quelconque préférence. Cet article propose une autre lecture de la question et avance que la Constitution ne couvre pas le cas discuté. C’est à dire qu’il n’y aucune part dans la Constitution de la République de Maurice, un article qui permet au Premier ministre, en cours de mandat, de céder son poste volontairement à quelqu’un d’autre. Nous ne sommes pas en Angleterre, où Cameron peut céder sa place à May. Le Royaume-Uni n’a pas de Constitution écrite alors que nous, à Maurice, on en a bien une. Et celle-ci n’a pas prévu cette éventualité.

Mais, pour défendre leurs causes, certains sont partis à la recherche d’un point de droit pour combler ce silence tragique de notre Constitution. Ils ont trouvé secours surtout dans la Section 59 de la Constitution. Plus particulièrement, la partie (3) de cette Section.

Limites de la Section 59(3)

La Section 59(3) se trouve dans un chapitre de la Constitution consacré à l’Exécutif. Elle précise la manière de constituer un gouvernement : c’est- à-dire comment sont nommés le Premier ministre et les autres ministres, y compris le vice-Premier ministre et l’Attorney General (VPM et AG), et sur quelle base ces nominations sont faites.

Le Président nomme le Premier ministre, mais selon un critère bien défini. La Section 59(3) ne fait que préciser le critère pour nommer quelqu’un à ce poste. Cette Section est utilisée que lorsque le Président est appelé à nommer un Premier ministre : le critère étant celui qui commande une majorité à l’Assemblée. Cette Section dit qui le Président peut nommer. Elle ne dit pas quand cette nomination a lieu. Est-ce lors de la formation d’un gouvernement ou au cours d’un mandat entamé ? Il n’est pas mentionné, comme dans d’autres articles, le mot «vacant» : un mot qui aurait signifié que c’est au cours d’un mandat que le Président nomme. Cette Section dit simplement que le Président doit nommer le Premier ministre selon un critère : être un élu qui paraît avoir le soutien de la majorité des autres élus. Et, pour nommer le Premier ministre, le Président agit selon son propre jugement, et donc, sans demander l’avis de qui que ce soit.

Section 59(3) : The President, acting in his own deliberate judgement, shall appoint as Prime Minister the member of the Assembly who appears to him best able to command the support of the majority of the members of the Assembly,…

Mais cette Section ne s’arrête pas là. Après le mot Assembly, il y a une virgule et la conjonction AND, et la phrase continue, pour dire que le Président nomme les autres membres du gouvernement, mais cette fois-ci, sur avis du Premier ministre. Il y a une séquence logique dans les nominations. La Section 59(3) continue ainsi : and (nous soulignons) shall, acting in accordance with the advice of the Prime Minister, appoint the Deputy Prime Minister, the Attorney-General and the other Ministers from among the members of the Assembly…

La Section 59(3) comprend donc une phrase qu’il faut lire en entier et ne pas s’arrêter à la première virgule. La deuxième partie décrit le contexte dans lequel il faut interpréter cette Section. Aussi la séquence des deux phases de nominations ne peut être altérée. Non plus peuvent les deux «actes» que fait le Président. Ceux-ci sont par ailleurs indissociables, ne pouvant être séparés l’un de l’autre. Ils font partie d’un même évènement : la nomination d’un gouvernement, soit la nomination du Premier ministre ET celle des autres ministres, y compris le VPM et l’AG.

Or, une telle situation ne se présente que lorsqu’un nouveau gouvernement doit être nommé, par exemple, après des élections générales, car c’est le moment où le Président peut activer la Section 59(3) : nommer un Premier ministre et ses ministres. Ce n’est pas en cours de mandat du même gouvernement que la Section 59(3) peut s’appliquer.

Aussi, prétendre que cette Section a été écrite afin de pouvoir choisir à n’appliquer que la moitié d’une phrase, d’une partie seulement d’une Section de la Constitution relèverait du non-sens. D’où, notre affirmation que la Section 59(3) de la Constitution ne s’applique pas pendant un mandat déjà entamé, mais n’est utilisée que pour nommer Premier ministre et ministres au début d’un mandat d’un nouveau gouvernement, juste après des élections générales, par exemple. La Section 59(3) ne peut, par ailleurs, être utilisée que partiellement, par exemple, seulement pour nommer un Premier ministre. Ce serait enlever une partie d’une phrase, d’une disposition constitutionnelle de son contexte et l’appliquer.

