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Gérard Tyack explique le mécanisme de la caisse noire

14 avril 2006, 00:00

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L?air fatigué, probablement souffrant, Gérard Tyack, ancien directeur financier d?Air Mauritius, a révélé hier, en cour intermédiaire, le fonctionnement des fonds occultes de la compagnie d?aviation nationale.

Il raconte qu?en 1981, sir Harry Tirvengadum, alors P-d.g. d?Air Mauritius, l?appelle dans son bureau au premier étage du bâtiment Rogers. Ils sont seuls. Son patron l?informe que sir Seewoosagur Ramgoolam (SSR), alors Premier ministre, lui a demandé des fonds pour le journal Advance, qui connaît des difficultés financières. Tyack lui répond qu?il ne dispose ni de fonds dissimulés ni de ?fonds spécial? pour satisfaire la demande de SSR.

C?est alors que Tirvengadum lui aurait donné comme instructions : ?Tu te débrouilles et tu vas créer un fonds pour obtenir l?argent à remettre à SSR.? Tyack dit qu?il téléphone à Robert Rivalland, cadre de Rogers, pour trouver le moyen de créer ce fonds. Rivalland vient rencontrer Tyack seul à son bureau.

Informé de la requête de Tirvengadum, Rivalland lui aurait suggéré : ?Vous (NdlR : Air Mauritius) devez payer une commission spéciale à Rogers et l?argent perçu sur ces commissions spéciales constituerait le fonds spécial.? Les deux n?auraient pas trouvé d?autres moyens pour générer les fonds demandés. ?Nous avons discuté des moyens pour permettre la création de ce fonds et nous nous sommes mis d?accord pour le paiement de commissions.?

Une fois la ?méthodologie? convenue pour la création de ce fonds spécial, Gérard Tyack en explique le mécanisme à sir Harry Tirvengadum. Celui-ci lui demande ?d?aller de l?avant?. Puis, Joseph Yip Tong, de Rogers, en est informé de même que feus Christian Couacaud et Jean Ribet respectivement managing director et general manager d?alors de Rogers.

Au début, dit Tyack en cour, les fonds sont destinés à subvenir aux besoins du journal Advance. Puis, il y a eu d?autres requêtes pour d?autres paiements dont, notamment, pour l?achat de billets d?avion qui, dit encore le témoin Tyack, n?avait rien à voir avec Advance. Il précise aussi que des sommes ont été utilisées pour ?compléter? (topping-up) les salaires de certains cadres d?Air Mauritius, dont Tirvengadum et lui-même.

Des paiements auraient même été effectués pour le compte d?autres cadres de la compagnie d?aviation. Et, affirme Tyack, son P-d.g. lui a aussi demandé des fonds destinés à des politiciens dans le cadre d?élections municipales et législatives.

Le chèque ne doit pas être barré

Ces fonds provenaient de commissions dites ?spéciales?, et ne faisaient pas partie des commissions habituelles perçues par les agences de voyages pour la vente de billets d?Air Mauritius. Pour les justifier, raconte Tyack, la compagnie d?aviation demandait à Rogers de promouvoir une destination spécifique et, en retour de ses efforts financiers pour cette promotion, il lui était payée une commission ?spéciale?.

A cette époque, explique Tyack, il n?y avait pas autant de destinations que maintenant desservies par Air Mauritius. Celle de Londres a été choisie dans un premier temps et il était décidé de prélever une commission de 1 % sur les revenus perçus pour la vente de billets sur cette ligne. Toutefois, malgré des recettes croissantes sur ce trajet, les demandes d?utilisation du ?fonds spécial? ne pouvaient être totalement satisfaites.

Trois ans plus tard, après l?introduction de commissions ?spéciales? versées à Rogers pour le trajet Maurice-Londres, une même stratégie est développée sur la ligne Afrique du Sud. Sauf que cette fois, le taux appliqué est de 3 %. Derek Taylor, devenu entre-temps le general manager de Rogers, est informé du mécanisme du fonds spécial. Sa réaction, selon Tyack, aurait été lui aussi de lui demander ?d?aller de l?avant?.

A ce stade de son témoignage en cour hier, Gérard Tyack explique le mécanisme de la fraude organisée. Roshan Jaddoo, alors revenue analyst d?Air Mauritius, répondait par lettre à la requête verbale de Gérard Tyack quant au montant des revenus des ventes de billets d?avion.

Sur réception de la lettre, Gérard Tyack déduit, du montant déclaré, le pourcentage convenu et établissait lui-même une facture pro forma (draft invoice) sur du papier à en-tête de Rogers pour le montant de la commission déduite. Cette facture était adressée à Robert Rivalland chez Rogers, lequel la faisait établir de nouveau par une dactylo dans la forme habituellement utilisée par Rogers.

Robert Rivalland renvoie la nouvelle facture à Gérard Tyack qui fait établir un chèque à l?ordre de Rogers par la section trésorerie d?Air Mauritius, en leur précisant que le chèque ne doit pas être barré.

?Ces commissions n?étaient pas dues?

Ce document, alors revêtu de deux signatures autorisées, est ensuite retourné à Tyack qui l?adresse de nouveau à Robert Rivalland. Celui-ci le fait endosser par deux signataires autorisés de Rogers. Le chèque devient alors ?au porteur? et Tyack en encaisse le montant à la banque.

Tyack précise aussi en cour qu?il remettait personnellement les factures pro forma à Robert Rivalland car il ne voulait pas que quelqu?un d?autre sache ce qui se passait pour ?la simple raison que ces commissions n?étaient en fait pas dues à Rogers?.

Pour rappel, Sir Harry Tirvengadum est accusé provisoirement, avec Robert Rivalland, d?avoir comploté avec l?ex-directeur financier, Gérard Tyack, pour exploiter un mécanisme de paiement de commissions ?spéciales? à Rogers. Derek Taylor est, lui, provisoirement accusé d?avoir endossé des chèques émis par Air Mauritius en faveur de Rogers. Ces chèques représenteraient des paiements non dus faits au préjudice d?Air Mauritius.

MOTION

Ordre de censure contre la presse

■ Le full bench de la cour intermédiaire, composé des magistrats Benjamin Joseph, Nicolas Ohsan-Bellepeau et Renuka Dabee, ont hier émis un ordre de censure contre la presse. Cette décision résulte d?une motion de Me Yousuf Mohamed, ?senior counsel?, l?avocat de Sir Harry Tirvengadum, demandant à interdire de faire état des détails d?un document que la poursuite s?est engagée à produire ce matin en cour. Par ailleurs, Me Harry Bansropun, qui tient un ?watching brief? pour Gérard Tyack, a informé la cour que son client présentait tous les symptômes du chikungunya et qu?il informera la cour si celui-ci pourra témoigner aujourd?hui.

ARRESTATION

Un ?Order in Council? attendu

■ Si le Conseil privé a bien confirmé que Gérard Tyack, ancien directeur financier d?Air Mauritius, doit aller en prison, l?exécution du jugement nécessite encore une procédure. Rose MacArthur, membre du ?judicial committee? de ce conseil, nous confirme que les autorités mauriciennes doivent prochainement recevoir un ?order in council?, document essentiel à l?émission de l?ordre d?arrestation. L?ébauche de ce document a été soumise depuis le 6 avril aux avoués des deux parties à Londres, pour leur accord. Les choses devraient aboutir sous peu.