Publicité

Subash Gobine: «L’express n’a jamais comploté avec des forces occultes pour faire chuter un gouvernement démocratiquement élu»

30 avril 2023, 18:30

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Subash Gobine: «L’express n’a jamais comploté avec des forces occultes pour faire chuter un gouvernement démocratiquement élu»

Il connaît «l’express» depuis la première année de sa création, grâce à son frère receveur d’autobus, qui en recevait des copies gratuitement, en échange de déposer les journaux aux revendeurs se trouvant sur leur trajet. Pour lui, le quotidien a toujours défendu les intérêts des contribuables et de la population contre les excès des différents gouvernements.

Vous avez été tour à tour rédacteur en chef du «Militant», puis de «The Sun», avant d’atterrir chez les Travaillistes, écrivant, entre autres, dans «Advance». Depuis dix ans, vous êtes à «l’express»... Quel regard jetez-vous sur notre journal qui fête ses 60 ans ?
C’est vrai que j’ai été rédacteur en chef du Militant, organe de presse du MMM, puis du Sun, appartenant à sir Anerood Jugnauth. Ce dernier m’avait offert la prise en charge de son journal alors que je faisais des études aux États-Unis. J’avais poliment décliné son offre.

À un moment, un dégel s’était produit entre sir Anerood Jugnauth et des dirigeants du MMM. Je suis parti au Sun sans être condamné comme un traître par Paul Bérenger et Jean Claude de l’Estrac. Ce qui avait amené sir Satcam Boolell, ministre dans le gouvernement Jugnauth mais méfiant des mamours entre le MMM et le MSM, au point d'en voir des manœuvres suspectes. Deux ans après, le MSM et le MMM concluaient une alliance.

Lors du briefing que j’ai tenu le premier jour au Sun, j’avais donné des directives aux monteurs de page que je ne tolérerais aucune photo de ministre en première page. Et même en pages intérieures, jamais une photo de ministre sur plus d’une colonne. Ce qui amena un employé à courir au bureau d’une ministre à qui il déclara, «kousin, oh kouzin, enn MMM in nvinn rédacteur en chef kot nou et li dir pa met foto dan paz enn».

Presque tous les ministres du MSM étaient remontés contre moi et cela ne m’inquiétait nullement car je bénéficiais du soutien inébranlable de sir Anerood lui-même. Alors que je m’opposais aux photos des ministres, j’avais publié plus d’une centaine de photos de tous les 126 candidats du MMM élus à des élections municipales. Avec aussi des photos d’ambiance montrant Jean Claude, Solange et Valérie de l’Estrac fêtant la victoire ! Un ministre me donna un coup de fil ce jour-là pour me menacer de pires sévices lors d’une réunion à venir du comité central du MSM! Sir Anerood me défendit à cette réunion, disant que j’avais amené des gens du MMM à acheter le journal du MSM.

Il est aussi vrai que j’ai collaboré au journal Advance dans les dernières années du gouvernement de Navin Ramgoolam.

J’ai toujours pratiqué une politique de loyauté indéfectible envers mon employeur du jour. Je sers ses intérêts au maximum de mes possibilités. J’ai travaillé pour Navin Ramgoolam pendant deux ans et demi. Malgré les relations de parenté que j’entretiens avec Navin Ramgoolam et avec son épouse Veena, je me suis pour la majeure partie de ma carrière retrouvé dans le camp des No-Navin.

Pour revenir à l’express, je suis très heureux et très fier de faire partie du journal au moment où il fête ses 60 ans. J’ai été impliqué au niveau des comités chargés de faire des recherches et de planifier les célébrations des 60 ans.

J’estime que l’express est le journal le mieux fait professionnellement à Maurice. L’express et le défunt tabloïd Action des années 1960 ont vraiment introduit le journalisme moderne et mainstream dans notre pays.

Quelle a été votre première rencontre avec «l’express» ?
Je connais l’express dès la première année de sa création. Mon frère aîné, Jimmy, qui était receveur d’autobus, rentrait à la maison avec des journaux comme l’express mais aussi Le Citoyen et Action car il en recevait des copies gratuitement.

