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Le repêcheur d?hommes

8 août 2007, 00:00

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Malgré bon nombre d?années passées à terre, Jean Vacher a conservé la démarche chaloupée des gens de la mer habitués à se maintenir sur un ponton, même par une mer déchaînée.

C?est par le biais du syndicalisme qu?il a découvert la mer et ses gens. Il s?en est épris. En effet, ce frondeur de nature est secrétaire au sein de la Government and other Workers? Union lorsqu?il côtoie pour la première fois des gens de la mer venus exposer leurs griefs. ?Ils venaient raconter leur métier, les difficultés qui y sont associées et évoquaient leur passion pour la mer. C?est ainsi que je me suis intéressé à eux et à leur monde?.

A force d?entendre parler de l?océan, Jean se sent attiré. Il se fait d?abord embaucher comme journalier sur le bateau Le Mauritius, avant de s?engager comme marin. C?est ainsi qu?il découvre les dures réalités de la vie à bord, tout en voyant du pays ? Afrique du sud, Australie, les îles de l?Océan indien. Ce qu?il aime par-dessus tout, c?est de contempler l?océan lorsque le soleil se couche. ?Cela me fait penser à la création?, déclare ce croyant.

Décidé à changer les conditions d?emploi des gens de la mer, Jean retourne à terre et reprend son bâton de syndicaliste pour fonder avec d?autres la Mauritius Association of Professionnal Seamen. Il y agit comme secrétaire. Avec recul, il trouve que ses collègues et lui avaient ?de bonnes idées mais nous étions en avance sur notre temps?.

Si l?idée de reprendre la mer le tente, il se ravise car il ne conçoit pas de laisser derrière lui son épouse et leurs enfants qui sont encore en bas âge. Mais dans un souci de ne pas trop s?éloigner du port, il prend de l?emploi à la Mauritius Marine Authority et milite au sein du syndicat de cet organisme. On lui doit notamment la création du Provident Fund qui a permis d?aider bon nombre d?employés de la MMA, ainsi que leurs enfants.

Jean Vacher, qui n?a pas oublié les dures conditions de travail des gens de la mer, se met à lire tout ce qui se rapporte aux droits de ces derniers à l?échelle internationale. Sa rencontre avec le Frère Raymond Gauvrit jette les bases de la chaîne de solidarité qui portera, des années plus tard, le nom d?Apostolat de la Mer. En effet, le prêtre de la congrégation de St Gabriel lui demande d?accueillir chez lui des marins pêcheurs étrangers en détresse qui transitent dans le port. Cette demande est également faite à trois autres familles : les Bouquet, Jouanna et Rassoundron qui acceptent également. C?est ainsi qu?elles et les Vacher se mettent à héberger à domicile des marins étrangers dans le besoin.

Lorsque huit marins philippins maltraités à bord de leur navire vont chercher refuge auprès du diocèse de Port-Louis, le frère Gauvrit fait mander Jean qui est à l?époque responsable du dragage dans le port. Après avoir écouté leur histoire, Jean négocie aussi bien avec les autorités locales qu?avec l?agent du bateau pour que ces marins ne soient pas obligés de remonter à bord du navire. Négociations qui aboutissent.

?Port-Louis est désormais reconnu comme un havre de paix.??

?A partir de là, cela a eu un effet boule de neige?, confie le sexagénaire.

Les quatre familles concernées par l?hébergement des marins étrangers en détresse poursuivent leur ?uvre d?accompagnement mais le nombre de marins allant grandissant, l?Evêque de l?époque, à savoir le Cardinal Margéot, leur cède une petite maison jouxtant l?église de l?Immaculée Conception à la rue St Georges, Port-Louis. C?est ainsi que l?Apostolat de la Mer prend officiellement naissance. Vu son engagement de tous les instants, Jean est nommé directeur national et coordonnateur pour l?Afrique et l?océan Indien.

A l?époque, c?est-à-dire au début des années 80, Maurice accueille un nombre record de bateaux et les marins étrangers en difficulté ne manquent pas de rechercher l?aide de l?Apostolat de la Mer qui les héberge temporairement. Jean qui est toujours employé à la MMA, s?occupe d?eux durant ses heures de déjeuner et après ses horaires de travail. Mais cet encadrement s?avérant insuffisant, il recherche et obtient le financement de fondations étrangères et fait bâtir un étage sur le bâtiment de l?Apostolat de la Mer où il emménage avec sa famille. Ainsi, il peut être à l?écoute des gens de la mer en détresse 24 h sur 24.

