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Tahar Ben Jelloun: «J’ai fait ce que les fanatiques détestent»

8 mars 2016, 08:30

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Tahar Ben Jelloun: «J’ai fait ce que les fanatiques détestent»

Que peut un prix Goncourt face à l’extrémisme ? Question posée à Tahar Ben Jelloun, sous la varangue du château du Réduit. L’écrivain y donnait une conférence, le vendredi 4 mars, sur le thème Culture, quelles véritables rencontres?

Une conférence où l’écrivain a tenu, de son propre aveu, un «discours un peu énervé». S’insurgeant tour à tour contre Daech, «l’horreur absolue». N’épargnant strictement personne. Ni la «politique agressive et stupide que les États-Unis ont illustrée en 2003 avec une intervention illégale en Irak. Une intervention qui a détruit l’Irak en tant qu’entité politique et culturelle». Confrontant les idées reçues. «Si vous parlez de Palestine, vous êtes antisémite.» Sans oublier Israël et sa politique d’occupation. «Si on ne peut plus critiquer un État colonial et raciste (…), la pensée n’est pas libérée.»

Vous avez dit culture ? Tahar Ben Jelloun a su ouvrir les horizons de ce vaste et hétéroclite ensemble que l’on nomme culture. Stigmatisant tous ceux, médias compris, qui s’efforcent de la cloisonner. Cela en présence de la présidente de la République Ameenah Gurib-Fakim.

La culture chez Tahar Ben Jelloun, c’est de citer avec à-propos Yourcenar, Simenon, Spinoza, Camus, Sartre, Foucault, Hessel et tant d’autres. Tout en gardant les yeux grands ouverts sur l’actualité. Avec clarté et précision, l’écrivain a pris de la hauteur. Plus Tahar Ben Jelloun parlait, plus les pièces d’un vaste puzzle se sont mis en place sous les yeux médusés de l’auditoire trié sur le volet. Plus que jamais, le monde a fait sens. Un sens qui effraie.

«On a raté l’éveil des intellectuels, des intelligences.» 

Dans ce monde-là, les premiers à tomber sous les coups de «l’horreur absolue», sont la culture, les grandes statues, les mausolées. «Il y a une expression que je déteste, c’est le choc des civilisations. Ce qui est beaucoup plus grave, c’est le choc des ignorances.» Et de ses corollaires : la peur, la haine et la violence. «C’est l’ignorance et la cruauté qui avancent. On est loin d’empêcher que des jeunes soient attirés par son discours et sa propagande.» Tahar Ben Jelloun nous assène : «30 000 jeunes se battent aujourd’hui dans les rangs de Daech.»

La faute à qui ? L’écrivain pointe un doigt accusateur en direction des intellectuels. «On a raté l’éveil des intellectuels, des intelligences.» Pire, des intellectuels ont «commencé à répandre des idées qui rejoignent celles portées par les partis d’extrême droite. Aujourd’hui, il manque à la France un penseur de l’humain». Conséquence : «L’islamophobie a débouché sur la haine de l’islam.»

La question obsédante revient en boucle. Que peut un écrivain ? Que peut la littérature face à l’innommable? «Le rôle des écrivains, c’est de descendre sur le terrain.» D’aller dans les écoles. Tahar Ben Jelloun dit croire beaucoup dans la pédagogie. «Les enfants sont très heureux de recevoir un écrivain, quel qu’il soit, parce qu’ils n’en ont pas l’habitude. Je préfère travailler avec des jeunes, qui ont l’esprit encore vierge. Je sais que ma parole ne sera pas écoutée, mais disons qu’à force de répéter, cela peut laisser quelques traces et c’est bien.»

Auteur de Le racisme expliqué à ma fille, Tahar Ben Jelloun, dont la langue maternelle est l’arabe, n’écrit qu’en français. «J’ai fait ce que les fanatiques détestent, j’ai passé mon temps à faire le lien.» Avec son dernier livre, Le mariage de plaisir, sorti le mois dernier chez Gallimard, l’écrivain affirme qu’il a déjà «tellement dénoncé le racisme en Europe. Là, je dénonce le racisme dans mon pays.» Ainsi, «pour une fois, la littérature va être utile». À force de dénoncer, Tahar Ben Jelloun a-t-il déjà été menacé? Les yeux au ciel, le prix Goncourt hausse des épaules. Et lâche : «Oh ! Pas directement. Ce n’est pas important, vous savez.»