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L’hégémonie des ordinateurs: un mythe

16 mai 2023, 10:52

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L’hégémonie des ordinateurs: un mythe

Dans les années 60 Marshall  Mc Luhan, écrivain et érudit canadien choqua le monde scientifique avec ses livres dans lesquels on découvre des postulats tels que
(A) Toutes les inventions ou technologies sont des prolongements ou des auto-amputations de nos corps
(B) The global village ; et le plus surprenant
(C) Le contenu des livres n’a aucune importance.

Concernant A: Dans une grande mesure et dans d’innombrables situations on peut considérer les inventions comme des prolongements de nos corps. Elles aident, soulagent et sont d’une grande utilité aux ménagères, ouvriers, bureaucrates etc. et allègent les souffrances des malades et handicapés.

Il est mondialement connu que Stephen Hawkin, malgré son état d’atrophié, a continué ses recherches, publié des articles, donné des conférences grâce à l’ordinateur. D’autre part, en l’an 2000, la Médaille de la Technologie fut décernée à Ray Kurzweil par le président Clinton pour ses travaux visant à aider les handicapés à se servir efficacement des ordinateurs.

Les inventions technologiques, vues sous cet angle, sont des prothèses détachées de notre corps.

Cependant ce postulat provoque des réactions antinomiques chez le croyant:
(i) Que le Créateur n’a pas pourvu l’homme des moyens naturels qui lui seraient nécessaires pour vivre ou survivre en cas des problèmes physiques. Un manque qui étonne.
(ii) L’avait-Il fait dès la création un homme ainsi armé ressemblerait à un monstre des films de science-fiction.
(iii) Et pour tout contrebalancer Il a doté des capacités inventives exceptionnelles à l’homme afin de concevoir des appareils pour subvenir à ses besoins dans des situations particulières et à des moments opportuns. 

Donc si l’homme est complet dans son essence, il n’est pas auto-génétiquement capable de produire des anticorps contre les maladies (le diabète, par exemple) ou des moyens pour neutraliser son handicap physique. D’où la pertinence des prothèses technologiques en orthopédie ou, par ext., en traitements thérapeutiques. Et avec le progrès scientifique on en a inventé beaucoup pour se soulager, se satisfaire et se protéger. Sont-elles foncièrement d’inspiration divine ou dues à la nature, source initiale de nombreuses inventions.

Par exemple, voulait-il voler non pour s’évader comme Icare mais contempler la nature d’en haut? Il eut l’idée de l’avion, parapente et deltaplane. On peut ainsi affirmer que bien des gadgets technologiques qui désormais font partie de notre existence ont été engendrés par la profonde observation de la nature.

Ainsi la morphologie, le comportement, les caractéristiques et reflexes de certains animaux, les principes actifs de l’environnement et leurs effets, la pluie, les éclairs et orages, les phases de la lune, la régularité des astres et d’autres phénomènes naturels ont été des prémices d’analyses, d’études et de recherches. Son intelligence, sa volonté et ses questionnements à l’appui, l’homme va s’appliquer à s’expliquer le “comment”, imiter et créer des trucs selon ses besoins et son envie.

Dès lors la technologie vivait ses balbutiements. Avec le temps, les résultats et les facultés créatrices et innovatrices de l’homme elle prendra de l’ampleur et d’envergure en rapport avec d’autres savantes investigations posant ainsi la base de la modernité scientifique en dépit des objections de certains traditionnalistes.

Donc ce démarrage de l’ère technologique—à un degré rudimentaire-- fut possible grâce à la médiation de la nature. La relation qui lie l’homme à la création serait à l’origine de ces premiers pas. Mais l’âge atomique, les puissants ordinateurs construits et d’autres développements dûs à la science sont les faits marquants qui nous font oublier les élans primaires. Ci-dessous des exemples pour nous les rappeler.

(A) Nature                                                                                 
(i)  Oiseau                                                                                                       
(ii) Papyrus, jute,chanvre                                                                             
(iii) Orage                                                                                                       
(iv) Chauve- souris                                                                                        
(v) Fleurs, certains cervidés, gomme                                                         
                                                                                                                          
(vi) Poisson  --nageoire                                                                                 
(vii) Petit pois                                                                                                 
(viii) Déplacement de l’air                                                                           
(ix) Régularité des astres                                                                             
(x) Lumière, électricité                                                                                 
(xi) Araignée, tisserin                                                                                                     
(xii) Parchemin, manuscript                                                                        

(B)  Idées conçues
Avion,parapente,deltaplane
Papier
Paratonnerre
Echo radar
Parfums, encensoir,atomiseur,
Caoutchouc
Palmes de plongeurs
Transmissions des traits génétiques
Eventail, ventilateur, climatiseur
Gnomon, horloge, montres
Radio,caméra, télé, etc.
Tissage
Lettres en plomb,livres, biblothèque