À cette époque, des responsables de journaux confiaient des paquets de journaux à des receveurs d’autobus qui devaient les déposer dans les boutiques ou tabagies se trouvant sur leur trajet. Le receveur avait droit à une copie gratuite. C’était la belle époque de camaraderie et d’entraide entre les Mauriciens.

Aussitôt les journaux reçus à la maison, je les dévorais. J’avais quand même une conscience politique - notre famille était farouchement travailliste, avec des relations particulières avec le Dr Seewoosagur Ramgoolam et le député Bickramsingh Ramallah. De ce fait, je pouvais comprendre les prises de position des journaux. Le Citoyen était farouchement anti-travailliste mais je le lisais quand même avec un intérêt soutenu.

Ce sont les articles de l’express qui m’impressionnaient le plus, évidemment en raison de la variété de son contenu. Je me souviens d’une série d’articles sur l’assassinat du président américain John Kennedy.

Donc de 1963 à ce jour, j’ai continuellement lu l’express avec bien sûr des moments d’exception quand je me suis retrouvé à l’étranger pour de longues périodes. Avant l’avènement de l’Internet, je me faisais toujours le devoir de visiter nos ambassades pour lire autant de journaux mauriciens que possible.

Quand Jean Claude de l’Estrac était rédacteur en chef, vous faisiez le post-mortem du journal au jour le jour. Les journalistes, qui se ruaient le matin sur votre analyse parfois cinglante épinglée sur le mur de la salle de rédaction, vous appelaient «Le Corbeau». Quel était votre rôle exactement et pourquoi avoir choisi d’écrire en anglais…
Pendant quatre ans, j’ai animé un genre d’observatoire d’où j’ai disséqué froidement, de façon dépassionnée, tout le contenu quotidien de l’express. Je saluais les grands coups et mettais au jour sans ménagement les faiblesses, les manquements, les fautes de grammaire et d’orthographe, les noms mal écrits et évidemment les inexactitudes.

Je me livrais aussi à une analyse comparative avec les autres titres du pays. Enfin, chaque jour je pondais des idées d’articles à l’intention des journalistes mais expédiées à Jean Claude de l’Estrac.

J’envoyais mes rapports à Caroline Dantier, sa secrétaire privée, l’une des rares personnes à connaître l’identité réelle de l’auteur. Jean Claude de l’Estrac faisait afficher mes analyses quotidiennes sur le notice board de l’express. Ce qui ne manquait pas d’engendrer des spéculations sur l’identité de l’auteur de ces rapports. Après quelques semaines, les plus performants du groupe de La Sentinelle dont Bernard Saminaden, Harish Chundunsing et Marie-Annick Savripène finirent par comprendre que celui qui comprenait le journalisme et la société mauricienne aussi profondément et écrivait en anglais pour relever de graves fautes de français n’était nul autre que Subash Gobine.

Quant au choix de rédiger ces rapports en anglais, l’explication en était bien simple. Bien qu’écrivant en français dans mon métier de journaliste, mes études universitaires furent conduites en anglais. Plus tard, quand j’ai été formé aux États-Unis et en Grande-Bretagne, la langue utilisée était évidemment l’anglais.

Puisque j’avais maîtrisé les concepts et les techniques de journalisme en anglais, il m’était plus facile d’écrire mes rapports dans la langue de Shakespeare. Et je n’avais pas à trouver les accents appropriés comme en français. On gagnait ainsi du temps.

Je ne savais pas qu’on m’appelait Le Corbeau. Pour le travail sans pitié que je faisais pour Jean Claude de l’Estrac, le charognard, Chacal, aurait été un nom plus approprié.

