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Pr Christian Bueger: «Maurice est à côté de l’une des routes maritimes les plus fréquentées au monde»

14 août 2023, 15:21

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Pr Christian Bueger: «Maurice est à côté de l’une des routes maritimes les plus fréquentées au monde»

«Shipping risks: lessons from the Wakashio for West Indian Ocean Islands.» Tel est le thème d’une conférence qui se tiendra le 18 août au «Hennessy Park Hotel», organisé par le Charles Telfair Centre, de concert avec l’université de Copenhague. Nous avons rencontré le Pr Christian Bueger, expert en sécurité maritime.

Quel est le but de cet événement ? 
L’objectif principal est de comprendre comment Maurice est impacté par les différents risques maritimes et ce qui peut être fait à ce sujet. Un large éventail de risques maritimes fait de Maurice l’un des pays les plus vulnérables au monde. Certains incidents, comme la perte de conteneurs, ne font guère la une des journaux. D’autres, comme l’accident du Wakashio, montrent à quel point les impacts sont dramatiques si les choses tournent mal. 

Nous devons identifier les moyens de prévenir les petits et grands accidents, mais aussi veiller à ce que les bons instruments soient mis en place lorsque les choses tournent mal. Pour vous donner quelques chiffres généraux : on estime qu’aujourd’hui plus de 100 000 cargos sillonnent les océans du monde. Les navires sont devenus de plus en plus gros. Le plus grand de ces géants océaniques transporte plus de 24 000 conteneurs, 7 500 voitures ou 800 milliards de litres de pétrole brut, et mesure jusqu’à 400 mètres de long et 60 mètres de large, soit la superficie de 4,5 terrains de football. Le transport maritime est une activité dangereuse et souvent sale. Par conséquent, les risques pour les écosystèmes marins et les économies côtières sont considérables. 

Les accidents, mineurs et majeurs, provoquent une pollution marine et des dommages aux écosystèmes marins. En 2022, plus de 3 000 incidents ont été signalés, près de 40 navires perdus en mer et sept accidents de pétroliers, entraînant un déversement de 15 000 tonnes de pétrole. En moyenne, chaque année, plus de 1 500 conteneurs sont perdus en mer et les collisions avec des navires tuent plus de 20 000 baleines. Sans oublier que la pollution sonore croissante du transport maritime perturbe les écosystèmes marins. Avec l’expansion continue du transport maritime et les conditions météorologiques extrêmes avec des vagues plus élevées impliquées par le changement climatique, ces risques deviennent encore plus préoccupants. 

Pouvez-vous élaborer sur les différents thèmes qui seront abordés par les experts ? 
Les experts discuteront des leçons tirées du Wakashio, et évalueront comment les instruments de prévention et de réponse se sont améliorés, et quelles autres solutions doivent être développées. Nous examinerons en particulier comment la surveillance peut être améliorée grâce à la structure régionale MASE développée par la Commission de l’océan Indien ; comment Maurice peut utiliser pleinement le champ d’application du droit international pour déclarer des zones de protection ; comment l’expertise peut être mutualisée dans la région, par exemple, la création d’un conseil consultatif régional d’experts indépendants en droit et en transport maritime, et la manière dont la société civile peut être mieux intégrée. 

Selon certaines théories, le naufrage du MV «Wakashio» était intentionnel car il transportait du carburant très volatil. En tant qu’expert, qu’en pensez-vous? 
Le carburant n’avait rien à voir avec les erreurs de navigation qui ont été commises. Dans l’ensemble, l’accident a été causé par une chaîne classique d’échecs, qui comprend la fatigue de l’équipage causée par le Covid-19, la mauvaise gestion de la compagnie maritime et de l’autorité de l’État du pavillon (NdlR, le Panama), une mauvaise gestion de la navigation par les officiers, et le manque de surveillance de la part des garde-côtes mauriciens. 

Trois ans après l’incident du «Wakashio», il y a eu avant le MV «Benita» et «Angel 1», puis de nombreux palangriers qui se sont échoués dans certaines parties de l’île. Qu’est-ce qui rend Maurice aussi vulnérable aux accidents en mer ? 
Le transport maritime mondial s’est considérablement développé au cours des deux dernières décennies et a presque doublé de taille, avec un taux de croissance annuel de 4 à 7 %. L’océan Indien occidental abrite deux des autoroutes maritimes les plus fréquentées au monde, reliant les marchés asiatiques, européens et autres, et constituant l’épine dorsale du système mondial de transport maritime. Maurice est à côté de l’une des routes maritimes les plus fréquentées au monde. Avec environ 800 navires transitant par cette route chaque jour. C’est l’un des pays les plus vulnérables de la planète. Beaucoup de ces navires transitent par la zone économique exclusive de Maurice et certains encore plus près du rivage. 

L’incident a montré l’inefficacité des autorités mauriciennes en matière de réactivité lors d’un accident en mer. Même le rapport du Panama l’a souligné. Que pensez-vous des conclusions du rapport ? 
Il est clair que la réponse à l’accident n’était pas appropriée. Encore une fois, nous examinons ici une chaîne d’échecs, qui comprend le Covid-19 et le mauvais temps, mais aussi des erreurs de jugement de la Salvage Company (NdlR, SMIT Salvage). Le gouvernement se trouvait dans une situation difficile car il manquait d’expérience et d’expertise et devait donc s’appuyer sur des experts externes. 

Le gouvernement mauricien avait initié une cour d’investigation pour faire la lumière sur l’incident. Pensez-vous que le rapport aurait dû être rendu public ? 
Au moins certaines parties du rapport devraient être rendues publiques ; il est cependant compréhensible que certaines parties doivent rester classifiées.

Quelles leçons avons-nous tirées du «Wakashio», l’incident maritime sans précédent et le pire de l’histoire mauricienne ? 
Pas assez. C’est pourquoi nous organisons cet événement. Il est important de noter que Maurice doit rechercher des solutions régionales et internationales. Une partie du problème réside dans les injustices inhérentes au système de transport international, où Maurice prend tous les risques mais ne tire aucun avantage des navires qui passent. Maurice n’est pas le seul pays touché par ce problème et doit donc continuer à plaider en faveur de solutions régionales et mondiales, en s’appuyant sur des institutions telles que le Programme des Nations unies pour l’environnement, l’Organisation maritime internationale, et la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Il doit également responsabiliser les pays qui bénéficient le plus du transport maritime (Chine, Grèce, Japon, Singapour, Indonésie, Allemagne, Norvège, Fédération de Russie, États-Unis d’Amérique, Danemark et Suisse).
 

Bio express 
Christian Bueger est professeur en relations internationales au département de sciences politiques de l’université de Copenhague où il dirige le groupe de recherche sur les infrastructures océaniques et le «Copenhagen Ocean Hub». Il est également professeur honoraire de l’université des Seychelles, chercheur à l’université de Stellenbosch et l’un des directeurs du réseau SafeSeas. Ses domaines de recherche incluent les organisations internationales ; la sociologie politique internationale ; les études de sécurité ; la sécurité maritime ; la gouvernance des océans ; la sensibilisation au domaine maritime ; la piraterie maritime contemporaine, et la région indopacifique.