Publicité

Vidur Ramdin: «Le Mauricien regarde l’Afrique avec de la supériorité, il a tort»

29 mars 2019, 12:15

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Vidur Ramdin: «Le Mauricien regarde l’Afrique avec de la supériorité, il a tort»

1. Le Mauricien confond souvent le Niger et le Nigeria. Pourquoi cela ?
C'est comme si on demandait la différence entre la Suisse et la France. Déjà, ce n'est définitivement pas le même pays. Les deux sont en Afrique de l’Ouest, mais sur la carte, le Nigeria est «sous» le Niger. Le Nigeria, avec la plus grande population d’Afrique, a accès à la mer tandis que le Niger est complètement dans les terres. La langue officielle au Niger est le français. Au Nigeria, l’anglais est la langue officielle, sauf dans les zones rurales, où ils utilisent un des 521 dialectes locaux.

Les Mauriciens confondent les deux pays car le Niger est moins connu. Le pays est modeste, avec un développement économique moyen de 5 %. Au Nigeria, l’économie est suffisamment importante pour être comparée à celle de l’Afrique du Sud. Le Nigeria a des terres fertiles et riches alors que le Niger est un pays sahélien, entouré du désert. Cependant, les deux pays combattent les insurrections et les mouvements djihadistes au Sahel, la région frontalière du Sahara au sud.

2. Ayant travaillé dans 14 pays africains, que trouvez-vous de commun entre ces pays ?
Il est impossible de parler de l’Afrique comme «seule et unique». Il ne serait pas non plus réaliste de dire que ce qui est vrai au Niger s’applique également à l’Afrique du Sud, par exemple. Cependant, en travaillant dans les différents pays et étant en communication constante avec les Africains, vous pouvez certainement conclure à des similitudes, mais les défis sont surmontés grâce à ce qui rend l’Afrique si différente, ses habitants. Je me suis fait des amis en Afrique et pas seulement pour les affaires. Le point commun est qu’ils ont le sens du respect mutuel. Dans cette région du monde en plein essor, l'argent est partout, mais ce n'est pas le seul aspect des affaires et vous devez le comprendre rapidement si vous voulez durer en Afrique.

3. Les liens d’amitié sont donc importants, dites-vous.
Rien ne remplacera une poignée de main au centre-ville de Kinshasa avec votre partenaire local ou le fait de partager un plat local dans les marchés de Dakar avec votre personnel, parler football pendant des heures, se plaindre de tout et convenir que ce n’est finalement pas si mal, en faisant des achats dans les magasins locaux des quartiers difficiles de Lomé devant une foule intriguée. Ce qui fait la différence, c’est d’être soi-même et non expatrié en mission. Vous gagnerez le respect, vous ferez l’expérience de la véritable Afrique, ou du moins une partie de celle-ci et vous vous ferez des amis pour la vie.

«Affirmer que Maurice fait partie du continent africain ne suffit pas : rien chez le Mauricien ne le démontre.»

L’Afrique regorge de difficultés et de problèmes, mais plus d’un milliard de personnes y mènent une vie normale, se réveillent tôt pour aller au travail, rient, pleurent, se plaignent de leurs dirigeants et du coût de la vie et dépensent de l’argent pour des choses dont ils n’ont pas besoin, comme vous et moi.

4. Seriez-vous d’accord qu'en parlant de l’Afrique et de notre petite île Maurice, nous nous emmêlons souvent les pinceaux ?
Effectivement. Personne, à mon avis, ne peut prétendre connaître l’Afrique, car ce continent n’est pas monolithique, du Maghreb jusqu’à l’Afrique du Sud, en passant par l’Afrique subsaharienne. Mais, s’agissant des Mauriciens, on en est resté à des clichés ou à des informations très superficielles. Venir affirmer à tout bout de champ que Maurice fait partie du continent africain ne suffit pas : rien chez le Mauricien ne le démontre, en revanche on a les yeux constamment rivés sur l’Europe. En fait, nous regardons l’Afrique avec une pincée de mépris et de supériorité. Mais nous avons tort, car les Indiens et les Chinois, eux, ont compris que l’avenir c'est l’Afrique.

5. Quels conseils donneriez-vous aux potentiels investisseurs mauriciens en Afrique ?
Cet optimisme que l’Afrique a retrouvé est corrélé au retour de la croissance sur le continent : de 2,2 % en 2016 à 3,6 % en 2017 et elle devrait atteindre 4 % en 2018 et 2019 d’après les projections de la Banque africaine de développement (BAD). Nous disposons de quatre atouts pour aborder positivement le marché africain : notre expérience des affaires, notre niveau d’éducation, notre bilinguisme et notre culture de persévérance au travail.

En ce moment, l’Afrique a un marché d’environ un milliard d’individus. Les opportunités dans l’industrie alimentaire sont diverses ; la transformation du maïs, le tournesol, le soja, le poisson et les fruits de mer, les jus de fruits, le secteur des boissons alcoolisées, les thés spéciaux et l’industrie du fertilisant.

Je citerai aussi la possibilité de partenariats et de consortiums dans le secteur énergétique avec la fabrication de panneaux photovoltaïques et celle du bioéthanol et du biocarburant. Il y a également le secteur du tourisme, les Tic, les services financiers et légaux, la santé et l’assurance.

