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Exportation interdite: vieille ferraille, nouveaux problèmes

31 janvier 2016, 20:58

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Exportation interdite: vieille ferraille, nouveaux problèmes

L’annonce leur a fait l’effet d’un coup de barre. Marsan, collecteurs, transporteurs, exportateurs et autres personnes impliquées dans le business de la vieille ferraille – qui vaut son pesant d’or – déplorent le fait que le gouvernement veuille en interdire l’exportation. Une décision a été prise en ce sens au Conseil des ministres, le 15 janvier. De ce fait, la Mauritius Scrap Metal Workers Association s’est octroyé les services de Me Rama Valayden pour faire savoir de quel bois elle se chauffe. Alors que du côté de Samlo, seule fonderie du pays, l’on reste de marbre face aux questions sur le monopole du marché. Les différentes parties croisent le fer.

Marsan feray, précieux gagne-pain

Les aléas de la vie ont forgé son caractère. Et lui ont conféré une volonté de fer. Pour subsister, Muzameel Fra fouille les dépotoirs à ciel ouvert, les poubelles, les cours, les terrains en friche. Son or à lui: la vieille ferraille. Cela fait six ans qu’il exerce le métier de marsan feray. Il n’a pas trop le choix, il faut bien qu’il gagne sa croûte.

Nombreux sont ceux qui, comme Muzameel, dépendent de la vieille ferraille pour se faire un peu d’argent. Certains n’hésitant pas à manier des produits toxiques pour «gagn enn ti kas». Mais avant d’aller trifouiller dans les moindres coins et recoins, Muzameel explique qu’au préalable, il faut avoir négocié avec un collecteur «ki to deza koné», qui, lui, possède un permis pour transporter et collecter de la vieille ferraille. Celui-ci négocie alors avec les acheteurs et exportateurs.

Car, il faut savoir que les marsan feray n’ont pas le droit d’entreposer la «marchandise», un permis pour le scrap yard étant nécessaire pour ce faire. Cinq propriétaires ont d’ailleurs été pris en contravention l’année dernière pour entreposage illégal de vieille ferraille, selon la police de l’Environnement.

Quoi qu’il en soit, «kan nou fini negosié lerla nou al rod feray-la», lâche Muzameel. Il l’entrepose alors dans sa propre cour en attendant que le collecteur et son camion ne débarquent, pour l’acheminer jusqu’au dépôt. La marchandise est alors évaluée, les pièces trop rouillées sont jetées. Elles retournent là d’où elles viennent…

Une fois le tri effectué, le collecteur procède à la pesée. Là, les prix varient comme suit: Rs 3 le kilo pour la ferraille, Rs 50 pour le cuivre, Rs 20 pour l’aluminium et Rs 20 pour l’acier inoxydable , entre autres.

Muzameel, lui, peut «ramasser» quelque 500 kilos de vieille ferraille et de métaux par semaine. De quoi «tras lavi-la».

Rs 21 millions

C’est le chiffre d’affaires que brasserait le business de la vieille ferraille, selon Hassim Soobraty, un exportateur et membre de la Scrap Metal Workers Association. Les compagnies spécialisées dans ce secteur sont toutes des petites et moyennes entreprises, les propriétaires ayant embrassé le métier depuis plusieurs générations, comme notre interlocuteur, qui opère dans le domaine depuis 1958.

Samlo + profits = zéro ?

Les comptes de Samlo Kolyenco Steel Co Ltd sont-ils dans le rouge ? C’est en tout cas ce que laissent entrevoir les derniers relevés de comptes de cette compagnie, disponibles au Registrar of Companies. Les chiffres tendent à montrer que la société, spécialisée dans le recyclage de la vieille ferraille et la production de barres de fer, notamment, a enregistré des pertes en 2012 alors que les profits étaient au rendez-vous les années précédant celle-ci. Difficile toutefois d’en être sûr, les bilans financiers de 2013 à 2015 n’étant pas disponibles au Registrar of Companies.

Pour en savoir davantage, nous avons posé la question à Mahen Gowressoo, l’un des directeurs de la compagnie. Il trouve «bizarre» que les chiffres pour les trois dernières années ne sont pas disponibles au Registrar. Toujours est-il qu’au sujet des pertes enregistrées par Samlo, s’élevant à Rs 1,8 million, précise-t-il, il affirme «que ce n’est pas grave pour une société de cette envergure. Je ne saurai vous dire comment était la situation financière de 2013 à 2015. Il faut voir les comptables».