La motion de blâme La Section 59 ne s’appliquant pas au cas présent, c’est ailleurs dans la Constitution qu’il faut chercher ce qui peut se faire lorsqu’en cours de mandat le seul poste de Premier ministre est vacant. Les articles de la Constitution, notamment les Sections 57 et 60 traitent des cas où le Premier ministre ne peut continuer à exercer son mandat.

Le recours à la Section 57 nous paraît lointain dans le contexte actuel et la discussion l’entourant n’est peut-être qu’académique. Mais, puisque la Section parle de la démission du Premier ministre en cours de mandat, voyons les possibilités qu’elle offre. Elle traite comme son titre l’indique, de la prorogation et de la dissolution du Parlement.

Le principe posé pour ce qui est de la dissolution est que le Premier ministre doit soumettre sa démission lorsqu’une motion de no confidence in the Governement est votée par une majorité à l’Assemblée. Avant de soumettre sa démission, le Premier ministre conseille au Président de dissoudre l’Assemblée. Le Président peut refuser de suivre ce conseil et décider d’inviter quelqu’un d’autre to form a government.

On remarquera que cette Section ne dit pas que le Président shall appoint that… person as Prime Minister comme dans la Section 59 par exemple. L’expression invite to form a government peut vouloir dire autre chose, par exemple inviter à diriger un gouvernement intérimaire, un gouvernement de crise.

Nous devons faire ressortir encore une fois que cette situation a lieu lorsqu’une motion de blâme a été votée contre le gouvernement. Or, on voit mal en pratique, comment un gouvernement contre qui une telle motion a été votée hier, puisse être reconduit à diriger le pays aujourd’hui. Ce serait un vilain cas de making a mockery of the Constitution.

Faute de légalité, la politique a souvent recours à la légitimité du moyen à utiliser pour atteindre un but. Il s’agit de la légitimité populaire qui, s’inscrivant dans une logique démocratique, exprime une volonté du plus grand nombre.

La Section 57(1)(b) en question

La Section 57(1)(b) propose le cas où le Président peut dissoudre l’Assemblée s’il considère qu’il n’existe aucune possibilité, dans un temps raisonnable pour lui, de nommer un remplaçant qui a le soutien de la majorité des membres de l’Assemblée. Cette partie (b) ne dit pas que si le Président a la possibilité de nommer un remplaçant, il doit ou peut le faire. S’il pouvait le faire, le législateur l’aurait écrit, comme il le fait ailleurs, dans d’autres articles. Le législateur aurait ajouté and the President shall (so) appoint that person as Prime Minister. Or, ici, il n’est même pas écrit, comme dans la partie (a), que le Président peut inviter la personne à constituer un gouvernement.

La partie (b) ne demande au Président que de considérer s’il y a un prospect’de nommer dans un temps raisonnable. S’il n’en existe pas, il doit dissoudre l’Assemblée. Si ce prospect existe, notre Constitution ne dit pas ce qu’il faut faire. On ne peut spéculer non plus, puisque lorsque le législateur l’avait voulu, il avait bien précisé ce que le Président devait faire : shall appoint. Il faudrait donc revenir à la partie (a) et passer par la voie d’une motion de no-confidence.

Légitimité et légalité

Faute de légalité, la politique a souvent recours à la légitimité du moyen à utiliser pour atteindre un but. Il s’agit de la légitimité populaire qui, s’inscrivant dans une logique démocratique, exprime une volonté du plus grand nombre. L’expression du souhait populaire s’est ainsi manifestée lors des élections générales de 2000, où la population était avertie à l’avance de l’arrangement pour un partage des cinq ans de pouvoir entre les deux dirigeants de l’alliance MMM/MSM. Et la population avait plébiscité cet arrangement. Aujourd’hui, le cas est différent.

La confiscation du pouvoir

Il n’y a aucun article de la Constitution qui prévoit le cas où le Premier ministre peut céder volontairement sa place à quelqu’un d’autre. L’inapplicabilité des articles précités de la Constitution n’a toutefois pas empêché certains de monter au créneau pour dire qui doit devenir Premier ministre. C’est à eux qu’on a sollicité un avis sur une question fondamentale qui aurait dû, dans une démocratie, revenir au peuple. Leurs déclarations péremptoires ne nous guident pas. Elles sont faites pour défendre une position, un intérêt, un client. Eux, ce sont ces avocats qui interprètent la Constitution pour nous, nous disent qui doit diriger le pays. Pas besoin de consulter le peuple, clament-il : la solution est dans le droit, le cercle fermé du droit. Le choix d’un peuple, sa volonté, l’exigence démocratique sont accessoires. C’est ainsi, qu’à l’instar des politiciens, ils finissent par nous imposer une pensée : la leur.