Quelle a été la Une qui vous a le plus marqué ?
La Une du samedi 7 février 2015 de l’express. Je ne me laisse pas gagner par l’émotion devant les événements. Le métier de journaliste nous arme d’ailleurs contre l’affolement. Mais la photo de Navin Ramgoolam arrêté par la police, avec la chemise ouverte suivant sans doute une empoignade brutale par un officier zélé m’a profondément bouleversé. Time will tell mais connaissant les humains, je crois qu’il y aura sans doute une suite à cette affaire. À l’heure des règlements de comptes.

Vous avez un nom de plume, mais beaucoup savent qui se cache derrière le pseudonyme El Figaro. Voulez-vous faire votre «coming out»...
Je suis El Figaro. C’est vrai, mes rubriques à l’express, le samedi et le dimanche en particulier, sont signées El Figaro. Mais je ne manque pas de poster les El Figaro sur ma page Facebook.C’est dire que j’assume sans la moindre réserve mes propos.

J’ai choisi d’utiliser le nom de plume El Figaro - qui veut dire le coiffeur en espagnol - pour la simple raison qu’avant de me joindre à l’express à la demande de Nad Sivaramen et avec la bénédiction de Philippe Forget, j’avais occupé le poste de Senior Adviser et directeur de communication au bureau du Premier ministre. J’y ai passé 30 mois après une carrière de plus de 40 ans dans le journalisme. J’ai pensé que si je signais de mon propre nom, mes rubriques auraient rencontré un sérieux problème de crédibilité. On aurait oublié mon passé pour se concentrer seulement sur mon intermède Ramgoolam. On aurait dit, «normal li pou dir sa, se enn m… de Ramgoolam sa».

Pour éviter cette situation, j’ai choisi un nom de plume alors qu’au DéfiMedia et à Radio Plus, pendant de nombreuses années, je m’affichais ouvertement.

Pourquoi le choix d’El Figaro ? Durant mes classes de français en HSC, j’avais étudié pendant deux ans Le Mariage de Figaro de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais. Puisqu’on dit que j’ai un style de taye-raze dans mes écrits, le titre de coiffeur était certainement le plus approprié.

Pourquoi, alors que vous êtes un grand-père très occupé, ayant dépassé les 70 ans, continuer à écrire et à participer à la vie de ce journal ?
Merci de me présenter comme un grand-père. Un rôle que j’adore en consacrant quelques heures de ma vie chaque jour à mes trois petites-filles Maya (6 ans), Ela (5 ans) et Anna qui aura deux ans samedi prochain.

Tant que la direction de l’express le voudra, je continuerai à écrire et à participer à la vie du journal.

Je resterai attaché à ce métier tant que je serai physiquement capable de deliver. J’ai assisté au cours de ces dernières 50 années à l’évolution technologique, à Maurice comme aux États-Unis, des médias. J’estime n’avoir rien raté. Mon dernier amour s’appelle ChatGPT.

Vous êtes aussi un modérateur sur «lexpress.mu.», En quoi consiste ce job ? Pensez-vous que les réseaux sociaux ont offert une plateforme aux citoyens pour s’exprimer ou pour vider leur sac ou leur haine ?
Nous sommes principalement deux modérateurs à opérer sur lexpress.mu, Touria Prayag et moi. C’est un travail fascinant qui nous engage du matin au soir, sept jours sur sept.

Nous rencontrons différents types d’internautes. Tout d’abord, des intervenants sérieux, ayant maîtrisé le domaine qui les intéresse. Puis, on a une armée d’internautes qui roulent pour le MSM et d’autres partis. C’est certainement le MSM qui est le mieux organisé de ce côté. Les pro-MSM cherchent à défendre le gouvernement tout en s’attaquant sans pitié aux adversaires.

On rencontre aussi toute une bande de racistes, de communalistes et même de castéistes qui donnent libre cours à leur haine. Certains déforment les noms de leurs cibles pour tenter de passer des messages répréhensibles.

Oui, les réseaux sociaux sont devenus des arènes de choix pour ces personnes animées de haine pour leur prochain.

Notre job, en tant que modérateurs à lexpress.mu, c’est endiguer ce flot de haine et de préjugés et de créer des opportunités pour que des débats sains et civilisés soient engagés dans les limites du fair-play. Loin d’être une tâche facile.

Les grands éditorialistes diminuent comme peau de chagrin, les jeunes journalistes ne font plus long feu… comment analysez-vous la tendance de la presse en général ?
Nous vivons maintenant dans un monde différent. Je comprends que dans les années 1950, les journalistes circulaient à vélo dans les rues de Port-Louis. La profession de journaliste a été généralement mal payée et c’est seulement ceux qui sont animés d’une forte motivation qui restent.

Quant à la disparition des grands éditorialistes, l’explication vient toujours de l’évolution de la société mauricienne. On a maintenant un très grand nombre d’acteurs sur la place. Ainsi, certains seraient plus intéressés aux prises de position de Darren L’Activiste qu’à un éditorial dans les médias mainstream dénonçant un énième cas de corruption.

La presse mainstream se trouve actuellement en face de nombreux défis. Les médias sociaux animés par des non-professionnels prennent de l’ampleur. Les revenus des journaux baissent. À l’étranger, les médias mainstream résistent tant bien que mal aux assauts des médias sociaux. Ils offrent une partie de leur contenu gratuitement. Et ils installent des paywalls pour le reste du contenu.

Dans les grands pays ça marche. Mais qu’en sera-t-il pour Maurice. Combien sont-ils à payer pour avoir accès au contenu ? L’énorme diaspora mauricienne installée à l’étranger paiera-t-elle pour le contenu ? Ces questions restent posées.

Vous avez été «de l’autre côté de la barrière», conseiller de sir Anerood Jugnauth et de Navin Ramgoolam. Trouvez-vous les critiques contre l’express, comme «anti-gouvernement», «anti-patriotique», justifiées ?
Les relations entre le gouvernement du jour et des journaux comme l’express ont été toujours conflictuelles. Il arrive souvent que des hommes politiques soient totalement désorientés de leur objectif primaire pour tomber dans l’obsession de ce que rapportent les journaux.

Certains attachés de presse portent la responsabilité d’avoir créé des situations d’antagonisme entre les ministres et les journaux. Or que leur tâche principale consiste à rétablir les faits s’il y a des critiques injustifiées ou non basées sur des faits.

Depuis son existence, l’express a toujours défendu les intérêts des contribuables et de la population contre les excès des différents gouvernements. Il s’agit là du devoir premier de tous les médias mainstream dans toutes les démocraties du monde.

Autant que je connaisse ce pays, ses médias et surtout sa classe politique, je ne connais pas le moindre cas où l’express a comploté avec des forces occultes pour faire chuter un gouvernement démocratiquement élu.

Que souhaitez-vous au quotidien pour cet anniversaire ?
En célébrant ses 60 ans d’existence, l’express prouve qu’il est un stayer par excellence dans le monde des médias mauriciens où on a vu tellement de disparitions de titres.

Je souhaite ardemment que l’express, qui a amplement démontré sa résilience, fête son centenaire en 2063 comme une entité qui fonctionne à merveille sur différentes plateformes, ayant maîtrisé toutes les nouvelles technologies à venir et conservant quand même un support papier.
 

Bio express

<p>Subash Gobine a été enseignant au secondaire avant de se joindre au journalisme. Il est diplômé de l&rsquo;université de Maurice et de l&rsquo;University of the West Indies. Il a bénéficié d&rsquo;un <em>fellowship</em> dans le domaine des médias aux États-Unis et d&rsquo;un autre en Grande-Bretagne. Il a aussi fait partie de la rédaction comme <em>staff writer</em> du journal <em>St Petersburg Times</em> en Floride. En des moments hors presse, Subash Gobine a été conseiller de sir Anerood Jugnauth et de Navin Ramgoolam. Il a aussi été directeur de communication et des affaires internationales à l&rsquo;Information and Communication Technologies Authority et membre du premier <em>board</em> de l&rsquo;Independent Broadcasting Authority qui alloua les premières licences d&rsquo;opération à trois radios privées.</p>