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La novlangue des médias

10 mai 2020, 11:29

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La novlangue des médias

Les médias ont ce pouvoir de créer ou mettre à l’ordre du jour des mots ou expressions. Ainsi, depuis deux mois, on entend et on lit « distanciation sociale », « gestes barrières », « social distancing », « déconfinement » chaque jour, alors que ces termes étaient peu ou pas utilisés. Nous prenons ici ces exemples issus de l’actualité, mais il faudrait faire un dictionnaire pour relever tous les mots et expressions mis en place ces dernières décennies, et cela dans de nombreux pays, et donc, plusieurs langues. C’est impressionnant. Et lorsque des mots sont utilisés assez rapidement après leur (ré)apparition, cela montre un certain pouvoir des organes qui les produisent, en l’occurrence les médias. Et cela provoque souvent une certaine étrangeté, voire parfois un léger agacement, d’entendre ces mots des médias prononcés de manière robotique. On peut en sourire, mais ce pouvoir est si fort qu’on ne se rend plus compte de sa réalité. On peut dire que les organes de presse et les médias, se prenant eux-mêmes au jeu, élaborent, d’une certaine manière, une novlangue.

C’est ainsi que le génial George Orwell avait compris que pour arriver à un totalitarisme efficace, le pouvoir en place devait créer une nouvelle langue (Orwell utilise le mot « newspeak », traduit plus tard en français par « novlangue ») et supprimer des mots de l’ancienne. Cela suppose que les mots créent la pensée, ou du moins que la pensée se trouve dans les mots, et nulle part ailleurs. C’est en parlant que nous pensons, et non le contraire. La langue n’exprime pas notre pensée, elle l’élabore, la construit, la peaufine. Qu’elle soit discursive, poétique, rationnelle, affective, c’est la langue, et le langage corporel, qui façonne notre manière de voir, notre manière de dire. Sans langue, il n’y a pas de pensée. Penser, c’est dire. Et dire, c’est faire. C’est façonner, mettre au jour, rendre audible, donner à voir, matérialiser la pensée en train de se faire, réaliser le dire en pensée. Bien entendu, il ne s’agit pas ici de comparer les médias au totalitarisme de « 1984 » de George Orwell, mais de nous sensibiliser sur la production langagière des médias qui façonnent notre monde, souvent à notre insu.