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BAI: les Rs 3,6 milliards du 31 décembre 2009 mises en perspective

10 octobre 2015, 00:21

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BAI: les Rs 3,6 milliards du 31 décembre 2009 mises en perspective

Le rapport des comptes de la BAI par KPMG pour 2010 était déjà alarmiste. Les auditeurs avaient mis au jour que le groupe n’avait plus assez d’argent : l’absence de cash ne pouvant être valablement compensée par les réévaluations (fair value) d’investissements. La seule source d’argent «frais» était le Super Cash Back Gold, lui aussi en déficit actuariel croissant. En somme, pour payer les assurés, il fallait du cash, donc toujours plus d’assurés. Une spirale sans fin. Cependant, contrairement à ce que l’on peut penser (voir schéma I), les Rs 3,6 milliards qui apparaissent dans les comptes de la BAI, la veille de l’année 2010, pourraient ne pas être qu’une «pirouette» sans substance…

 

Le 29 mars 2011, face à l’audit committee de British American Insurance Co Ltd (BAI), KPMG faisait une présentation détaillée de son audit des comptes de ce groupe au 31 décembre 2010.

 

Les points saillants, qu’on peut relever, en sont :

 

L’activité d’assurance de la BAI perd de l’argent tous les ans depuis 2004, avec des pointes de Rs 727 millions de pertes en 2008 et Rs 1 045 millions de pertes en 2010. Quand on prend en compte (à l’exclusion des ajustements comptables «fair value», c’est-à-dire «non cash», voir point 2), les revenus sur investissements, moins les mauvaises dettes, les frais opérationnels et les coûts financiers ; les pertes opérationnelles deviennent encore plus importantes avec des résultats négatifs de plus de Rs 500 millions en 2006, 2008 et 2010 et un sommet de Rs 1,76 milliard pour l’année 2010. Sur les sept années à fin décembre 2010, la perte sur l’activité des assurances se monte déjà à Rs 2,7 milliards… et la perte opérationnelle cumulée (après avoir ajouté ce que cela coûtait pour faire tourner le business) se monte à Rs 3,9 milliards… (Tableau I)


 

■ Tableau I

 

Avant d’arriver à la ligne de «profits et pertes» de la BAI, interviennent alors, bien normalement, les ajustements comptables de «fair value», qui sont essentiellement des estimations actualisées de ce que vaudraient les divers investissements (biens, actions, etc.) du Groupe BAI. Ces chiffres sont tous positifs, sauf en 2005, et se montent cumulativement (de 2004 à 2010) à +Rs 5,1 milliards environ. En ajoutant ces estimations aux pertes opérationnelles, la BAI affiche donc des profits, certes bien trop modestes au vu de la taille du bilan, pour chaque année, sauf en 2005 (Tableau I), mais des profits tout de même… grâce aux «fair values». 

 

Le problème c’est qu’alors que les pertes opérationnelles sont sous la forme de «hard cash», les «fair values adjustments» ne le sont évidemment pas. Les pertes d’opération c’est de l’argent bien réel, les «fair values» sont des estimations de valeurs qui restent encore à être «réalisés» de manière tangible. Quand on perd cash Rs 3,9 milliards en sept ans, il faut trouver de quoi boucher ce «trou» du point de vue cash-flow. C’est là où le «single premium Super Cash Back Gold» est particulièrement utile, puisque ressemblant comme deux gouttes d’eau à un dépôt fixe, avec un gros montant déposé par l’assuré, il apporte à la compagnie non pas les petites primes mensuelles régulières de la police d’assurance classique, mais des sommes substantielles «cash» qui permettent de combler les trous béants de pertes opérationnelles grandissantes. D’ailleurs, depuis longtemps déjà le «single premium» est vital cash-flow wise, représentant, à partir de 2008, entre cinq et six fois les primes (les montants que le client doit payer pour bénéficier de son assurance) rapportées par les polices d’assurance normales (Tableau II). 

