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Nathacha Appanah, plume violentée

15 août 2016, 15:09

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Nathacha Appanah, plume violentée

Atteindre les pics de la violence et descendre aux Enfers. Nathacha Appanah plonge sa plume au fond des plaies de l’humanité. Son nouveau roman, Tropique de la violence, sortira dans dix jours, soit le jeudi 25 août, dans la collection Nouvelle Revue Française chez Gallimard.

Sous les tropiques, le lecteur mauricien croit connaître. Qu’il se détrompe. Il est des misères mille fois pires que les nôtres, qui chauffent au soleil. Nathacha Appanah nous entraîne à Mayotte, l’«eldorado, mirage, paradis, chimère, utopie, Lampedusa» de tant de Comoriens en quête d’une vie meilleure. Au point où ils bravent toutes les peurs pour faire la traversée d’Anjouan ou de Grande Comore dans des «lakok pistas» qu’ils appellent là-bas des «kwassa kwassa».

Tropique de la violence est un cri du cœur et des tripes. La plume de Nathacha Appanah se fait dénonciation, devient l’acte citoyen du roman quand la fiction a la rage, le dégoût, l’incompréhension de la réalité.

«Je me suis dit que quelqu’un, quelque part, se souviendrait de cette île française et dirait qu’ici aussi les enfants meurent sur les plages.»

Olivier le gendarme, l’une des consciences du roman, nous assène: «Il m’est arrivé d’espérer quand il y a eu le petit Syrien échoué sur une plage turque. Je me suis dit que quelqu’un, quelque part, se souviendrait de cette île française et dirait qu’ici aussi les enfants meurent sur les plages (…). C’est l’histoire de ces êtres humains qui se retrouvent sur ces bateaux et on leur a donné de ces noms à ces gens-là, depuis la nuit des temps: esclaves, engagés, pestiférés, bagnards, rapatriés, Juifs, boat people, réfugiés, sans-papiers, clandestins

À chaque chapitre, l’écrivain fait dire «je» à l’un de ses personnages. Une proximité qui nous plonge dans l’intimité des chairs violentées; dans la quête identitaire d’un petit comorien élevé à la française. Dans la tête d’un chef de gang encore mineur, drogué, tacticien en diable et obsédé par son image de dur à cuire. Dans l’expérience d’un policier impuissant face à la montée de la violence. Dans le parcours d’un humanitaire convaincu d’être utile, mais qui finira par jeter l’éponge.

Outre Olivier le gendarme qui approche de la retraite, Tropique de la violence compte quatre autres consciences: Marie, l’infirmière française qui a suivi son mari à Mayotte. Il y a Moïse, le fils adoptif de Marie, l’enfant qui a un «mauvais djinn» parce qu’il est né avec un œil vert et un œil noir. Il y a son tortionnaire, Bruce, qui se rêve en Batman, terreur de la nuit. Il est le chef de gang de Gaza, «un bidonville, un ghetto, un dépotoir, un gouffre, une favela, c’est un immense camp de clandestins à ciel ouvert, c’est une énorme poubelle fumante que l’on voit de loin. Gaza, c’est un no man’s land violent où les bandes de gamins shootés au chimique font la loi (...) Gaza, c’est la France». Enfin, il y a Stéphane, un jeune engagé dans l’humanitaire.

L’île de Nathacha Appanah est une terre fertile pour toutes les violences: identitaire, psychologique, sexuelle. Les actes innommables qu’on commet sous l’emprise de la drogue synthétique. On ne compte plus les mal morts du roman, au sens propre comme au figuré. Au sens propre, il y a un meurtre. En fait, c’est un ado de 14 ans, Moïse, qui a tué un jeune de 17 ans, Bruce. Mais qu’est-ce qui a motivé ce geste? Quelque chose n’était-il pas déjà mort en Moïse le jour où sa mère l’a abandonné, tout bébé, à l’hôpital, à cause de ses yeux dépareillés?

Parutions simultanées

En même temps que Tropique de la violence, deux autres textes de Nathacha Appanah sortent dans la collection Folio de Gallimard. Il s’agit de En attendant demain, son précédent roman, et l’inédit Petit éloge des fantômes.