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#50ansMoris: la rue s’embrase…les cinémas se vident…

22 janvier 2018, 23:56

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#50ansMoris: la rue s’embrase…les cinémas se vident…

Une bagarre éclate au cinéma Venus. Comme une traînée de poudre, la violence se répand en ce mois de janvier 1968. L’état d’urgence est décrété. Les soldats britanniques débarquent...

Nous sommes le lundi 22 janvier 1968. Les rues de Port-Louis se remettent difficilement des évènements de la veille. Hier, dimanche 21 janvier, Port-Louis a été le théâtre d’une scène violente faisant pas moins de cinq morts et plusieurs blessés. Tout serait parti d’une violente bagarre qui a éclaté au cinéma Venus, à Bell-Village...

Non, il ne s’agit pas d’un film d’action sur les affiches collées avec du riz sur les murs de pierres sèches; les policiers, malgré leurs armes à feu, sont dépassés et ne peuvent plus protéger la vie d’innocents qui sont attaqués avec des armes tranchantes. Plus qu’une explosion sociale, ou une bagarre entre bandes mafieuses de la capitale, cette période noire de notre histoire est une lame de fond dont les effets sur la société et la politique mauriciennes se font toujours sentir aujourd’hui.

Il est certes difficile pour les gouvernements d’évoquer cette période tumultueuse sans donner le sentiment d’approuver les actes des uns ou des autres, ou qu’ils tentent de récupérer à bon compte. 50 ans après on a des retombées, positives et négatives, qu’on peut toujours mesurer. C’est précisément l’objet de cette série d’articles de l’express.

Le cinéma, passe-temps favori

Retour en 1968. Dans les quartiers de Plaine-Verte et de Roche-Bois, des maisons et des voitures sont saccagées. Apeurés, les habitants ne s’aventurent plus hors de leurs maisons, reniant l’un de leurs passe-temps favoris : aller au cinéma. Les films à l’affiche ce jour-là: Chère Brigitte (avec la sulfureuse Bardot) et KaliYug, déesse de la vengeance entre autres.

Sur la MBC, on passe la série The Invaders, des aliens mangeurs de rats, comme plus tard dans l’autre série à succès V. Sur le plan musical, l’ensemble de Gérard Cimiotti avec Robert Duvergé, Jocelyn Cartier, Noël Uranie et Jacques Imbert berce les Mauriciens. Ces derniers se passionnent aussi pour le foot britannique.

En Angleterre, le gardien de but Gordon Banks reçoit l’Irlande de Pat Jennings, mais avec six semaines de retard au moins. Chez nous, on va faire appel, pour rétablir l’ordre, à la King’s Shropshire Light Infantry qui est basée en Malaisie...

Les succès de l'époque

«Les cinémas étaient bondés. C’était le cinéma qui rassemblait les westerns avec Gary Cooper et John Wayne (...) La Tunique et Tarzan étaient des films très attendus», raconte Issa Asgarally, cinéphile.

Dans les nombreuses salles de cinéma, on projette aussi Kindar, prince du désert, Capitaine Blood, Le mystère du temple hindou, Chère Brigitte, Les dernières aventures de Fra Diavolo, Aurat et Chota Bhai.

«Il y avait de longues files d’attente. Il fallait se battre pour avoir les tickets.»

«À l’époque, le cinéma était la distraction de la population. Il y avait de longues files d’attente. Il fallait se battre pour avoir les tickets. Il y avait aussi une véritable culture de cinéma autour des films comme Sangam avec Raj Kapoor», raconte Madhukar Dewnarain, qui animait une émission de cinéma pour les téléspectateurs de la MBC.

C’est, en effet, l’âge d’or du cinéma à Maurice et les Charlon Heston, John Wayne, Raj Kapoor, Prem Chopra, Bindu et Zeenat Aman attirent les foules. On compte alors une douzaine de salles aux Plaines-Wilhems, cinq ou six à Port- Louis, cinq au Nord et plusieurs autres au Sud et à l’Est.

L’ancien portier du Novelty «Popome» avait 15 ans à cette époque.

«Les cinémas de Port-Louis étaient fermés à cause de ce qui se passait. La police était présente dans les rues et les gens ne sortaient pas vraiment. C’était dur surtout que les dimanches les salles de cinémas à Port- Louis, Majestic, Luna Park et Opera House, accueillaient je pense 2 000 personnes, c’était de grandes salles», explique un portier de cinéma au Novelty, surnommé «Popome», qui avait 15 ans à cette époque.

