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Jean Georges Prosper: «L’histoire n’a pas fini de régler mon compte»

27 décembre 2016, 13:49

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Jean Georges Prosper: «L’histoire n’a pas fini de régler mon compte»

Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas en mars que nous sommes allés à la rencontre de Jean Georges Prosper, écrivain et auteur de l’hymne national. Il a été le premier directeur du centre Nelson Mandela pour la culture africaine. Alors que l’institution vient de fêter ses 30 ans, Jean Georges Prosper n’a pas que des compliments à lui faire.

Vous clamez que c’est vous qui avez choisi le nom de Nelson Mandela pour le centre culturel. Pourquoi lui?
Pour les autres, leurs noms ne s’écrivent pas de la même façon. Vérifiez (sourire ironique). Nelson Mandela est le plus grand. J’ai écrit un livre sur lui. Je vais le relire et puis je vous dirai.

Le centre culturel vient de fêter ses 30 ans d’existence. Quel regard jetez-vous sur cette institution?
Elle n’a pas tenu ses promesses jusqu’ici. Je le regrette. Nous avions élaboré un programme des plus prometteurs, avec le ministre de tutelle de l’époque (NdlR : Armoogum Parsuramen). Qui défend les auteurs mauriciens? Leurs noms importent peu. C’est ce qu’ils ont dit de l’île Maurice qui compte. On ne donne pas la même importance à la littérature qu’aux autres domaines.

Êtes-vous conscient d’être entré dans l’histoire de votre vivant?
Je suis conscient d’une chose : je continue à vivre pour accéder à la survie. Une survie qui honore mon pays avant tout.

Mais êtes-vous conscient d’être dans l’histoire?
C’est l’histoire qui m’ignore jusqu’ici.

Que vous doit-elle?
Elle me le dira avec le temps. Elle n’a pas fini de régler mon compte (sourire). Elle est très exigeante, toujours à vouloir que je donne le meilleur de moi. Nous avions de bons professeurs, dont Pierre Georges Télescourt. Au collège Royal de Port-Louis, j’étais boursier des écoles primaires. Cela compte. Cela vous ouvre l’esprit. L’important, c’est de ne pas avoir vécu pour rien.

Vous avez écrit la biographie de Télescourt.
Dans ce livre, j’ai mis les éléments qui permettent d’affronter la vie, sur le plan de la réflexion. (Il feuillette le livre. Lit à haute voix : «éducation, culture, poésie, spiritualité, humanisme») Il nous a permis de comprendre que tout cela va de pair.

Avez-vous eu une belle vie?
C’est une excellente question. Vous avez un peu la réponse dans tous ces ouvrages (il a étalé une dizaine de ses livres sur la table de la salle à manger). Les débuts ont été très difficiles. Il a fallu beaucoup lutter, surtout sur le plan intellectuel. On ne finit pas de lire.

Que lisez-vous en ce moment?
(ironique) Je lis vos écrits.

Que lisez-vous en ce moment?
Il y en a tellement.

Êtes-vous de ceux qui lisent plusieurs livres en même temps?
Il y a une trentaine d’années oui (sourire).

C’est quoi le futur pour vous?
Il a déjà commencé. La lutte, c’est de ne pas se laisser dépasser par les événements qui s’accumulent tellement. Il y a une chose inévitable que je dois vous confesser. On n’y échappe pas, c’est l’âge. Ce que l’on prépare, c’est la survie. Ici-bas, ce n’est que l’expérience de la vie, pour atteindre la survie. Mais je vous en parlerais après, quand j’y arriverais (sourire). Il faut mériter cette survie, c’est très haut placé. Quand on parle de Dieu, on dit toujours qu’il est au ciel.

Êtes-vous croyant?
(Temps de réflexion) Je crois qu’il faut croire. D’abord en soi-même. Ensuite dans ce que la vie exige de vous.

Revenons aux débuts difficiles. Cela a commencé par Aubépine, votre premier recueil.
Cela a commencé par les épines (sourire). Le point culminant a été le doctorat ès lettres en Sorbonne, à Paris, avec une mention très honorable. J’y ai même enseigné.

C’est l’une de vos plus grandes fiertés?
Non, je n’y pense pas. Il y a tant de choses qu’il reste à acquérir. Le pire dans tout cela, c’est que tout change. Il faut prendre le temps de devancer le temps, sinon on est dépassé. C’est ce qu’il y a de plus terrible dans la vie.

Que faites-vous pour ne pas être dépassé?
J’étudie les événements. Je ne les laisse pas s’échapper sans que j’en fasse ma sève quotidienne.

Vous suivez la politique?
J’ai été candidat aux élections. J’étais travailliste, j’ai lutté pour l’indépendance du pays, avec Chacha Ramgoolam. Après, je suis resté longtemps en France. Je viens de rentrer. (NdlR : depuis juin 2015). On ne vous l’a pas dit probablement (il prend le ton de la confidence). J’ai écrit les paroles de l’hymne national.

Vous dites que vous étiez travailliste. Est-ce que vous ne l’êtes plus?
(Temps de réflexion) Je ne suis plus engagé politiquement. Je vois les choses sur le plan philosophique. J’admire tous ceux qui luttent pour leur pays, d’un côté comme de l’autre.

Qu’avez-vous accompli pendant toutes ces années en France?
Un doctorat en Sorbonne avec la mention très honorable, commandeur des Palmes académiques. Je vous laisse imaginer ce qu’il faut pour atteindre cela. J’ai eu la bourse française en 1968, avec l’indépendance. Je suis parti la même année. