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Tourisme: pourquoi la destination Maurice ne séduit plus ?

7 juin 2019, 10:52

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Tourisme: pourquoi la destination Maurice ne séduit plus ?

Spécialistes de l’hôtellerie et professionnels du tourisme sont catégoriques : le tourisme n’a jamais suscité autant d’inquiétude concernant sa performance. Est-ce la fin d’un cycle pour un secteur qui bat de l’aile, face à des touristes qui boudent la destination et une qualité de service qui se dégrade dans des hôtels 5-étoiles ? À quelques jours de la présentation du Budget 2019/20, l’attente est grande pour des mesures de relance avec, à la clé, un nouveau départ…

Le constat est certes effarant : une baisse moyenne de 4,5 % recensée pour l’ensemble des marchés au premier trimestre 2019 comparativement à la même époque l’an dernier. Pour les mois d’avril et mai, la situation n’est guère rassurante avec une croissance toujours négative et un taux d’occupation de 62 % le mois dernier contre 67 % en 2018. Pendant le même trimestre, la moyenne était de 73 %, soit une baisse de 4 % par rapport à la période correspondante l’année dernière.

«Il y a eu 15 476 touristes de moins de janvier à mars. Nous n’avons pas vu cela depuis des années», lance Jocelyn Kwok, le CEO de l’Association des hôteliers et restaurateurs de l’île Maurice (AHRIM), qui ne sait visiblement pas sur quel pied danser. Il ajoute qu’en regardant les principaux marchés, qui représentent environ 70 % de la clientèle touristique mauricienne, il y décèle des chutes significatives durant le premier trimestre.

Sur cette base, Maurice a enregistré 5 644 touristes de moins venant de la Chine; 4 433 de l’île de La Réunion; 2 819 du Royaume-Uni et 957 de l’Inde. Idem pour le marché allemand qui a chuté de 10 %. La dernière fois que Maurice a connu une croissance négative pendant trois mois consécutifs remonte à dix ans, situation qui survenait dans le sillage de l’épidémie de chikungunya.

Si les autorités se plaisent à tout mettre sur le dos des gilets jaunes en France et sur le Brexit en Grande-Bretagne, ces arguments ne tiennent pas forcément la route, explique l’ex-ministre du Tourisme, Xavier-Luc Duval. Car en analysant de près les chiffres des arrivées touristiques des principaux compétiteurs de Maurice de janvier à mars 2019, il note étrangement que les Seychelles, qui se trouvent également dans l’océan Indien comme Maurice, ont vu leurs arrivées touristiques venant de France dopées de 17 %.

Même tendance pour l’Allemagne, +41 % ; l’Inde, +3 % ; et la Suisse, +29 %. Autre concurrent de taille : les Maldives, qui pour la période de janvier à février uniquement, ont vu une hausse de 24 % des arrivées touristiques venant de France; également +16 % de touristes allemands; + 14 % de Britanniques; + 63 % de Sud- Africains; +67 % d’Indiens et +17 % d’Australiens.

Environnement et insalubrité

Quant au Sri Lanka, autre destination touristique qui concurrence directement Maurice, la posture est la même. Ce pays a enregistré plus de 6 % d’arrivées touristiques britanniques; 9 % de Suisse; et 18 % d’Australie pour les trois premiers mois.

Alors pourquoi la destination mauricienne ne séduit pas autant les touristes ? Il faut voir la réponse ailleurs.

Kevin Teeroovengadum, consultant en affaires et un des directeurs de Radisson Blu Hotel, trouve que Maurice n’a pas un positionnement cohérent. «Nous ne sommes pas une juridiction 5-étoiles. Il n’y a que quatre ou cinq établissements qui arrivent à tirer leur épingle du jeu, contrairement aux Maldives et aux Seychelles qui se positionnement bien sur ce marché.»

Quelque 5 644 touristes chinois de moins pour les premiers trois mois de l’année.

Pour sa part, Jean-Michel Pitot, CEO du groupe Attitude et président de l’AHRIM, ne passe pas par quatre chemins. «La destination est en train de perdre son lustre. Il n’y a qu’à écouter le touriste lui-même, si on a du mal à s’en convaincre, ce touriste qui voyage plus et a vu des pays propres et soignés», explique-t-il dans la dernière édition de Check-In, publication de l’AHRIM.

Pour soutenir ses dires, il cite le dernier sondage sur la perception de la destination réalisé par celle-ci où seulement 19 % des visiteurs trouvent «excellente» la qualité de l’environnement contre 40 % en 2015. D’où son interrogation pour savoir si les autorités sont «insensibles à la nuisance que représentent les bouteilles en plastique qui traînent, les chiens errants qui se multiplient, les herbes folles qui envahissent le bord des routes, le patrimoine qui se désagrège».

Mais il n’y a pas que l’insalubrité du pays qui interpelle les hôteliers et repousse les touristes vers des destinations concurrentes de Maurice. François Eynaud, CEO de Veranda Luxury Hospitality (VLH), le pôle hôtelier du groupe Rogers, constate que la régression de la qualité de service dans les hôtels 5-étoiles peut être une raison. Ce qui explique, selon lui, la baisse du taux de fréquentation de certains touristes haut de gamme.

«Nous avons un manque de bras dans le secteur avec le vieillissement de la maind’oeuvre. Du coup, les établissements hôteliers se retrouvent avec un personnel peu qualifié, résultant d’une dégradation des prestations.» Et d’ajouter que si d’autres secteurs économiques comme le textile et la construction ont eu recours à la main-d’oeuvre étrangère, la demande pour le tourisme n’a jusqu’ici pas été accordée.

Une analyse que rejoint le président de l’AHRIM, Jean-Michel Pitot. Il dénombre entre 300 et 800 postes vacants dans l’hôtellerie et la restauration. «Alors que nos ressources humaines sont insuffisantes, on sent un environnement suspicieux et une attitude fermée à l’égard des étrangers.» Dès lors, il se demande comment peut-on viser l’excellence du service et faire la différence ? D’autant plus que le rapport qualité-prix ne joue pas forcément en faveur de ces hôtels de luxe avec des tarifs de 5 000 euros pour voyager en classe affaires.

Quid des solutions ?

Pour relever les défis d’un secteur qui s’essouffle et qui nécessite d’être réinventé, il n’y a pas mille solutions. Les spécialistes plaident en faveur d’actions concrètes pour lui donner une nouvelle impulsion et sécuriser les 131 000 emplois et assurer sa contribution de 24 % au PIB. «Il faut jouer sur plusieurs fronts : importer la main-d’oeuvre pour assurer la pérennité de sa croissance, améliorer les prestations avec une politique tous azimuts de formation, revoir les tarifs sur certaines lignes et mieux régulariser le business parallèle», affirme François Eynaud.

Sans compter, selon les dires d’autres opérateurs, un gel de nouveaux projets hôteliers pour éviter une multiplication d’établissements sans qu’il y ait, en contrepartie, suffisamment de touristes pour les remplir.