B est une liste—d’évidence incomplète—de quelques prouesses d’un cerveau anatomique. Il serait convenable de tenir le papier, les lettres en plomb, l’imprimerie, le crayon noir, la plume à l’encre, le stylo à bille etc. pour des inventions techniques, novatrices pour l’époque et progressives car elles ont contribué à changer le monde surtout dans la transmission du savoir et des connaissances. De même à propos d’outils et d’armes de grandes utilités aux peuples primitifs pour chasser ou se défendre et aussi aux civilisations disparues. En gros, ces inventions ont accompagné l’humanité dans son parcours.

Mais il n’y eut pas ce tamtam outre-mesure les concernant comme ce fut et l’est encore plus autour des ordinateurs qui donnent à cette étape de l’évolution une dimension surhumaine. Le cerveau électronique obscurcit l’esprit humain.  Ses performances dans son domaine sont si surprenantes qu’elles déshumanisent l’homme qui le considère supérieur à son intellect—pourtant c’est sa conception et son œuvre—au point de mettre à l’épreuve les capacités humaines (Gary  Kasparov) à celles d’une machine (Deep Blue).

Était-ce pour dissiper un doute ou pour confirmer cette supposée supériorité ?  En tout cas c’était la première démarche d’une invasion informatique. Le zèle et l’ostentation publicitaire qui entouraient cette confrontation frôlaient l’idolâtrie.

Et pourtant, Mc Luhan, lui-même, ayant sans doute prévu l’influence et l’envoûtement des créations technos sur la raison avait implicitement lancé une mise en garde à cette possibilité en citant le psaume 115 dans lequel le psalmiste condamne «ceux qui rendent un culte aux idoles». (La Galaxie de Gutenberg). Ainsi, l’homme ne doit pas  mettre en elles (les inventions technologiques) sa foi ou trop de prétentions exagérées. 

Durant les décennies suivant les matches Deep Blue  v/s Kasparov, des progrès époustouflants ont été réalisés dans cette zone de la science. A titre de comparaison : du  Burroughs B 200 (de l’université de Stanford), une mastodonte qui remplissait une pièce entière d’une maison et qui faisait 10 000 additions par seconde, nous sommes passés au Macintosh, ordinateur portatif qui accomplissait 3 000 000 additions par seconde. 

Dans son livre The Mind in the  Making ,  James Harvey  Robinson écrit à la page 72 «We all engage in reveries and fantasies of a homely, everyday type, concerned with our desires or resentments…» et mentionne que certains pour se distinguer de ce «all» créent la métaphysique «the delightful emotion of pursuing Truth».  D’évidence il est question de «Truth (that) transforms us», comme le dit Rick Warren, pasteur de Saddleback Church. 

Et 60 ans après la parution de «Mind in the making» ,les exploits de la seconde génération, d’ordinateurs fascinaient si tant les informaticiens qu’ils déviaient la réflexion de l’ontologie vers le mécanisme et les puissances de ces phénomènes technologiques. Plus question de pensées et de métaphysique.

Une pléiade d’informaticiens / ingénieurs chevronnés publiaient leurs extrapolations futuristes qui éclipsaient environnement, culture et tradition. Avec Hans Moravec et Gordon Moore, Ray Kurzweil fut le grand maître de cette école.

Dans son livre L’âge des machines spirituelles, il exalte un mode de vie avec les propositions propres à notre espèce et nos tendances (dont parlait Robinson) et propose leurs réalisations  grâce à l’informatique. L’homme devient donc «une structure de logiciel grâce à un nanorobot baptisé ‘Foglet’ qui va scanner le cerveau humain et le télécharger sur un réseau global» .Ainsi tous les hommes  nano-robotisés «se mêleront mentalement et spirituellement et vivront  toutes sortes de réalités virtuelles y compris le sexe virtuel ( quelque peu épicurien, non ?) avec n’importe quel objet de désir». (cité par Douglas Hofstadter). Moravec de son côté prédisait «une  extinction de la race humaine».

Ils se posent en prophètes non d’un Dieu créateur mais d’un ordinateur. Inopinément ils élaborent une nouvelle doctrine qu’on peut appeler la «méta-informatique». Dans cette chapelle l’homme est dépourvu de son essence, délaisse la recherché de la vérité ou de l’absolu. La logique de l’informatique élimine tout questionnement. Adieu le “delightful emotion of pursuing truth”. The virtual is the truth. 

