Publicité

Joseph Maurice Paturau: A man for all seasons

19 novembre 2022, 22:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Joseph Maurice Paturau: A man for all seasons

De temps à autre, au cours d’une une vie émerge un être de lumière, doté d’un profond sens de l’engagement et du devoir et prêt à relever n’importe quel défi qui surgit dans le but de faire avancer l’homme et progresser son pays. Maurice Paturau, plus connu comme Mic, a été l’un de ceux-là. Cet ingénieur mécanique et aéronautique, pilote émérite pour les forces françaises et alliées durant la Deuxième guerre mondiale et maintes fois décoré, ministre de l’Industrie visionnaire à l’ère pré-indépendance puis coordonnateur du Joint Economic Council, a jeté les bases du développement économique de Maurice. Pour montrer toutes les facettes de ce Man for all seasons, sa famille, en collaboration avec l’historien Yvan Martial, publie aux éditions Vizavi un livre sur sa personne intitulé «Maurice Paturau : un homme d’exception», qui sera lancé le 7 décembre prochain.

Le premier Paturau, de descendance française, à fouler le sol mauricien le 3 juillet 1853 c’est André, le grand-père de Maurice Paturau, ingénieur de formation, qui fonde d’abord la société Rousset-Paturau commercialisant des machines et de l’outillage pour les sucreries.  Une fusion subséquente entre plusieurs ateliers aboutira à la création de la firme Paturau, Fontaine et Smith. André Paturau a quatre enfants et Fernand, son cadet, naît à Port-Louis, et poursuit l’œuvre de son père. Il épouse Marthe de Sornay qui lui donne huit enfants dont Maurice, qui est le benjamin.  Ils vivent dans la maison coloniale familiale à St Pierre baptisée Coin de France. Les Paturau restent attachés à la mère patrie de leur grand-père. Et durant la Première guerre mondiale, Fernand Paturau envoie des colis alimentaires pour les militaires.

Maurice Paturau naît le 23 avril 1916 à Coin de France. Après ses études primaires au Lorette de St Pierre, il est admis au Collège du St Esprit. Boursier du gouvernement, il termine son cycle secondaire au collège Royal de Curepipe et sort second à l’examen final. Il excelle aussi en sport.

Il part pour Londres étudier l’ingénierie à l’Imperial College. Il opte pour l’ingénierie mécanique et l’ingénierie aéronautique, obtenant ces diplômes avec un First Class honours. Lorsqu’il termine, il a 23 ans et prend des cours de pilotage d’avion civil à Paris et obtient son brevet de pilote civil de premier degré.

La Deuxième guerre mondiale s’étant déclarée, avec sa nationalité française, il s’engage comme élève-officier et est posté sur la base aérienne de Bordeaux-Mérignac. En 1940, il est démobilisé à la suite de l’armistice signé par Pétain avec les Allemands. 

Maurice Paturau qui a le grade de sous-lieutenant, veut combattre pour la France libre du général de Gaulle. Il rejoint Londres et se fait enrôler dans les Forces aériennes françaises libres en Syrie en tant que navigateur du Groupe de réserve de bombardement numéro 1 plus connu comme le Groupe Lorraine. Le général Henri de Rancourt qui commande le Groupe Lorraine voit en lui un meneur d’hommes et lui confie de périlleuses missions de sabotage en Libye et en France occupée. Il les mène toutes à bien.  

Ses filles Françoise et Catherine avec la couverture du livre.

Nommé capitaine et jouissant du respect de ses pairs et de ses supérieurs, il est blessé en 1943. Mais repart en mission dès qu’il va mieux. A la fin de la guerre, il a réussi 76 missions. Ses qualités de leader, sa bravoure et ses faits d’arme sont récompensés par des citations de l’armée et l’attribution de médailles les unes plus prestigieuses que les autres : Commandeur de la Légion d’honneur, Commandeur de l’Ordre national du mérite, la Croix de Guerre avec palmes, le Distinguished Flying Cross et Commandeur de l’Empire britannique.

Sur la guerre, plus tard, il dira ceci : «Oui, nous devons nous mêler de choses qui ne nous regardent pas lorsqu’il s’agit d’une cause qui nous paraît juste. Nous devons toujours nous ingérer quand l’humanitaire l’exige

Il lui tarde de servir son pays et de relever d’autres défis. Nommé directeur des Forges Tardieu, il épouse Claude Lagesse qui lui donne trois enfants, Catherine, Françoise et Jean-Maurice.  Il encourage les sucriers à moderniser leurs équipements et à augmenter la production sucrière. Tout comme il suggère au conseil d’administration d’admettre les employés qui pratiquent la bonne gouvernance et travaillent dur et propose la mise sur pied d’un plan de pension pour les employés.

En 1960, les cyclones Alix et Carol ravagent l’île, prenant des vies et compromettant la production sucrière par plus de la moitié. Sous son impulsion, Forges Tardieu prend part à la reconstruction. La même année, il réussit à négocier le démantèlement de la sucrerie de Labourdonnais à Mapou et sa réimplantation à Hippo Valley en Rhodésie, à la satisfaction de toutes les parties concernées.

En juin 1962, le gouverneur anglais sir Colville Deverell le nomme ministre du Commerce, de l’industrie et des communications extérieures. Le portefeuille du Tourisme vient s’y greffer. Il démissionne comme directeur des Forges Tardieu. Lors de son premier discours au Conseil législatif, il rappelle les priorités du moment : trouver de nouveaux créneaux économiques pour générer l‘emploi, augmenter la production agricole avec la création d’un Agricultural Marketing Board, mettre sur pied un organisme pour planifier et évaluer les projets, offrir des stages de formation professionnelle aux ouvriers et ne pas négliger la bagasse comme sous-produit pour l’ébénisterie sur le marché mondial. Le Dr Seewoosagur Ramgoolam est impressionné par la pertinence de ses propos et par son éloquence.  