«C’était la belle époque des westerns spaghetti.»

Faisant appel à sa mémoire, «Popome» raconte qu’en cette période, heureusement pour lui sa salle de cinéma se trouvait à Curepipe loin des tensions meurtrières de la capitale. «Même à Curepipe les jours d’ouverture, les salles n’étaient pas remplies, les gens restaient chez eux de peur d’avoir des problèmes dans la rue. Les affaires ne marchaient plus très bien…»

Salles bondées

Popome qui travaille toujours au Cinema Novelty explique qu’à cette époque, avec Rs 2 on peut visionner deux films. «Avant les bagarres, les dimanches, les salles étaient remplies jusqu’au dernier siège. On refusait même des clients.»

La même bobine

«C’était, en effet, la belle époque des westerns spaghetti. Chose marquante : les films importés et diffusés par le même importateur commençaient avec une trentaine de minutes de décalage entre Port-Louis-Rose-Hill et Curepipe. La même bobine était transférée d’une salle à une autre et parfois elle accusait du retard et le public lançait des jurons dans la salle...», se souvient Selven Naidu, cinéaste, qui habite non loin de Venus.

Quelle était l’heure d’ouverture des salles de cinémas ? 10 heures du matin jusqu’à minuit dépendant des films. «Il y avait une autre ambiance, les gens sortaient le soir et les rues étaient animées avant que n’éclatent toutes ces tensions. Le cinéma avait une place importante dans la vie des gens», tient à préciser Popome.

Maintenant, des films sur portable

Pour lui, maintenant avec les malls un peu partout, l’ambiance n’est certainement pas la même. Les gens regardent, en 2018, des films sur des portables.

Les jeunes ne connaissent pas l’ambiance des salles obscures, les métiers du cinema, les remarques désobligeantes qu’on entendait, les pains aux curries à la sortie des salles, ainsi que les épis de maïs qui flottaient dans une eau bouillante.

Le cinéma, garderie d'enfants

Les portiers de cinéma, véritables gardiens du temple audiovisuel, étaient à la fois craints et respectés. Contrairement à aujourd’hui, les parents ne craignaient pas de laisser leurs enfants passer des heures entières au cinéma. «Je touchais un mot au portier du cinéma Rex et le tour était joué», explique Mohamed Hassen, parent de la Ward IV.

Dépendant de leur sévérité et la discipline qu’ils instauraient, les parents ne se faisaient aucun souci pour leurs enfants… C’était vraiment la belle époque ! Mais les bagarres et leur récupération politique ont tout chamboulé depuis...

Luc Olivier : «Sur les routes, des gens armés de sabres...»

Luc Olivier, Secrétaire de rédaction à l’express et journaliste depuis 1963

Flash-back, 22 janvier 1968. Où étiez-vous ?
Le 22 janvier 1968 je me trouvais à la rue Volcy Pougnet, non loin de l’hôpital Dr A.G. Jeetoo, où jeune marié je venais d’habiter. Dès le réveil, vers 7 heures-7 h 30, c’est hors de la maison qu’on se projetait, pour savoir des voisins – les Felix, van Schellebeck, Veerapen, Sooknah, John, entre autres – ce qui s’était passé la veille.

Les «qui, que, quoi, où, comment» ne trouvaient aucune réponse plausible et les occupations habituelles étaient chamboulées ou reléguées au second plan. On ne faisait que calculer les va-et-vient des ambulances transportant des blessés ou des mourants ou morts.

La veille se déclenche l’état d’urgence avec cinq morts, quel était le «mood» dans les rues ?
Ce dimanche 21 à Sainte-Croix n’était pas comme les autres. Sur toutes les routes, on voyait des groupes de gens armées de sabres, debarres de fer et de bâtons, sur le qui-vive - et avec des tas de pierres à portée de main. Les femmes n’étaient pas les moins en évidence. On signalait l’arrivée de «bann-la» en frappant d’un morceau de fer un poteau électrique qui à cette époque était en fer également. Les informations les plus fantaisistes circulaient.

Mais lorsqu’on apprit qu’Aboo Soobratty et Peerbhoy se sont fait tuer près de l’église Père Laval et qu’un troisième n’a du son salut qu’à la présence d’un prêtre, le paroxysme était atteint. Les plus costauds et les plus grandes gueules incitaient au meurtre, parlant de se rendre du côté de Cité Martial.

