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Mémoire collective

19 mars 2007, 00:00

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A sept ans, il demandait à son papa : ?Qu?est-ce que je suis ?? A 79 ans, la réponse de Camille Moutou est kilométrique. Demandez au président du cercle Rémy Ollier de vous raconter sa vie, il vous raconte l?histoire du pays. Traverse les époques avant d?arriver à la genèse du ?premier? Cercle Remy Ollier, celui qui vit le jour dans les années 50.

Demandez au frère aîné de Benjamin Moutou de retracer l?histoire de sa famille, il vous dessine à grands traits l?histoire des tamouls à Maurice. Remonte au Moutou qui fut parmi ?les premiers tamouls de Pondichery, à venir à Maurice en novembre 1727, à la période française?.

A sept ans, qu?est-ce qu?il demandait à son père déjà ? ?Attendez, je vais vous raconter cela plus tard.? Impossible d?arrêter le ?bonhomme? dans sa période. Il faut absolument qu?il nous dise comment, lors d?une fonction officielle, il a gentiment fait savoir à un ancien haut commissaire indien (dont il a oublié le nom), qu?il maîtrise l?hindi.

C?est sa fierté à Camille Moutou : sa compréhension de l?hindi (du bhojpuri évidemment) et du tamoul. ?Je suis né dans un milieu où on m?avait fait croire que j?étais issu de Blanche de Castille. A table, la fourchette était à gauche, la cuillère devant, on parlait français.?

Mais le petit garçon de Palma, cache une secrète blessure. À sept ans, quand des ?tantes et tontons créés à l?image de Dieu, avec des yeux bleus? viennent à la maison, ?on? lui dit ?al zoue par deryer?. ?On? disait, ?Camille fer nou onte?, s?il parlait autre chose que le français.

Alors Camille Moutou, qui se décrit comme, le ?bâtard par excellence?, prend la clé des champs. S?évade. Apprend à couper la canne ( il en garde une cicatrice à la paume gauche à cause d?une petite Sonia). Apprend à traire les vaches, à maçonner des huttes avec de la bouse.

?C?était mon université.? Celle, où il apprend les langues. Celle qui lui ouvrira plus tard les portes du Global Organisation of People of Indian Origin, du Hindu Maha Sabha. Celle qui fera plus tard de lui, un membre du centre culturel tamoul. Puis un conférencier qui a pris la parole, il y a une semaine, à un événement autour de la diaspora indienne et les premiers tamouls à Maurice, organisé par la Tamil League.

?Quand j?ai vu que ma carcasse ressemblait à celle de Parsad notre jardinier, j?ai compris une chose essentielle : vaut mieux le coeur que le cuir...?

Confronté aux regards des autres, le petit Camille interroge son miroir. Vit sa ?première pensée philosophique. Quand j?ai vu que ma carcasse ressemblait à celle de Parsad notre jardinier, j?ai compris une chose essentielle : vaut mieux le c?ur que le cuir?. L?homme comprend aussi sa ?vocation? : ?écrire pour dénoncer les préjugés?. Défendre entre autres, les convertis étiquetés de traître.

À sept ans, quand Camille va se cacher sous le lit de son père, il trouve deux livres. L?un parle d?accouchement. L?autre, c?est La chaumière indienne de Bernardin de Saint-Pierre. ?Je me suis réfugié dans cette chaumière.?

Très vite, le petit garçon se dit que décidément, ?les grands-parents n?étaient pas des bonhommes sérieux, ils ont couché dans tous les lits?. Il est comme cela Camille. Il parle comme on écrit : tournures de phrases recherchées, mots à la limite du précieux. Mots justes, pour nous reparler d?Histoire. De son nom de famille qui, il le découvrira des années après, signifie ?perle?.

Sortie de son huître, la perle finira par nous raconter (à force de patience), comment il est entré au Cercle Remy Ollier. Se souvient de Marcel Cabon, qui avait signé une série d?article sur Remy Ollier en 1952. ?Cela a réveillé mon enthousiasme, j?étais fasciné par le destin de cet homme de couleur.? Alors, poussé par Rivaltz Quenette, son voisin à la Trésorerie (Camille Moutou a été un temps clerc au Trésor), il rejoint le cercle. Se distingue dans un concours d?élocution. Face à lui : Edouard Maunick. ?C?est la première société où je me suis enfin senti chez moi.? Là, il côtoie Jean Georges Prosper, Jean Fanchette, Marcel Cabon. Alors, quand on a proposé à Camille Moutou d?assumer la présidence du Cercle ? (re)lancé il y a deux semaines, il ne pouvait que dire oui. Mémoire vivante. Mémoire vibrante.

PARCOURS

Eclairage sur la carrière professionnelle de Camille Moutou. En 1950, il est professeur d?histoire et géographie au collège New Eton. Il entre par la suite dans la fonction publique comme clerc au Trésor. Muté aux collectivités locales, il devient assistant commissaire civil. Camille Moutou assumera le même poste à Rodrigues également. En 1965, il ?prend du recul?, se retrouve au London County Council, avant de réintégrer le service civil quelques mois plus tard. Camille Moutou se retire en 1969 pour ?se lancer dans les écrits?, notamment la publication de ?Maurice Guide? et de cartes touristiques de l?île.