Un an plus tard, Maurice Paturau se voit confier de nouvelles attributions, notamment élaborer une stratégie de développement industriel, une politique commerciale, développer le tourisme qui ne comportait que deux hôtels au Morne et à La Cambuse, de même que l’aviation civile, le port, le Central Electricity Board, s’occuper de l’enregistrement des permis commerciaux et industriels. Comme il a un regard neuf sur l’économie, Maurice Paturau accepte toutes ces responsabilités sans broncher et va s’en acquitter de façon irréprochable.

En 1964, lorsque les parlementaires sont divisés par rapport à l’institution d’une université à Maurice, lui y est favorable car il est conscient que toute nation court à sa perte si elle ne possède pas un enseignement universitaire et des programmes de formation calqués sur les besoins futurs de la fragile économie mauricienne. Il veut aussi faciliter la création d’industries locales comme le savon SAIL, les engrais et fertilisants du MCFI, l’huile comestible MOROIL ou la margarine MIL. C’est lui qui encourage José Poncini à mettre sur pied Micro-Jewels, usine de perçage de pierres semi-précieuses pour l’horlogerie suisse. Il plaide pour une meilleure évaluation des problèmes politiques et économiques et pour le rejet des clivages ethniques et communautaristes, suppliant ses pairs de ne pas se laisser aveugler par eux.

Infatigable, il participe à de nombreuses conférences à l’étranger notamment celle du General Agreement on Tarif and Trade, fait réduire la taxe de sortie sur le sucre de 5 % à 1 %, préconise un certificat de développement pour les industries prioritaires avec à la clé des exemptions fiscales pour ne pas drainer l’épargne locale et l’exode. Maurice Paturau ne comprend pas la lenteur avec laquelle se développe l’industrie du thé  qui emploie 20 000 personnes. Il est persuadé qu’un Mauricien majeur est voué à un bel avenir à condition qu’il travaille avec acharnement et que le pays soit bien gouverné.

Il participe en tant que ministre du Tourisme à la Nuit du Séga au Morne en octobre 1964 et aide Amédée Maingard à rehausser le niveau des hôtels au Morne, participe à la création d’Air Mauritius. Maurice Paturau fait partie des 28 personnes participant à la dernière conférence constitutionnelle de Lancaster House à Londres où son rôle est de défendre l’avenir économique du pays. Quand il est question d’indépendance, il rejette l’idée de listes électorales séparées. Il participe aux discussions sur la question des Chagos, qui scellent le sort de Diego Garcia. Mais tenu par un devoir de réserve, il ne peut rien dire. Un secret qu’il gardera jusqu’à sa mort. En 1965, l’express le désigne Mauricien de l’Année.

De par ses prises de position qui récusent le clientélisme politique, il sait que son mandat n’ira pas au-delà des législatives d’août 1967. Lors de sa dernière intervention, il déplore que les mensonges prennent le dessus de la vérité à dire au peuple et la partisannerie grandissante au Conseil. Il met les politiciens en garde contre les solutions faciles. «Laisser croire au résultat facile sans la dure nécessité du travail constant et acharné, c’est accepter rapidement le nivellement par le bas, la stagnation et bientôt la dégringolade.»

Il rêve d’un pays équilibré qui compense son étroitesse territoriale par des industries agricoles et manufacturières efficaces,  par un port franc international et attractif, avec une monnaie stable, un pays qui redevienne la clé et l’étoile de la mer des Indes, la perle de l’océan Indien. Le gouvernement d’alors ayant une vision autre, il quitte le Conseil régional et la politique le 20 juin 1967.

Après un passage à la Chambre d’Agriculture et à la direction d’Ireland Fraser,  il accepte de coordonner puis présider le Joint Economic Committee afin que le secteur privé dialogue d’une seule voix avec le gouvernement.  Même s’il prône le développement économique, les petites gens ne sont jamais loin dans son esprit car il évoque notamment un plan national de pension pour les retraités. Il salue l’idée de Benoît Arouff de transformer l’île en zone franche industrielle avec des exemptions pour les investisseurs étrangers. Il pressent que le protocole sucre ne va pas durer et estime que Maurice doit sans cesse repenser ses objectifs industriels et d’exportation.

Lorsqu’il se retire en 1994 après 22 ans à la tête du JEC, Maurice Paturau a dialogué avec tous les gouvernements qui se sont succédés, avec en ligne de mire assurer le meilleur développement économique possible pour la population mauricienne. Il laisse derrière lui des interviews de presse, plusieurs livres, des rapports sur l’économie, et des contributions dans le magazine PROSI de l’industrie sucrière.

Dans l’intimité, il s’avère un mari et un père aimant et attentionné, un ami et confident, qui fait ses enfants découvrir les joies simples de la vie et qui les incite à lire et à se cultiver inlassablement. Quand Maurice Paturau décède, il reçoit une pluie d’éloges dont de Rundheersingh Bheenick qu’il a connu lorsque celui-ci était au ministère du Plan et qui dit de lui qu’on ne fait plus d’hommes du calibre de Maurice Paturau.

Il serait réducteur de tenter de résumer Maurice Paturau. Pour prendre la pleine mesure de cet homme exceptionnel, il vaut mieux consulter le livre car il recèle non seulement de témoignages intimes et professionnels mais retrace aussi et sans langue de bois un pan de l’histoire de l’île, aujourd’hui révolu.