Ce qui surprend c’est la popularité de ce nouveau dogme. Alimenté par un battage médiatique, la renommée incontestée de ces nouveaux prédicateurs, la mentalité américaine et la propagande siliconée  aidant  il a transformé “the  global village” de Mc Luhan en un mégapole global de technologies du futur dominé par les Américains.

Naturellement les prévisions, anticipations et prédications de ces chercheurs / informaticiens—assurément des possibilités technologiques-- soulèvent des questions d’ordre anthropologique et même eschatologiques et peuvent être un “wake-up call“ aux humanistes. Par exemple:
(a) Qu’adviendra-t-il dans 50 ans, à l’esprit humain, aux valeurs et coutumes traditionnelles avec «le progrès exponentiel des ordinateurs»  ce que G. Moore prévoit?
(b) Ces «press-button availability» de tous nos désirs priveraient-ils l’homme  de l’initiative personnelle de découvrir ses compétences  et méditer sur l’abstrait?
(c) Jusqu’à quel degré la relation homme-ordinateur va s’intensifier et bousculer ou bouleverser la vie terrestre ?
(d) Est-ce que tout le monde ne donnera rien  qu’une raison informatique pour vivre, un genre d’animisme virtuel où l’ordinateur sera l’âme humaine?
(e) L’homme deviendra-t-il immortel via ses entités informatisées ? 
(f) L’ordinateur deviendra-t-il l’ordonnateur des funérailles des hommes? (Moravec ayant prédit «l’extinction de la race humaine»). 
Et pour terminer une problématique hautement sensible qui me hante.
(g) If the virtual becomes the truth, is it transgression to focus belief on virtual realities? Is God a virtual reality?

Bien sûr, ces troublantes éventualités préoccupent les bien-pensants soucieux du devenir du monde et de l’humanité. Il est souhaitable que les volontés traditionnelles d’en débattre les conséquences (que l’homme se juge inférieur à l’ordinateur) et les effets «qu’il  rendrait un jour les mathématiciens, poètes et compositeurs humains obsolètes». (Douglas Hofstadter),

En fait, entreprendre une révolution rétroactive culturelle.

Un des défenseurs le plus réputé de cette emblématique révolution est Douglas Hofstadter, chercheur informaticien, expert en Intelligence Artificielle, professeur en sciences cognitives à l’Université d’Indiana, auteur de plusieurs livres sur la question et Prix Pulitzer en 1979.

D’une part, il dénonce ce culte : pour lui «les ordinateurs ne sont que des outils inimaginablement éloignés des êtres vivants» et d’autre part il est très critique, dur même peut-on dire, envers Ray Kurzweil dont il qualifie les anticipations «provocatrices, à un délire tire d’une maison de fous.»

Et il cite Kurzweil «Vous pouvez dormir dans votre lit et au réveil voir la pièce transformée en votre cuisine. Une nanotechnologie produira instantanément le repas de votre choix. Quand vous aurez fini de manger la pièce pourra changer en bureau, en salle de jeux ou en piscine… »

Il ne tarit pas sur les pronostics peu sensés de Kurzweil et dans son article «Le médium cerveau est-il remplaçable?»  il s’adresse aux lecteurs:  «Ce sont les mots de Kurzweil. Qu’en pensez-vous?»

Pourtant ! Et pourtant, ce mélomane confit dans la musique de Chopin (comme enfant, adolescent, universitaire et compositeur de modestes morceaux—ce sont SES propos—fut un jour émotivement ébranlé par les compositions du EMI. ( Des outils inimaginablement éloignés des êtres vivants?)

L’EMI ( Expériences en Intelligence  Musicale ) est un logiciel crée par David Cope, prof. de musique à l’Université  Santa Cruz ( Californie). Ce programme a pour entrées des morceaux d’un compositeur choisi. L’ordinateur combine donc ces données pour produire des nouveaux morceaux qu’on suppose de «SA CREATION.»

Un jour…. Mais laissons parler Douglas Hofstadter:
«...je tombais par hasard sur un logiciel  EMI, quand je me suis assis au piano pour déchiffrer une paire de mazurkas composées par EMI à partir d’une base de données de mazurkas de Chopin, je fus stupéfait : elles sonnaient à mes oreilles avec l’élégance, la grâce et surtout l’expressivité si subtile de Chopin. C’était pour moi une expérience dépaysante et même effrayante...»