 

■ Tableau II

 

Aux pages 10 et 11 de leur rapport, les officiers de KPMG démontrent que le produit «single premium», en l’occurrence, le Super Cash Back Gold (SCBG), a enregistré un déficit net comptable de Rs 732 millions en 2008, Rs 384 millions en 2009 et Rs 704 millions en 2010. Partant de l’hypothèse d’une augmentation de 40% des primes et du portefeuille du SCBG et une augmentation de 60% des réclamations et bénéfices, incluant les bonus, réclamés par les clients, ce déficit net pourrait potentiellement exploser à Rs 1,6 milliard en 2011, Rs 3,2 milliards en 2012 et plus de Rs 6 milliards en 2013, previent KPMG ! (Tableau III). C’est une manière de dire aux directeurs, les premiers responsables en la circonstance, l’urgence de la situation. Le «Green plan» de mise en vente de certains actifs va prendre corps quelque temps plus tard…

 

 

■ Tableau III

 

À la page 13, qui tente d’illustrer la situation potentiellement explosive des fonds propres de la BAI pour les trois années à venir, on voit, sur une ligne intitulée «Share application monies» une injection de capital de Rs 3,6 milliards en 2009... Ce qui stabilise, quelque peu la situation. À la page 15, on suggère par un schéma que cette «augmentation de capital» est, en fait, du round–tripping, soit un mouvement tournant d’effet nul entre related party companies (filiales) du groupe (Schéma I). Le terme «round tripping» est malheureux, car, en fait, si l’injection de capital n’est pas de l’argent «frais» extérieur à la compagnie, il emmène, en contrepartie Rs 3,6 milliards de CCRPS (Cummulative Convertible Redeemable Preference shares) sur Apollo, Courts, Iframac. À un taux théorique de 14% ! Qu’ils sont supposés payer aussi à BA Investment... Une collaboration bancaire de la Banque des Mascareignes est évidemment nécessaire pour faire ce montage. La FSC ayant vérifié la transaction, (l’augmentation de capital étant requise sous le nouveau Insurance Act de 2007), la trouve d’ailleurs valide et l’approuve. KPMG peut approuver les comptes. Reste à démontrer que ces CCRPS valent bien Rs 3,6 milliards à ce moment-là.

 

Schéma I

 

KPMG n’est certainement pas dupe et fait part de ses doutes sérieux à la BAI (à partir de la page 16 de son rapport), alors qu’il continue à signer les comptes selon ce qu’il dit être les meilleurs préceptes de la profession, notamment, mais pas seulement, à cause d’un excédent net d’actifs, souvent contrevérifiés par des tiers indépendants. KPMG écrit noir sur blanc que la BAI est déjà dans une «deficit situation without the MUR 3.6 billion capital injection» et avance que ce «book entry», s’il est répété comme solution d’avenir, est «not sustainable for long term in view of losses from insurance business and non realisable fair values». La situation est clairement grave !

 

 

■ Tableau IV 

 

Dans un autre angle particulièrement négatif pour la BAI, KPMG analyse l’évolution de plus en plus effrayante du portefeuille de placements (Tableau IV), soulignant que le pourcentage des actifs de la BAI investi dans le groupe lui-même (comptes courants compris) passe de 70% du total en 2007 à 85% du total des actifs à fin 2010, soit de Rs 4,7 milliards à 16,8 milliards*. La FSC de Milan Meetarbhan a laissé filer... Pire! Les dividendes émergeant de ces investissements grandissants au sein du groupe, sur la même période, vont dans la direction opposée, soit de Rs 137,5 millions en 2007 à… Rs 2,8 millions en 2010! KPMG y ajoute bien une ligne de revenus d’intérêts sur les comptes courants (en prêtant de l’argent à ses related parties, dans le groupe on est censé toucher des intérêts), qui progressent, eux, de Rs 109,8 millions à Rs 442,4 millions sur la même période, ce qui n’empêche pas le retour sur investissement intra-groupe «cash» de baisser de 5,2% à 2,6%. Mais l’auditeur ajoute laconiquement, sous un astérisque qui n’est ancré nulle part que «interest on current a/c are capitalised, with remote cash movement». Ce mauvais anglais laisse probablement comprendre que ces intérêts, on n’en voit pas souvent la couleur ! Tout tient donc au «fair value» des actifs...

