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Alain Gordon-Gentil: Maurice, île prison pour juifs et Allemands simultanément

21 février 2023, 18:28

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Alain Gordon-Gentil: Maurice, île prison pour juifs et Allemands simultanément

Durant la Seconde Guerre mondiale, juifs et Allemands ont été prisonniers en même temps à Maurice. Alain Gordon-Gentil revient sur ces temps extrêmement troublés dans son nouveau roman, «Où vont les ombres quand la nuit vient».

Une croix gammée égratignant une étoile de David. Au-dessus, en couverture, pas une question. Mais un frisson irrépressible. Une lancinante affirmation. Où vont les ombres quand la nuit vient. Du royaume des morts – et des symboles – Alain Gordon-Gentil conjure le spectre des camps de concentration. Son nouveau roman, Où vont les ombres quand la nuit vient est paru le 9 février aux Éditions Hervé Chopin. 

Prisons pour prisons. Prisons dans l’île prison. Prisons où l’on pleure des lieux d’enfermement autrement plus atroces : les camps de concentration. L’auteur met en scène un ballet tourbillonnant entre la prison de Beau-Bassin, où des juifs déportés ont été incarcérés de 1940 à 1945, et la prison de Rose-Hill, qui retient des soldats allemands. La courroie de transmission entre les deux cachots : Charles Féline le surintendant des prisons himself, un héros à l’innocence poétique (difficile à porter en milieu carcéral), à l’empathie facile, à l’amitié durable. À l’amour clandestin. 

À partir de ces deux épisodes historiquement véridiques (durant la Seconde Guerre mondiale, Maurice a bien accueilli des détenus juifs et des soldats allemands, l’auteur s’est abondamment documenté), Alain Gordon-Gentil reprend un motif qui lui tient à coeur, à la chair, aux tripes. Ces familles juives en route pour Israël, déportées et incarcérées à Beau-Bassin. Et au-delà d’eux, tous ces juifs pris dans la tourmente de «solution finale».

Ce thème majeur dans l’oeuvre d’Alain Gordon-Gentil revient un peu plus de vingt ans après son roman Le voyage de Delcourt. Paru en 2001, ce voyage au bout de la nuit, jusqu’à la folie, nous menait à la rencontre de Delcourt Chasles, Mauricien tombé amoureux de Marika Lindenbaum, l’une des déportées juives de Beau-Bassin. En 2014, Alain Gordon-Gentil avait adapté Le voyage de Delcourt en pièce de théâtre, intitulée Marika est partie. 

Nous retrouvons ce couple maudit dans Où vont les ombres quand la nuit vient. Nous voyons cette fois leur histoire par le prisme de Charles Féline. Il est l’ami d’enfance de Delcourt. Il est le surintendant de la prison où Marika est retenue. Le style d’Alain Gordon-Gentil joue au caché-dévoilé, aux mains frôlées, aux regards appuyés, aux silences pesants, aux absences étouffantes. 

Charles Féline a des conversations régulières avec Werner Gabrielsky, le patriarche respecté des juifs prisonniers. C’est par le biais de cette relation avec Werner Gabrielsky que Charles Féline a une révélation. Il apprend l’existence – au moment des faits – des camps de concentration. Voilà un sujet qui a fait couler beaucoup d’encre. Pendant la Seconde Guerre mondiale, à quel point civils et militaires des deux camps étaient-ils au courant que le régime nazi éreintait hommes, femmes et enfants au «travail» ? Et les exterminaient par groupes entiers dans des chambres à gaz ? 

Alain Gordon-Gentil tranche. Il refuse l’ignorance. Aucun prétexte face à l’innommable. L’auteur fait passer l’information à travers tous les barreaux. D’abord ceux de la prison des juifs. Puis de la prison des juifs vers la prison des soldats allemands. Entre ces deux enfers – où l’on s’effraie d’un troisième – l’auteur met en scène une trahison. Qui deviendra rédemption.