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Visite guidée: les larmes de Laval, natif et gardien de l’île Mouchoir Rouge

19 août 2020, 15:00

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Visite guidée: les larmes de Laval, natif et gardien de l’île Mouchoir Rouge

Rendez-vous est pris à la mi-journée, mercredi, à la Pointe-des-Régates, au front de mer de Mahébourg. Plus précisément au pied du monument commémorant la bataille navale d’août 1810, dans la baie de Grand-Port, entre les Français et les Britanniques. C’est aussi là, comme son nom l’indique, que le départ des traditionnelles régates du village est donné. Sauf qu’aujourd’hui, l’heure n’est pas aux célébrations.

Laval Bangard, 68 ans, fringant père de Marie Laure, Alexandra, Géraldine et Didier, nous y attend à côté de Trésor, sa pirogue rouge. Aussi rouge vif que le toit de l’emblématique campement et celui de sa dépendance, posés gracieusement sur l’île en face du front de mer. L’île Mouchoir Rouge. Cet attrait indissociable des cartes postales faisant l’apologie de Mahébourg s’est retrouvé ceinturé d’une marée noire après le déversement, dans la mer, de 1 000 tonnes métriques (TM) des quelque 4 000 TM d’hydrocarbures du vraquier naufragé, le MVWakashio. Sur le front de mer, l’odeur rébarbative du fioul monte toujours à la tête. Cela, en dépit du masque-Covid-19, collé au nez. 

Laval Bangard, pêcheur et gardien de son état, qui est né, a grandi et habite toujours une dépendance sur Mouchoir Rouge, nous embarque à bord du Trésor, pour un constat du cauchemar qu’il vit éveillé depuis exactement une semaine. 

Celui qui a été au service des propriétaires successifs du campement, dont l’actuel depuis 15 ans, l’homme d’affaires Jean-Raymond Boulle, n’a de cesse de répéter. «Enn move katastrof sekinn arive. Mwena 68 tan ek zame monn trouv enn zafer koumsa.» 

Dès notre arrivée à Mouchoir Rouge, le décor est planté sur la jetée. Quatre chiens, dont Bouba, un griffon de couleur blanche, les quatre pattes toujours maculées de mazout, viennent accueillir leur maître. Cinq barils tachetés de fioul témoignent des dégâts. Notre hôte confie que 15 barriques de ce genre, remplies, ont quitté Mouchoir Rouge depuis le week-end, après le début du nettoyage. La visite entre les arbres fleuris peut commencer. Laval Bangard nous conduit directement à l’arrière de l’île. L’odeur infecte ne nous lâche pas. 

Devant nous, en avant-plan d’un chapelet d’îles du Sud Est à l’horizon, c’est la désolation. Des palétuviers plantés par nul autre que Laval Bangard pour contrer l’érosion, sont souillés d’huile lourde. Les rochers noirs, contrastant d’habitude avec la mer turquoise autour, tout comme le muret en pierres bordant l’arrière de l’île, sont englués de cette marée noire. 

«Regardez. Comment va-t-on retirer tout ça ? Tou krab karkasayy inn mor», nous montre Laval Bangard. 

Pourtant, Laval Bangard raconte avoir été informé aussitôt qu’une brèche calamiteuse dans le flanc du MV Wakashio a commencé à répandre de l’huile lourde dans la mer. 

«Un ami qui travaillait à bord, m’a téléphoné pour me demander de prendre mes précautions. Quelles précautions ?! À ce moment-là, il n’y avait ni boudin ni bouée», fustige, en colère, notre interlocuteur. 

En un rien de temps, le fioul a littéralement enveloppé Mouchoir Rouge, charriant son odeur incom modante. Au point où l’épouse de Laval Bangard a été contrainte de rejoindre la terre ferme. 

Notre hôte est convaincu : si dès le départ, au moment où la proue du bateau s’est retrouvée sur la barrière de corail, on avait essayé de le dégager de là, rien de tout cela ne se serait produit. 

D’ailleurs, il a été parmi les premiers riverains à s’être approchés de près du vraquier, tôt le dimanche matin du 26 juillet, au lendemain de l’échouement. 

La poupe du bateau, dit-il, pointait alors vers l’horizon. «Latet bato ti dan brizan. Bato la ti pe kraz koray parski pena disab derier brizan. Sa mem li ti pe fer enn delo blan ki ti dessann ziska derier Aigrettes.» Pour lui, c’était l’indication pour connaître la direction vers laquelle tirait le courant. 