Détails des comptes de Samlo Kolyenco Steel Co Ltd obtenus auprès du Registrar of Companies

Juin 2008             Rs 4 089 181

Juin 2009             Rs 10 518 521

Juin 2010             Rs 2 060 427

Décembre 2010   Rs 335 611

Décembre 2011   Rs 184 185

Décembre 2012   Rs – 1 848 596 (pertes)

Big Business

Les chiffres de Statistics Mauritius concernant le business de la vieille ferraille sont parlants. De janvier à septembre 2015, plus de Rs 145 000 000 de vieille ferraille ont été exportées vers divers pays, principalement vers ceux d’Asie. À noter que ces chiffres ne prennent pas en compte l’exportation d’autres métaux ou d’alliages usagés, comme l’acier, vers l’Europe et l’Asie.

Pays                 Quantité (kg)    Montant (Rs)

UAE                     2 818 015      46 360 506

Inde                    7 927 881      60 752 389

Corée du Sud     104 454            525 907

Malaisie              454 428         6 353 758

Pakistan             138 801            947 460

Thaïlande           266 147       1 339 999

Vietnam          3 700 326      29 413 753

Total :                                    145 693 772

Quel prix sur le marché asiatique ?

Tout comme l’or, le prix de la vieille ferraille varie sur le marché asiatique. Il peut descendre jusqu’à Rs 7 500, mais actuellement il oscille entre Rs 9 000 et Rs 10 000 la tonne. «Nous pratiquons le hedging avec nos clients. Nous négocions à l’avance. On gagne ou on perd. Il faut juste savoir négocier», explique un exportateur. Sur le marché local, les exportateurs – ou le groupe Samlo – achètent la marchandise à Rs 4 500 la tonne. Est-ce que cela signifie que la marge de profit est énorme? «Non. Le profit sur chaque tonne de ferraille tourne autour de Rs 1 500», répond notre interlocuteur.

Une fois la ferraille rassemblée, l’on procède au découpage, à l’aide d’un chalumeau. «Nous achetons du gaz. Il faut quatre jours pour remplir un conteneur de quelque 20 tonnes, tout en sachant qu’il faut parfois employer trois personnes pour ce faire et qu’on leur paie Rs 750 par jour», ajoute-t-il.

2 000 emplois menacés ?

Sont concernés : les exportateurs, chauffeurs, aides-chauffeurs, collecteurs, marsan feray et les «coupeurs», entre autres. Ainsi, «entre 2 000 et 4 000 emplois sont menacés», estime Rama Valayden, l’avocat représentant les membres de la Maurtius Scrap Metal Workers Association. Ce sont les exportateurs et les entrepreneurs en camionnage qui ont approché l’homme de loi pour défendre leur cause et faire en sorte que le gouvernement entende leur voix.

«Ce qui est plus grave, c’est que les ramasseurs de vieille ferraille ont du mal à trouver du travail et ils résident dans des quartiers pauvres», souligne Rama Valayden. La décision d’en interdire l’exportation favorisera, selon lui, la seule fonderie du pays, Samlo, dont Mahen Gowressoo est l’un des directeurs. D’autre part, même si la fonderie en question est tenue d’acheter la vieille ferraille au prix prévalant sur le marché international, les membres de la Mauritius Scrap Metal Workers Association ne sont pas très enthousiastes à l’idée de travailler avec cette compagnie, disent-ils.

«Pour ce qui est de la capacité, cette fonderie peut traiter quelque 400 conteneurs de vieille ferraille par année alors que le nombre de conteneurs qui quittent le pays est actuellement de 1200 environ. Donc, ceux qui ne pourront pas vendre leur marchandise seront condamnés à cesser toute activité. De plus, ladite fonderie est connue pour ses retards quand il s’agit de payer ses collaborateurs. C’est pour cette raison que mes clients ne souhaitent pas travailler avec», précise l’avocat. Mahen Gowressoo, lui, dément ces accusations. Et affirme que Samlo n’est, en aucun cas, un mauvais payeur. «C’est totalement faux de dire ça !»

Sinon, Samlo est-elle en situation de monopole ? Rama Valayden estime qu’en interdisant l’exportation de la vieille ferraille, le gouvernement a effectivement créé une situation de monopole car Samlo est la seule fonderie qui opère dans ce domaine sur le marché local. «C’est contraire à la Competition Act. Le gouvernement a pris une mauvaise décision et il semblerait que le dossier a été mal préparé», insiste Rama Valayden. Ses clients et lui sont d’avis qu’il faut battre le fer quand il est chaud.


Questions croisées…

 

Mahen Gowressoo directeur de Samlo : «Pas de favoritisme»

 

La décision d’interdire l’exportation de la vieille ferraille est-elle justifiée ?

C’est définitivement un avantage pour le pays, au vu des cas de vol de ferraille ou de cuivre rapportés. C’est principalement dans cette optique que cette décision a été prise. Une tonne de scrap metal peut en effet être revendue à Rs 3000 ou Rs 4 000 alors qu’une tonne de cuivre peut rapporter Rs 150 0000. Ceux qui exportent de la vieille ferraille ajoutent une quantité de cuivre dans les conteneurs, en cachette, et c’est difficile de tout vérifier, de tout détecter. Voilà pourquoi le gouvernement a entrepris des actions nécessaires.