 

La situation des liquidités au 31 décembre 2010, choque également. En effet, les Rs 11,683 milliards investies dans des related party companies ne sont pas liquides, les Rs 5,132 milliards avancées en comptes courants principalement à BA Investment (Rs 2,3 milliards) et BA Treasury (Rs 1,8 milliard) ne peuvent être rapidement rendus liquides non plus. Seules Rs 474 millions d’actifs sont en dépôts divers à moins de 12 mois et Rs 379 millions sont en actions «liquides» sur la Bourse. Il y aussi, évidemment, Rs 122 millions en «cash» dans les banques. KPMG s’interroge sur les possibilités de vente des actions dans BA Kenya (qui possède un joli morceau de Equity Bank), alors évaluées à Rs 2,5 milliards et dans la Bramer Bank, estimées à Rs 1,3 milliard. À la page 30, KPMG enfonce le clou en évoquant le profil de maturité des polices d’assurance et pose la question brutalement: «Comment faire pour payer Rs 4,2 milliards de polices arrivant à maturité en 2011, avec des actifs liquides de seulement 976 millions, SINON qu’en assurant un taux élevé de renouvellement de ces mêmes maturités?» (La traduction est nôtre). 

 

En conclusion :

 

On ne sait pas, à ce stade, ce que l’audit committee de la BAI a pensé de cette présentation de KPMG. On ne connaît rien non plus, ou presque, des mesures prises par la BAI pour réagir à ce qui peut se décrire comme une catastrophe déjà largement consommée. Sauf qu’il fallait continuer à bien soigner les clients du SCBG, en attendant de trouver des acheteurs pour les actifs principaux du groupe.

 

Mais on sait, en écho à la dernière question de KPMG, que la BAI ne pouvait aucunement survivre avec des retours sur investissements «cash» aussi bas (2,6%), qu’en s’assurant que les polices SCBG (dont le taux de rémunération est alors de 10,5% en moyenne) SE REPAIENT LE MOINS SOUVENT POSSIBLE (ce qui implique qu’il faut systématiquement allécher et retenir le client, avec des primes au-dessus des taux de marché) et aussi… que de nouveaux «couillons» (selon le terme plutôt juste du ministre des Finances) viennent accepter de déposer leur argent.

 

C’est ce qui se passera quatre années encore, de plus en plus difficilement. Le château de cartes s’écroule quand la valeur de la Bramer Bank, elle aussi fictive au vu de son P/E** (44 en 2014 et 280 en 2013 !), disparaît complètement un soir du début d’avril 2015, avec la révocation de la licence de la banque. Dawood Rawat qui disait à cette époque vouloir vendre 51% la BAI, mais qui n’a, soit, jamais pu passer le cap d’un «due diligence» acceptable ou qui ne s’est jamais résolu à accepter un prix raisonnable, voit son empire s’écrouler. C’est la fin, brutale d’un colosse aux pieds d’argile. Le «Green Plan», sur les rails depuis 3 ans au moins, n’a pas pu se concrétiser à temps et on ne saura maintenant jamais si la réalisation «as a going concern» aurait été à la mesure des «fair values» sur lesquels on comptait tant. Par contre, on voit l’investissement dans Britam baisser de Rs 4,5 milliards à Rs 2,6 milliards en 2015...

 

La fin «brutale» a un gros avantage : c’est la fin des paiements (et des engagements de paiement) d’intérêts aux SCBG pour environ Rs 2 milliards par an, jusqu’à la maturité de chaque police. Tout scenario plus «doux» aurait, par ailleurs, maintenu ces engagements insoutenables d’intérêts élevés en faveur des clients SCBG, donc forcé à trouver plus de déposants frais tous les ans et assurément mouillé, au bout d’un an ou deux, les nouveaux régulateurs et le nouveau gouvernement, qui auraient ainsi pris le relais de leur prédécesseurs complaisants, pour le plus grand bonheur de ces derniers ! L’équation globale est très compliquée et les responsabilités partagées, mais comme démontré plus haut, et faute d’avoir accès à un rapport plus récent de KPMG à l’audit committee de la BAI qui indiquerait des changements fondamentaux dans l’équation décrite en 2011, il n’y avait, au final, que peu de choix !

 

*On sait que ce chiffre a baissé à 58 % en 2014 et que la BAI avait jusqu’à 2016 pour atteindre 10 %. Il fallait pour cela vendre des actifs.

 

**P/E: Price/Earnings ratio. Le chiffre équivalent pour la SBM et la MCB est aux environs de 9 et de 11 respectivement. Au vu des profits, la prétention était donc que la Bramer avait un avenir entre 4 fois et demie et 28 fois plus prometteur que ces deux banques ?