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Commission des thons de l’océan Indien| Dispositif de concentration de poissons: risque de vagues de contestation

26 avril 2023, 15:00

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Commission des thons de l’océan Indien| Dispositif de concentration de poissons: risque de vagues de contestation

La prochaine réunion de la Commission des thons de l’océan Indien sera particulière. Il n’y a pas de consensus sur la politique d’utilisation des dispositifs de concentration de poissons. Le chemin pour y parvenir serait semé d’embûches.

La prochaine réunion de la Commission des thons de l’océan Indien (CTOI), qui se tiendra du 8 au 12 mai à l’hôtel InterContinental Mauritius Resort, à Balaclava, pourrait être très animée. L’organisation intergouvernementale créée en 1993 vise à assurer la gestion des stocks de thonidés et des pêches dans la région océan Indien. L’élément qui risque de polariser l’attention est la place qu’occupe l’instrument de pêche connu comme dispositif de concentration de poissons (DCP), principalement dans la pêche aux thons.

De quoi s’agit-il ? «Les DCP, indique un communiqué du Government Information Service daté du 10 septembre 2015, sont des structures flottantes qui permettent de fixer les grands pélagiques en un point donné et facilitent leur pêche tout au long de l’année. Ils ont la capacité naturelle d’agréger de nombreuses espèces pélagiques migratoires. Les techniques utilisées pour pêcher autour des DCP sont la palangre verticale, la pêche à la traîne, et la ligne dérivante.» En dépit de ses nombreux avantages et bien qu›adoptée par tous les pays, dont ceux de l’Union européenne (UE), qui pêchent dans l’océan Indien à la recherche du précieux produit qu’est le thon, la capture de poissons avec des DCP fait tiquer en raison des conséquences qu’ils entraînent dans leur sillage.

Parmi ces avantages, on note sa capacité pour accroître et à diversifier les revenus des pêcheurs, vu que ce système entraîne un taux de prise nettement supérieur aux autres systèmes de pêche. Il permet de ne plus se cantonner à l’intérieur du lagon, une situation qui permet aux écosystèmes marins de se régénérer et de relancer la pêche à l’intérieur du lagon pour la prise de poissons frais. On lui prête une autre vertu non négligeable. La possibilité offerte aux pêcheurs de passer moins de temps à chercher du poisson car la concentration permet de les capturer en réduisant les coûts.

Cependant, la pêche à l’aide des DCP a aussi ses revers. Sur la liste des reproches qui lui sont faits, figurent la surpêche et la pollution qu’ils peuvent engendrer dans l’environnement immédiat où ils sont installés. Qui dit surpêche évoque des facteurs comme la diminution du nombre de prises, la disparition de certaines espèces ou encore le risque d’une diminution des stocks qui ont la capacité de se reproduire. Les arguments des défenseurs de la thèse de diminution des stocks ont été confirmés par les résultats d’une étude réalisée par une équipe de chercheurs internationaux et publiée en 2014. Elle conclut «que les stocks de gros poissons (thons, mérous, requins et autres prédateurs supérieurs) ont chuté de deux tiers en un siècle; ce déclin s’accélère: plus de la moitié (54 %) de cette perte de biomasse s’est produite au cours de ces 40 dernières années, soit depuis le début de la pêche industrielle dans les années 1970».

Les risques de pollution dus aux DCP n’ont pas échappé à la vigilance de Greenpeace qui depuis plus de 50 ans défend les droits de la planète pour que les activités d’aujourd’hui ne compromettent pas les droits des futures générations. Dans un article en date du 15 janvier 2015, intitulé «Des dizaines de milliers de débris flottants», Greenpeace explique sa posture par rapport aux DCP : «Les dizaines de milliers de DCP déployés dans les zones tropicales de tous les océans du monde sont de véritables débris marins. Les DCP artificiels utilisés par les thoniers senneurs sont faits de radeaux en bois ou bambou, mais aussi en PVC et plastique. Donc, bien loin d’être biodégradables !»