6. Il y a un mais ?
L’eldorado africain peut aussi être un cauchemar pour les investisseurs qui ne s’y sont pas préparés. Ils peuvent rencontrer des déceptions et des défis. Ces réalités existent. Le plus gros obstacle que peuvent rencontrer en Afrique nos PME est l’accès aux marchés pour lesquels il y a une insuffisance d’informations. L’intervention du gouvernement mauricien est déterminante, comme le sont les gouvernements indien et chinois, qui sont présents en Afrique comme ils ne l’ont jamais été auparavant.

7. Vous favoriserez quel pays et pourquoi ?
Il est de plus en plus facile de faire des affaires en Afrique subsaharienne. Les pays de la région ont maintenu leur dynamique de mise en œuvre de réformes destinées à améliorer l'environnement des affaires, selon l’édition 2018 du Doing Business. Il y a le Malawi par exemple, qui donne des facilités pour l’obtention de prêts, les emprunteurs peuvent consulter leurs dossiers en ligne sur la création d'entreprises. Il y a aussi l'introduction de timbres fiscaux électroniques ayant accéléré l'enregistrement des documents. Les autorités de ce pays ont également introduit un système douanier automatisé pour faciliter les échanges transfrontaliers entre autres. Avec une économie qui bouge vite et les réformes entreprises durant les cinq dernières années, je pense que le Malawi est un Eldorado pour les investisseurs.

8. L’instabilité politique en Afrique est-elle à craindre pour les touristes ou potentiels investisseurs ?
L’investissement en Afrique est prometteur. Maintenant, la réalité économique et politique complexe de l'Afrique, des marchés africains moins connus, les cultures et traditions qui se mélangent avec les affaires, ne vont pas décourager les investisseurs. Bien au contraire, ces derniers envisagent de s'y engager plus fortement et misent sur l'innovation.

Malgré la baisse prolongée des prix des matières premières, la confiance des investisseurs est quasiment intacte. En 2018, 98 % des investisseurs se disaient optimistes pour les cinq années à venir. L'émergence de la classe moyenne, l’amélioration du climat des affaires, le dynamisme démographique et la diversification économique engrangée récemment dans certains pays, comme l'Angola, sont autant de facteurs ayant valorisé les flux privés en direction du continent. On constate de plus en plus d'investissements en provenance d'Asie ou du Moyen-Orient. La grande gagnant de cette course est la Chine. En 2018, l'empire du Milieu est en effet devenu le principal contributeur du continent.

9. Afrique, continent émergent, est-ce également votre constat ?
Le monde entier a les yeux rivés sur l'Afrique. Lieu de toutes les ambitions et convoitises des gouvernements et des institutions financières mondiales. Selon l'étude d'EY, Africa attractiveness survey, les opportunités d'affaires en Afrique seraient considérées comme les quatrièmes plus attrayantes dans le monde. Les Africains représentent aujourd'hui 16 % de la population mondiale et ce taux devrait s’élever à 25 % en 2050. Cette spectaculaire croissance démographique sera un réel challenge pour les gouvernements tant sur le plan économique qu'éducatif.

L'économie africaine compte se structurer autour d'une classe moyenne stable et en perpétuelle croissance. À titre d'exemple, la BAD constate que la classe moyenne a bondi de 60 % entre 2000 et 2010. Aujourd'hui, l'organisation estime que 34 % de la population africaine appartient à la classe moyenne et projette que celle-ci représentera 42 % d’ici à 2060.

10.Comment Maurice peut-elle envisager une stratégie en Afrique ?
Il faut commencer par deux initiatives, d’abord mettre sur pied une agence d’informations et d’investissements à Maurice, ensuite ouvrir des consulats dans certaines capitales africaines. Cette agence devrait être constituée d’une équipe de consultants, d’hommes d’affaires, mais aussi de diplomates chevronnés. Quant aux consulats, il faut qu’ils soient constitués de personnes compétentes, maîtrisant les réalités africaines. L’agence et les consulats seraient les principaux pôles de notre stratégie d’investissements en Afrique. Je ne vois nulle autre façon de réaliser nos ambitions en Afrique.

11. Que pensez-vous de la présence grandissante de la Chine et de l’Inde en Afrique ?
Cela fait plus d’une dizaine d’années qu’ils y sont, les Indiens un peu plus longtemps, datant de l’épisode de leur expulsion d’Ouganda. Mais ces deux pays ont compris qu’il faut d’abord poser les pieds en Afrique, se frotter à la culture africaine, à ses coutumes avant de gagner sa confiance, non pas en conquérants, mais en partenaires respectés de tout projet de développement. Cet état d’esprit est essentiel, les Africains du XXe siècle n’étant plus ces colonisés qui se laissent séduire par de belles et vagues promesses où, finalement, ils n’obtiennent que des miettes.

Les Africains connaissent les atouts de leurs terres et ils veulent un win-win situation. La plupart des pays africains connaissent une croissance à double chiffres, ce qui fait d’eux le marché le plus prometteur au monde. Dès lors, on comprend le sens de la visite du président chinois, Xi Jinping, en Afrique. Au Niger, je vois les Indiens et les Chinois parler les langues locales, ils travaillent au sein de la population et cette proximité leur sert pour réaliser les ambitions de leurs pays respectifs.