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Jocelyn Chan Low: «Avec le présent gouvernement, on a atteint le bas-fond en termes de scandales»

25 avril 2023, 18:00

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Jocelyn Chan Low: «Avec le présent gouvernement, on a atteint le bas-fond en termes de scandales»

Dans l’entretien qui suit, l’historien, politologue et «Associate Professor» nous livre son analyse de la situation qui règne. Jocelyn Chan Low est d’avis que ce gouvernement qui accumule les scandales pourrait même être prêt à voir le pays basculer vers un «Narco State». «Avec plus de 50-60 % des électeurs ne se retrouvant pas dans les partis ‘mainstream’ et ne voyant en même temps rien pointer à l’horizon comme une alternative crédible, au final, Pravind Jugnauth pourrait profiter de la situation.»

Le pays a été marqué par plusieurs scandales ces derniers temps. Quel est votre regard sur la situation actuelle ? 
Depuis l’Indépendance, chaque gouvernement a eu son lot d’allégations de scandales, de maldonnes, de démissions de ministres, entre autres. Mais sous le présent gouvernement, il me semble qu’on ait atteint le bas-fond au vu de la nature et de l’étendue des allégations qui viennent, en outre, en cascades : le naufrage du Wakashio, les scandales de procurement pendant le confinement, l’affaire Kistnen, l’affaire Franklin, la «Stag and Black Label Party» et les terres allouées près de Grand-Bassin où se tenaient des rave parties, et j’en passe. Se dégage ainsi, à tort ou à raison, la perception d’un affairisme éhonté de la part de certains responsables politiques qui, de connivence avec certains de l’establishment, agissent non seulement en tant que prédateurs sur les finances publiques, mais sont même prêts à voir le pays basculer vers un Narco State. 

Vivons-nous une crise sociétale ? 
Oui, la situation est bloquée. L’opposition est inefficace et n’arrive pas à canaliser les ressentiments d’une grande partie de la population vers une alternance crédible. Au contraire, elle offre le spectacle de dirigeants plus soucieux de la lutte des places au sein d’un gouvernement hypothétique à venir que d’un engagement sincère pour résoudre les problèmes – cherté de la vie, prolifération de drogues, insécurité, rétrécissement de la classe moyenne, etc. Et la société civile, qui avait exprimé son mécontentement massivement à travers des marches avec des affluences records, semble résignée, vu les résultats peu probants que de telles actions ont produit face à un gouvernement arrogant et autoritaire qui refuse tout dialogue. D’où la sinistrose ambiante. Ailleurs, dans de telles conditions, il n’a souvent suffi que d’une étincelle pour que tout dégénère. 

Pensez-vous que les élections générales soient pour bientôt ? 
La situation politique est surtout caractérisée par la méfiance, voire l’éloignement, de la majorité des électeurs vis-à-vis des partis traditionnels. Les sondages révèlent que plus de 50 % de l’électorat ne se retrouvent plus dans les partis mainstream. Cependant, ils ne se retrouvent point dans les nouveaux partis extraparlementaires qui, pour la plupart, sont des anciens du système qui tentent de se recycler en «nouveautés». 

Personne n’est dupe. Ce fait nouveau, majeur et inédit dans l’histoire politique de Maurice doit être intégré dans toute analyse de la situation politique du pays. Beaucoup dépendra aussi du jugement du Privy Council dans l’affaire déposée par Suren Dayal. 

Le manque de confiance dans les institutions se fait aussi ressentir… 
C’est tout d’abord en raison des dérives qui ont eu lieu depuis l’Indépendance, résultant surtout des amendements ad hoc apportés par des dirigeants politiques, souvent pour des raisons politiciennes conjoncturelles, à la Constitution de 1968. Ces amendements ont affaibli l’indépendance de certaines institutions clés, telles que la police, en ouvrant la porte à la possibilité de nommer les titulaires sur des contrats à très courte durée mais renouvelables, dépendant de la volonté du Premier ministre. Même le Parlement n’a pas été épargné par de tels tripatouillages avec, par exemple, les changements du mode de désignation du speaker, et l’augmentation du nombre de ministres, ajoutés à la création du poste de PPS, qui fait que l’exécutif détient en lui-même presque une majorité au Parlement. Mais cette perte de confiance est aussi due à la montée du chatwarisme en tant que comportement et idéologie politiques… 

Quelles sont les leçons à tirer ? 
Dans l’histoire de Maurice, il y a eu un changement dans la classe politique à chaque génération. Et, à chaque fois, le nouveau personnel politique était plus au diapason des voeux et des attentes de la population rajeunie. Le personnel politique actuel a fait son temps mais s’accroche désespérément, quitte à être en déphasage complet avec les réalités du moment. Malheureusement, les «nouveaux» sont soit des fakes recyclés, soit n’arrivent pas à se démarquer. D’où la crise systémique de l’offre politique avec plus de 50-60 % des électeurs ne se retrouvant pas dans les partis mainstream mais ne voyant en même temps rien pointer à l’horizon comme une alternative crédible. Il se pourrait qu’au final, Pravind Jugnauth profite de la situation. 

Quels sont vos projets actuels ? 
J’en ai plusieurs mais le plus important c’est la rédaction d’une nouvelle Constitution – A People’s Constitution – au sein d’un groupe d’universitaires et d’anciens parlementaires, qui inclut Jack Bizlall, Alain Laridon, Joseph Tsang Mang Kin, Rajen Narsinghen et Milan Meetarbhan.