En 30 ans, l?Apostolat de la Mer a accueilli des milliers de marins étrangers, de même que leurs familles. ?Beaucoup d?entre eux ont gardé le contact et sont revenus me voir par la suite, me rapportant un petit présent fait de leurs mains?.

Mais même s?il est rompu à l?art des négociations, il n?a pas gagné à tous les coups. ?On se sent impuissant face à certaines situations, comme par exemple lorsqu?on examine un contrat signé par un marin et que l?on note des rajouts. Etant donné que le marin l?a signé, on ne peut venir prouver qu?une autre personne y a mis la main. Et puis, l?agent local n?est qu?un de nos nombreux interlocuteurs. L?homme fort d?un bateau est, bien souvent, le recruteur. Il a la main haute dans presque tout. Nous ne le connaissons pas. La plupart du temps, il n?est qu?une boîte postale?.

La plus grosse injustice qu?il lui ait été donné de voir concernait un marin pêcheur qui a été forcé de travailler dans la chambre froide du bateau sans gants de protection et qui a eu toutes les premières phalanges brûlées. ?Le bosco voulait faire de lui sa femme à bord. Il a refusé et cela lui a coûté cher. Je n?ai pu que faire arrêter le bateau, lui faire recevoir ses gages et le ramener dans son pays?.

Il pense aussi à la grosse colère qu?il n?a pu maîtriser lorsque le représentant d?un bateau, un Taiwanais, a tenté de le soudoyer pour qu?il encourage 11 marins philippins dissidents à reprendre la mer. ?J?ai littéralement fondu sur lui et le frère Gauvrit a dû s?interposer.??

Sa plus grande satisfaction est d?avoir pu ?mettre Maurice sur la carte du monde des gens de la mer. Port-Louis est désormais reconnu comme un havre de paix pour eux?.

Malgré toutes les législations internationales, le sort des marins pêcheurs et des gens de la mer demeure peu enviable. ?Les conventions et autres règlements ne s?appliquent malheureusement pas à tous les pays. Par exemple, Taiwan n?a aucune législation pour les gens de la mer?. Cependant, Jean croit beaucoup dans la Work in Fishing Convention and Recommendations 2007 du Bureau International du Travail, qui regroupe bon nombre de règlements destinés à protéger les pêcheurs. ?Si Maurice ratifie cette Convention, nous pouvons bloquer n?importe quel navire que ce soit en raison de sa nourriture, du traitement qu?il inflige de ses marins ou de son insalubrité?.

Les pêcheurs mauriciens sont-ils mieux considérés que leurs homologues étrangers? Jean ne le pense pas. ?Les marins pêcheurs mauriciens ne sont pas bien. Depuis le temps que je milite, je trouve qu?il n?y a pas eu de grande amélioration. La seule chose qui a changé est qu?aujourd?hui, on les considère comme des professionnels et qu?ils disposent de leur carte. La loi fait que l?on donne quelques sous à leurs familles lorsqu?ils disparaissent et oblige les compagnies de pêche à prendre une assurance vie pour eux. Mais ils demeurent incompris?.

Mais, selon notre interlocuteur, un renversement de situation implique que ces mêmes marins pêcheurs changent d?abord leur mentalité. ?Il faut qu?ils comprennent qu?ils ont certes des droits mais aussi des devoirs. Ils ont tendance à l?oublier. Ensuite, il faut que d?autres personnes arrêtent de les vampiriser ou les tourner en bourriques. On dit qu?une banque prête aux pêcheurs. Mais lorsqu?on y regarde de plus près, ces prêts concernent seulement ceux qui restent dans le lagon. En tant que coordonnateur de la Indian Ocean Seafarer?s Welfare Association, j?ai formé un groupe de pêcheurs et je leur ai fait comprendre l?importance de l?économie. Ils ont réussi à économiser un million de roupies. Lorsqu?ils essaient de contracter un emprunt pour voir plus grand, on leur cherche midi à quatorze heures. Ces gens-là vont commencer à perdre patience. Ils doivent voir quelque chose de concret sous leurs yeux. Autrement, ils se découragent. Et après, on dira d?eux qu?ils sont de mauvaise volonté?.

Le prochain défi que compte relever Jean Vacher concerne l?Association des Pêcheurs Professionnels de l?Ile Maurice (APPIM) qui regroupe 250 pêcheurs. ?Cette association a stagné. Je vais encadrer ses membres et prouver que les pêcheurs sont des gens capables de compréhension et de se prendre en main. Je ne veux pas leur donner de l?argent mais leur donner les moyens d?en gagner. Je suis optimiste. Je suis sûr que la mentalité des pêcheurs va changer? ?