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Il est le seul chirurgien pédiatrique et néonatal à Maurice

14 mars 2016, 13:30

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Il est le seul chirurgien pédiatrique et néonatal à Maurice

«Pendant sept ans, j’ai été disponible sept jours sur sept, 24 heures sur 24 à l’hôpital. Je l’ai probablement fait à tort et ça a joué contre moi car on me prend pour acquis.» C’est ce que confie le Dr Kevin Teeroovengadum, le seul chirurgien pédiatrique et néonatal du pays. Rencontre.

Vous êtes le seul chirurgien pédiatrique à opérer les enfants des cinq hôpitaux du pays. Vous faites aussi des consultations privées et opérez à Fortis Darné, Apollo Bramwell et Lorette. Avez-vous des dons d’ubiquité ?

(Rires) Pas du tout. Après m’être qualifié en France et avoir travaillé comme chirurgien pédiatrique, néonatal et urologique à l’hôpital d’enfants Armand Trousseau à Paris, j’ai choisi de quitter la France malgré ma naturalisation française et mon poste de chirurgien permanent dans un hôpital universitaire parisien. J’ai rejoint le secteur public hospitalier mauricien le 5 janvier 2009. Et là, surprise ! J’étais l’unique spécialiste avec ces compétences à Maurice. Pendant sept ans, j’ai été disponible sept jours sur sept, 24 heures sur 24 à l’hôpital. Je l’ai probablement fait à tort et ça a joué contre moi car on me prend pour acquis.

Combien d’enfants avez-vous opéré jusqu’ici ?

Dans le secteur public, j’ai opéré plus de 4 000 enfants, dont plus de 500 nouveau- nés. Si au début je le faisais à l’hôpital Victoria, j’ai demandé à être affecté à l’hôpital de Rose-Belle car l’hôpital Victoria est saturé. Nous sommes un pays en développement, les ressources sont limitées et lorsque l’on fait des chirurgies complexes, on essaie d’éviter au maximum les contraintes. Et puis, à l’hôpital Victoria, il y a beaucoup d’adultes attendant des chirurgies lourdes et je considère injuste de monopoliser le bloc opératoire parfois pour des chirurgies de confort chez l’enfant. J’ai appris à travailler avec les contraintes de bord. Je suis resté à l’hôpital malgré les difficultés.

Pourquoi donc ? Certainement pas pour l’argent ?

J’aime mon métier. Et si j’ai choisi de démissionner de mon poste de chef de clinique à Paris, c’est pour aider les enfants dans le besoin dans mon pays natal. Mon rêve était et est toujours d’arriver à relever le niveau de la chirurgie pédiatrique à Maurice.

Avant 2009, qui opérait ces enfants ?

Le ministère de la Santé faisait venir des équipes étrangères une fois l’an pour pratiquer des interventions complexes et non urgentes. La chirurgie néonatale d’urgence était réalisée par les chirurgiens généraux. Il n’y a pas que des parents aux revenus modestes qui passent par le secteur public. Parfois, des parents ont les moyens mais leur enfant n’est pas suffisamment stable pour être transféré à l’étranger.

De quels types de complications infantiles parlons-nous là ?  

Nous parlons de malformations congénitales, dont 30 % concernent le système urologique. Tous les organes peuvent être touchés, entre autres : les intestins, le foie, les poumons, l’oesophage et aussi les organes génitaux.

Les malformations congénitales infantiles sont-elles en hausse à Maurice ? Elles semblent en hausse à travers le monde. Mais c’est une augmentation artificielle. Les malformations congénitales ont toujours existé. Autrefois, les bébés mourraient. Aujourd’hui, les parents font un ou deux enfants et on fait tout pour sauver ces bébés s’ils ont un problème. Les malformations congénitales sont donc plus visibles.

Combien de chirurgiens pédiatriques faudrait- il pour Maurice ?

Idéalement, il en faudrait trois à quatre. Mais si j’avais au moins un collègue senior avec moi, j’aurais pu souffler. Je me bats pour monter un service et faire venir des chirurgiens pédiatriques étrangers et former de jeunes chirurgiens pédiatriques mauriciens.

Avez-vous pu exposer votre situation au ministère de la Santé ?

Oui, on commence à mettre en place une unité nationale de chirurgie pédiatrique et néonatale à l’hôpital Jawaharlal Nehru à Rose-Belle. Depuis décembre 2015, cet hôpital a un Neonatal Intensive Care Unit. Je suis privilégié d’être entouré, à Rose-Belle, de gens qui veulent que la chirurgie pédiatrique progresse. Le ministère a accepté de faire venir un chirurgien pédiatre étranger sur contrat pour m’épauler mais il reste à trouver un volontaire. Ce n’est pas facile car les chirurgiens pédiatres sont en grande demande à travers le monde.

Décrivez-nous une journée typique ?

Le matin, je quitte la maison à 6 h 30 et je vais en clinique où j’opère jusqu’à 8 heures. Après, je file à l’hôpital de Rose-Belle pour les consultations et les opérations entre 9 et 16 heures. Il y a des jours où l’on opère après les heures ouvrables (soit entre 18 et 22 heures) car il y a trop de patients. Et malgré cela, j’ai encore 300 enfants sur liste d’attente pour des interventions. Seul, ce n’est plus possible de continuer ainsi.

Pourquoi ne démissionnez-vous pas ?

Si je pars, le niveau de la chirurgie pédiatrique va baisser dans le secteur public et beaucoup de parents n’auront pas les moyens de venir me voir dans le privé. J’essaie de garder le niveau que j’avais en France dans le secteur public hospitalier mauricien. En sept ans, sur les quelque 500 nouveau-nés opérés, 428 bébés ont survécu, le taux de survie est de 85 % environ.

Avez-vous des contraintes similaires dans le privé ?

Non. Je fais des chirurgies dites «mineures» dans le privé. La seule clinique où je peux vraiment opérer des cas compliqués dans des conditions optimales, c’est à Apollo. Leur set-up permet d’avoir un diagnostic précis rapidement, les salles d’opération sont modernes, ils ont des équipements dernier cri et leurs soins intensifs sont adaptés aux chirurgies néonatales pédiatriques complexes. Ils ont des gens compétents sur lesquels je peux compter avant et après la chirurgie.

Puisque c’est la croix et la bannière pour pouvoir exercer votre profession dans le secteur public, qu’est-ce que vous attendez pour rejoindre le privé ?

Je me le demande ! Surtout actuellement où je suis de plus en plus déçu par la nature humaine. Il y a des gens qui pensent que vous travaillez à l’hôpital parce que vous n’êtes pas assez bon pour travailler dans le privé ! Et que puisque les soins sont gratuits, ils ne peuvent être bons ! Pour quelqu’un qui fait autant d’efforts, c’est décourageant. Je reste dans le service en me disant que je ne suis peut-être qu’à quelques pas du but, que les choses s’amélioreront bientôt et qu’en partant, je renoncerai.  D’un autre côté, je suis encore jeune et j’ai encore le temps et l’énergie de réaliser un projet dans le privé.