Pour le Mahébourgeois, qui pendant ses sorties de pêche en mer, a jeté ses lignes jusqu’à Poste Lafayette, les autorités «inn gagnn tro traka Blue-Bay et de son parc marin ek inn tro tarde. Ti pou kapav tir bato la avek de, trwa remorker». 

Toujours selon Laval Bangard, le cauchemar est loin d’être fini. «Vers la fin de la semaine prochaine, il y aura la grande marée, qui succédera à la marée kartier. La mer se remplira et les conditions en mer empireront en cas de mauvais temps», indique notre interlocuteur, tracassé. 

Fort de son expérience d’homme de la mer, il affirme que le MV Wakashio, dont la poupe est désormais posée «non sur le sable mais sur des coraux», se cassera lorsque «so latet (NdlR : l’extrémité de la proue qu’on voit en l’air) tomb dans delo». Ce qui, dit-il, peut se produire avec la grande marée. 

Par ailleurs, tout le fioul pompé ou pas, le résident de Mouchoir Rouge est clair. «Kapav tir tou deluil me sa la sal masinn lamem li kouma enn lizinn. Dan bwat vites ek dan langrenaz tou sa delwil la pou kontign sorti pou tomb deor ek avek mare haute la semenn prosenn, zafer pa pou bon».

Les légendes de l’île

<p>D&rsquo;où l&rsquo;île Mouchoir Rouge tient-elle son nom ? Laval Bangard raconte qu&rsquo;auparavant, l&rsquo;île s&rsquo;appelait l&rsquo;île aux Hangars. <em>&laquo;Il y a beaucoup de légendes. Ce que je sais c&rsquo;est qu&rsquo;en période de guerre, des militaires campaient dans deux hangars qu&rsquo;il y avait ici&raquo;.&nbsp;</em></p>

<p>Il poursuit en disant qu&rsquo;à la base, cette île a été comblée et un muret en rochers érigé à l&rsquo;arrière. Toujours selon le natif de Mouchoir Rouge, le premier propriétaire était un M. Adam.&nbsp;</p>

<p><em>&laquo;Mon père a travaillé pour lui. Puis, il y a eu un M. Pousson, qui n&rsquo;a pas fait longtemps ici. À son départ pour l&rsquo;étranger, peu après l&rsquo;Indépendance, c&rsquo;est la doctoresse Maigrot qui a pris le relais. D&rsquo;ailleurs, Mme Maigrot m&rsquo;a appelé hier pour prendre des nouvelles après ce qui s&rsquo;est passé avec le bateau&raquo;,</em> témoigne Laval Bangard.&nbsp;</p>

<p>La doctoresse y a résidé 40 ans. Chaque lundi, son employé la conduisait en pirogue jusqu&rsquo;au front de mer où elle prenait alors sa voiture pour Curepipe avant de regagner l&rsquo;île chaque week-end. Depuis 2005, Jean-Raymond Boulle est le patron des lieux. <em>&laquo;Avec son épouse, qui est écologiste, le couple prend bien soin de l&rsquo;île&raquo;</em>, fait-il valoir.&nbsp;</p>

<p>Ce dernier raconte aussi comment avec ses parents, ses trois frères et deux soeurs, ils ont failli y rester durant le passage du cyclone Carole le 28 février 1960<em>. &laquo;Nounn manke mor. Mo ser ti ena enn pretandan. Se li kinn pran bato vinn sov nou ek nou ti al kasiet kot M. Vitry&raquo;.&nbsp;</em></p>

<p>Avant Laval Bangard et son épouse, ce sont les parents du pêcheur qui s&rsquo;occupaient de l&rsquo;entretien du campement et de l&rsquo;île. Quant à Gabriel Bangard, le grand-père du pêcheur, il était en période de guerre celui chargé d&rsquo;allumer le phare sur l&rsquo;île aux Fouquets, aussi appelée l&rsquo;île au Phare, en face de Mouchoir Rouge au loin. &laquo;<em>À l&rsquo;époque, il n&rsquo;y avait pas de moteur. Il devait transporter du carburant à bord d&rsquo;un bateau à voile&raquo;</em>, atteste, un brin nostalgique, son petit-fils.</p>