Plus près de nous, une voix s’est élevée pour dénoncer la situation «catastrophique» de la pêche aux thons dans l’océan Indien. Le leader du Mouvement militant mauricien, Paul Bérenger, dans sa dernière conférence de presse, a consacré beaucoup de temps à en parler. Il a dénoncé avec force les opérateurs des pays de l’UE pour leur utilisation intense des DCP, qui selon lui n’est pas juste à l’origine d’un massacre mais également de la pollution de l’environnement marin que cette activité entraîne dans son sillage. Paul Bérenger les a accusés de participer à l’épuisement des stocks de poissons.

Le leader mauve souhaite une coordination entre Maurice, l’Inde, les Maldives, l’Indonésie, l’Australie, le Sri Lanka et la Malaisie. Approchées, les autorités indiennes n’ont pas souhaité s’exprimer publiquement. Paul Bérenger ne lâche pas prise : il demande la réduction du nombre de DCP dans la région.

Par ailleurs, l’UE n’est pas tout à fait d’accord avec les responsables de la CTOI. Le point de discorde s’articule autour des mesures pour trouver le juste milieu dans l’utilisation des DCP. Elle l’a fait savoir par la voix de Virginijus Sinkevicius, commissaire européen à l’Environnement, aux océans et à la pêche, et plus près de nous, par les responsables de la délégation européenne basée à Maurice. Au fait, l’UE n’est pas d’accord avec la Résolution 23/02 portant sur la gestion des DCP dérivants dans sa zone de compétence.

«La Résolution», avance Charlina Vitcheva, directrice générale des Affaires maritimes et de la pêche, «met en place des dispositions qui soit ne peuvent pas être appliquées en pratique soit, si elles étaient mises en œuvre, entraîneraient un fardeau disproportionné pour les flottilles de senneurs opérant dans la région, sans être étayées par un avis scientifique spécifique. De plus, la façon dont la résolution a été adoptée crée un précédent préoccupant étant donné qu’une décision de gestion capitale a été prise sans avoir épuisé tous les efforts pour parvenir à un consensus et avec l’opposition exprimée par tous les membres de la CTOI pêchant sur DCPD. Nous sommes également découragés par le fait que la CTOI n’ait pas semblé avoir le même niveau d’ambition pour traiter des DCP ancrés. Compte tenu du contexte indiqué ci-dessus, et en conformité avec les positions déjà exprimées par un certain nombre d’autres délégations, l’UE a pris la décision difficile mais nécessaire de présenter une objection à la Résolution CTOI 23/02. Dans le même temps, consciente de la nécessité d’adopter un cadre de gestion robuste pour les DCP, l’UE propose, pour adoption à la 27e Session de la CTOI, une mesure de gestion révisée visant à combler les lacunes identifiées de la Résolution 23/02 et à ouvrir la voie à un consensus sur une nouvelle Résolution qui peut être applicable et qui est fondée sur la science.»

Dans une correspondance à l’express, le bureau de la délégation européenne a été on ne peut plus clair dans son approche : «L’UE regrette profondément que certains membres de la CTOI aient décidé d’abandonner le principe du consensus prévalant à la CTOI et qu’un vote majoritaire ait été demandé pour adopter une mesure de gestion des DCP. Les raisons sont les suivantes : les mesures techniques seront extrêmement préjudiciables à la flotte de l’UE et par conséquent, l’approvisionnement régulier des unités de transformation du poisson dans l’océan Indien sera menacé ; la mesure manque d’une base scientifique solide ; un avis scientifique est un préalable indispensable pour toute mesure de gestion et de préservation des stocks de poissons. L’UE continuera de défendre une approche ambitieuse, réaliste et scientifique concernant la gestion de la pêche et s’engagera de manière constructive et active pour garantir une pêche durable dans la région. À ce titre, l’UE propose de combler le manque de données scientifiques en demandant au comité scientifique de la CTOI de se prononcer, sur le meilleur moment, sur la zone et la modalité pour une fermeture de la pêche sous DCP afin que la mesure de gestion soit la plus bénéfique pour les stocks de thons mais qu’elle permette aussi au secteur thonier national de rester compétitif sur les marchés internationaux par rapport aux autres pays exportateurs de la région.»