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Laure Pillay: une centenaire qui a ouvert la voie

26 mars 2017, 10:32

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Laure Pillay: une centenaire qui a ouvert la voie

Il y a une dizaine de jours, Laure Pillay a eu 100 ans. C’est un mois après sa naissance, soit le 20 avril 1917, que cette centenaire, pas tout à fait comme les autres, a été déclarée. Elle a été la première avocate et la première magistrate du pays.

Le quotidien de Laure Pillay, qui a trois gardes-malades à son chevet, se borne aujourd’hui à faire la navette entre le lit et le sofa, le regard fixe et perdu dans le vide. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même, étant incapable de se mouvoir seule après s’être fracturée le bassin. Elle ne peut même plus admirer la beauté de la montagne à partir de son appartement port-louisien. De peur qu’elle ne soit davantage désorientée et abrutie par des visages inconnus, ses enfants ont refusé pour leur mère la célébration offerte à tous les centenaires par le ministère de la Sécurité sociale.

Jusqu’à l’approche de ses 90 ans, Laure Pillay se portait comme un charme et voyageait pour rendre visite à ses trois enfants, à ses cinq petits-enfants et sept arrière-petits-enfants. «Elle aimait voyager et aimait chouchouter ses petits-enfants et arrière-petits-enfants», raconte sa fille.

Beau destin que celui de Laure Pillay. Elle est l’aînée des 11 enfants Venchard. Elle fréquente l’école Champ-de- Lort et réussit ses études primaires et secondaires. Elle fait montre, très tôt, d’un caractère bien trempé. Ses parents l’encouragent à aller faire des études supérieures à l’étranger. Les filières d’études les plus populaires à l’époque sont la médecine et le droit. Va pour la médecine. Laure Pillay quitte Maurice en 1938 à destination de Londres et étudie, tout en travaillant au Royal Free Hospital. Elle réussit ses deux premières années de médecine malgré la Seconde Guerre mondiale qui a éclaté.

Bien que Londres soit secoué par des bombardements allemands incessants, Laure Pillay tient bon. Elle est recrutée comme Liaison Officer par le Foreign Office. Elle retrouve un compatriote qu’elle connaît depuis longtemps, à savoir Rabindra Pillay, recruté dans la Royal Air Force et basé en Écosse. Un tendre sentiment se développe entre eux. Ils décident de se marier en 1943. Elle a alors 25 ans et il est d’un an son aîné.

Goût d’inachevé

Un an avant la fin de la guerre, elle donne naissance à une fille au St Neots Hospital, nursing home en dehors de Londres où les femmes sont évacuées au moment de leur accouchement. À la fin de la guerre, elle et sa fille rejoignent leur mari et père à Maurice. Ils vivent dans la maison familiale à la rue St-Louis, à Port-Louis. En 1946 naît sa fille cadette. Laure Pillay, bien qu’elle ait pris un emploi comme enseignante de langues au collège Bhujoharry, a un goût d’inachevé par rapport à ses études supérieures. Son père lui propose alors d’aller les terminer. Mais plutôt que de reprendre la médecine, elle se tourne vers le droit.

En 1949, elle quitte Maurice à destination de Londres et est admise au Lincoln’s Inn. Laure Pillay est admise au barreau en 1955 et regagne Maurice avec sa fille. Elle prête serment comme avocate la même année et ouvre son étude à la rue Pope-Hennessy. Comme elle est la première avocate, elle reçoit un accueil chaleureux là où elle passe. Elle est invitée partout, intervenant lors de certaines manifestations au Queen Elizabeth College que fréquentent ses filles. Celles-ci sont «très fières d’elle. Elle avait de l’allure. Elle était toujours habillée simplement mais bien mise, parfumée et adorait porter des chaussures à talons hauts.»

Défense des survivantes de violence

Laure Pillay ne met pas longtemps à se faire un nom et une réputation dans le métier. Elle défend la cause des femmes victimes de violence domestique. «Elle s’est occupée de nombreux cas de divorce», se souvient son beau-frère. Consciente de la démographie galopante à l’époque à Maurice et de la nécessité d’avoir une politique de planning familial, Laure Pillay aide à fonder la Mauritius Family Planning Association en 1957.

Elle est certes invitée à des réceptions, mais sa famille, avec laquelle elle a déménagé à la rue Labourdonnais, passe avant. D’ailleurs, en 1960, elle donne naissance à son benjamin. Si elle projette en public une image de femme coquette et soignée, à la maison, elle se transforme en cordon bleu. Ayant la main verte, elle adore les fougères.

Elle est invitée à représenter Maurice à deux séminaires sur The Role of Women in Africa in the Social and Political Transition between Traditionalism and the Modern World à Addis Abeba et à Berlin.

En 1967, à 50 ans, elle est nommée magistrate. Une fierté pour elle. Elle siège alors aux tribunaux de Port-Louis, Mapou et Flacq. Elle est ensuite nommée Senior Magistrate. Lorsqu’elle prend sa retraite de la magistrature, elle revient au barreau et, en 1986, le gouvernement fait appel à elle pour qu’elle siège en tant qu’assesseur à la commission d’enquête sur la drogue, présidée par sir Maurice Rault. Dans les années 90, elle est assesseur à l’Industrial Relations Commission. Elle perd son mari en 1992 et emménage dans un appartement à Port-Louis. Ses voisins la considèrent comme leur mère et grand-mère et répondent toujours présents lorsqu’il faut s’occuper d’elle.

Ses enfants conservent de leur mère le souvenir d’une femme tenace, qui a lutté pour réussir et faire primer la justice. «C’était une femme charmante, qui avait un caractère fort et qui avait de l’humour.» Laure Pillay, c’est indéniablement une femme qui a marqué son époque…