La stupéfaction de Douglas Hofstadter m’étonne. Qu’un scientifique de sa trempe, de renommée internationale qui était «ému depuis ma tendre enfance par la musique de Chopin qui exprimait la complexité de son âme polonaise» soit profondément troublé mais en même temps «fasciné» par les reproductions  du EMI me renverse parce que
(i) Ces recombinaisons style EMI n’importe quel musicien classique, expérimenté de l’Europe (surtout de l’est) aurait pu les entreprendre. S’il n’a pas tenté cette aventure c’est 
(a) pour ne pas être accusé de plagiat
(b)  par respect pour Chopin
(c) par éthique professionnelle

L’avait-il fait cela «sonnerait avec une égale  élégance aux oreilles» car avec du sublime on ne peut produire que du sublime.

Par ailleurs, «l’exploit» du EMI  (c.à.d. combiner les données) n’a rien d’extraordinaire car les probabilités de compositions sont immensément nombreuses et pour un ordinateur programmé dans ce but c’est un jeu d’enfant particulièrement quand on apprend «que le joueur d’échec Deep Blue explore 50 milliards de coups possibles avant d’en choisir un»  (Douglas Hofstadter) 

De quoi faire Zeus se froncer les sourcils !

Je suis «below zero» en informatique mais mon ignorance  et ma soif de savoir me poussent à suggestionner les idées suivantes pour satisfaire ma curiosité. Que les pros en la matière ne me ridiculisent pas. Qu’arrivera-t-il 
(a)  Si on «feed» le EMI avec seulement  les notes de musique—toutes les notes, sans partition aucune—et qu’on lui somme de composer une mazurka ? Au pis-aller une photo de George Sand pour l’aider…
(b) SI On télécharge le EMI des notes de musique et tous les mots du dictionnaire avec instruction de composer une chanson—musique et paroles-.
(c) Ou encore, si on fait entrer tous les mots du dictionnaire dans un ordinateur programmé pour écrire un roman et l’activer.

C’est peut-être technologiquement réalisable puis que Kasparov, dans une déclaration avant son premier match contre Deep Blue, avait tenu les propos que voici: « ..Mais il y a une frontière qu’ils  (les ordinateurs) ne doivent pas dépasser ( Il n’a pas dit qu’ils ne peuvent  pas dépasser): le domaine de la créativité humaine. Cela menacerait le contrôle humain dans les domaines comme l’art, la littérature et la musique.» 

Au cas où un ordinateur réussit à accomplir (a), (b), et (c), là il y aura justification d’être stupéfait.

En réalité, l’ordinateur, quelles que soient ses capacités, n’est qu’un réseau non-pensant—dans le sens méditatif--sans répondant naturel, inculte malgré ses sciences, incapable d’interagir, s’il informe – il ne forme pas ni ne peut éduquer faute d’émotion, de sensibilité et d’affectivité, sans intelligence créative, sans perception sociale ou individuelle et innée. Il a des pouvoirs informatisés sans autonomie.

L’homme (artiste, compositeur, inventeur, scientiste, etc.,) s’est beaucoup inspiré de la nature. Les couleurs d’un peintre, les touches d’un musicien, les mots d’un écrivain—romancier, philosophe, etc.—sont les données d’un programme crée par l’émotion et l’éréthisme qui le lient à la nature. Et c’est le cœur en support à l’esprit et le talent qui sacre et humanise l’œuvre et lui donne une âme. Ne dit-on pas qu’on pense avec le Cœur ? Si l’ordinateur a un cerveau, il n’a pas de cœur ni d’âme : l’ordinateur anatomique, le réseau universel de la race humaine, programmé pour rassembler les vivants, les aider à réaliser des choses pour le bien de la collectivité. En revanche, dépourvus de ces moyens, atouts exclusivement humains, les ordinateurs n’ont pu enrichir la pensée : le patrimoine abstrait de l’humanité. Une de ses grandes faiblesses.

De plus, un grand fossé sépare l’homme de l’ordinateur. L’homme est riche par l’immensité de sa mémoire dont les pièces d’or sont l’histoire, les traditions, l’héritage culturel et l’humanisme. On peut les estimer intrinsèques à son évolution, son vécu dus aux bienfaits ressentis. Or la mémoire de l’ordinateur n’est que des informations téléchargées, une archive bien constituée : un support extrinsèque, temporel, changeant.

Les effets mémoriels diffèrent. La première forme et l’autre informe.

Ce sera incompatible avec notre essence de faire d’un ordinateur, en dépit de ses utilités, un (ou le) modèle d’épistémè (pour citer Foucault) de ce siècle.

Nous sommes d’opinion que si la technologie n’existe pas, la pensée sera transmise—ce qui a été soutenu pendant des siècles—et le progrès continuera sa marche pas au même degré ou à la même vitesse évidemment avec le soutien de trois grâces : la sensibilité, l’affinité et l’humanité, attributs propres à l’homme, qui l’unissent à son semblable, à la nature et à son environnement. Particularités qui désavantagent les ordinateurs.