Qu’adviendra-t-il des petits collecteurs qui dépendent de la vieille ferraille pour se faire un peu d’argent?

Écoutez, le gouvernement ne dit pas que cette décision est prise pour favoriser Samlo, mais pour éviter les vols qui ne cadrent pas avec une île Maurice moderne. Il n’y avait pas de contrôle auparavant alors que maintenant, oui. Samlo rachète la vieille ferraille en se basant sur un prix international fixe dans le business.

N’empêche que Samlo aura quand même le monopole sur ce marché…

Mais non, ce n’est pas une situation de monopole ! C’est quand on vend un produit qu’on parle de monopole ! Mais nous, nous achetons la ferraille, nous achetons de la matière première, il n’y a pas de monopole!

Cader Sayed-Hossen, ancien ministre du Commerce : «Décision injuste»

La décision d’interdire l’exportation de la ferraille est-elle justifiée ?

Non, vraiment pas ! Cela engendre, en premier lieu, une situation de monopole, avec la «catégorie» des exportateurs qui disparaît. Car ici, il n’y a qu’une compagnie qui rachète de la vieille ferraille, pour la fabrication de matériaux de construction notamment. Résultats des courses : ladite compagnie imposera ses prix. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la vieille ferraille, c’est le gagne-pain des petits collecteurs, qui revendent leur marchandise à des «dealers» qui, à leur tour, les revendent aux exportateurs. Et les prix que tous ces «maillons de la chaîne» obtiennent en revendant leur vieille ferraille localement sont inférieurs aux montants qu’ils obtiennent en l' acheminant vers d’autres pays.

Nous importons aussi de la ferraille pour la construction. N’est-ce pas positif, dans ce cas, pour l’industrie locale, de diriger le «scrap metal» vers une fonderie mauricienne ?

Nous importons de la ferraille qui contient des composants chimiques, visant à renforcer le métal. Il s’agit là d’un produit relativement sophistiqué. Ce que nous exportons, nous, c’est de la ferraille qui n’est pas utilisable et que les gens jettent. Arrêter l’exportation de la ferraille et tout diriger vers une fonderie locale ne va pas changer le prix du matériau utilisé pour la construction, ce qui fait que cette décision n’est pas justifiée.

Il faudra donc, selon vous, revoir cette décision prise par le gouvernement actuel ?

Oui ! Il faut revoir cette décision qui est fondamentalement injuste avec une seule et unique bénéficiaire: cette fonderie locale. Quand nous reviendrons au pouvoir, nous ferons lever cette interdiction! 

Ashit Gungah, ministre du Commerce : «Pas de faveur accordée»

 

Quelles sont les raisons qui ont motivé cette interdiction ?

Plusieurs choses ont amené le gouvernement à revoir sa politique en ce qui concerne l’exportation de la vieille ferraille. Il s’agit de mettre un frein aux vols de câbles du CEB et ceux de Mauritius Telecom. Il y a aussi des opérateurs qui exportent du cuivre en les camouflant dans des conteneurs, parmi la vieille ferraille. Pas plus tard qu’en décembre dernier, il y en a eu plusieurs tonnes qui ont été saisies par la douane.

N’y avait-il pas un autre moyen de contrôler ce trafic ?

L’exportation du cuivre est interdite depuis août 2012 mais cela n’a pas donné les résultats escomptés. Si le CEB et Mauritius Telecom peuvent trouver des moyens pour sécuriser davantage leurs câbles, cela aiderait à résoudre le problème.

Ce faisant, le ministère favorise involontairement une seule entreprise, Samlo, qui s’est rapprochée du gouvernement avant les élections…

Il n’y a pas de faveur accordée à quelque entreprise que ce soit. Si nous avons des demandes émanant d’autres compagnies, qui veulent se tourner vers le recyclage de la vieille ferraille et que toutes les procédures, surtout au niveau de l’environnement et de la sécurité, sont suivies, elles pourront exploiter ce créneau. D’ailleurs, certaines ont déjà exprimé leur intention. Il faut aussi souligner que la décision du Conseil des ministres fait clairement mention du fait que l’acheteur local doit payer le prix de vente affiché au niveau du cours mondial. Les exportateurs ne peuvent donc affirmer qu’ils seront perdants en termes de revenus.

En attendant, Samlo est tout de même en situation de monopole, non ?

Comme je l’ai déjà précisé, d’autres opérateurs peuvent se positionner sur le marché.

Vous avez eu une rencontre avec les opérateurs justement. Qu’est-ce qui en a découlé ?

J’ai pris connaissance de leurs doléances. J’en aviserai le Conseil des ministres avant de décider de la marche à suivre. Nous veillerons à ce que la mise en oeuvre de la décision du gouvernement ne se fasse pas au détriment des différentes parties concernées.