Entre-temps arrivait pour moi l’heure d’aller au boulot. Mais les autobus vers Port-Louis avaient cessé de circuler et pas un taxi en vue. Le seul recours était une ambulance transportant des blessés à l’hôpital dont le député Abdool Carrim. Ce dernier expliquait qu’il avait échappé à la mort grâce à sa renommée. Effectivement, il était très populaire à l’époque du fait de son appartenance au parti bleu.

L’ambulance partit vers l’hôpital avec un policier armé, au cas où… Mais pas question d’emprunter la route des Pamplemousses, l’option était la route Nicolay. Surprise, elle était bloquée par des pierres, des roues de véhicules enflammées et autres morceaux de bois. Avec des gens armées non loin, ce qui ne plaît pas au policier.

Machine arrière donc jusqu’à ce qui alors était connu comme la BAT – British American Tobacco – et on choisit la route St-Francois-Xavier. Soulagement, elle est libre et on arrive à l’hôpital sans encombre. Alors que l’on prend soin des blessés, je vais aux renseignements pour rien. Ceux-ci arriveront plus tard, officiellement. Et une fois au bureau avec deux heures de retard, j’en fais le recit au rédacteur du jour, le Dr Philippe Forget.

Quid des activités de tous les jours : l’école, les commerces… ?
Il n’est pas question d’école pendant cette periode des plus instables. Qui serait assez fou ou inconscient pour y envoyer son enfant ? Si des commerces fonctionnaient, c’était avec des volets clos. L’on était servi à travers les barreaux d’une fenêtre ou d’une porte à peine entrouverte.

Les journaux étaient quand même imprimés ?
Oui, les journaux, l’express en premier, ne pouvaient se permettre de ne pas rapporter l’actualité. Qui aujourd’hui est devenue l’histoire. Une parenthèse noire qu’on ne pourra jamais élider, quoi que l’on fasse.

Que souhaitez-vous pour les 50 ans d’Indépendance de Maurice ?
Que jamais personne dans ce pays que l’on aime, chacun à sa manière, ne vive ne serait-ce qu’une heure, que dis-je, une seconde de ce que j’ai temoigné.

Un ‘hashtag’ pour célébrer Maurice

<p>Depuis 1963, année de sa création, <em>l&rsquo;express</em>&nbsp;a milité pour le mauricianisme. Pour marquer comme il se doit les 50 ans d&rsquo;Indépendance du pays, découvrez notre plateforme numérique dédiée.</p>

<p>Le quotidien <em>l&rsquo;express</em>&nbsp;a été lancé précisément pour lutter en faveur de l&rsquo;indépendance de Maurice. Celle-ci, intervenue cinq ans plus tard, n&rsquo;a pas été acquise facilement, contrairement à ce que l&rsquo;on pourrait croire. Après avoir soutenu le combat mené par sir Seewoosagur Ramgoolam, <em>l&rsquo;express</em>, à partir du 12 mars 1968, a vite pris ses distances de SSR, du Parti travailliste, et de toute autre influence politique, ou économique, afin de pouvoir exercer le métier de journaliste en toute indépendance. &laquo;<em>Without fear or favour.&raquo;</em></p>

<p>Nous n&rsquo;avons, depuis, jamais cessé de militer pour l&rsquo;émergence du mauricianisme, c&rsquo;est-à-dire un système qui favorise la méritocratie et l&rsquo;effort du citoyen mauricien. Notre combat contre le &laquo;noubanisme&raquo; continue, de même que notre lutte quotidienne pour un développement intégral et intégré de Maurice.</p>

<p><a href="https://www.facebook.com/50ansmoris" target="_blank">#50ansmoris</a> est notre façon à nous de célébrer le mauricianisme. De rendre hommage à Maurice à l&rsquo;aube de ses 50 ans. De célébrer notre héritage commun, bref de nous célébrer, qu&rsquo;on soit d&rsquo;ici ou d&rsquo;ailleurs&hellip;</p>
Saisie d’armes tranchantes par les soldats anglais de la King’s Shropshire Light Infantry venus instaurer l’état d’urgence et veiller au respect du couvrefeu. Ils assuraient aussi des «checkpoints» le soir à Port-Louis. Sans eux, la situation se serait envenimée et les armes probablement jamais saisies...

L’instauration de l’état d’urgence barrait la Une du 22 janvier 1968. Les témoins de ces bagarres assurent que les émeutes Kaya n’étaient rien à comparer aux tensions de 1968.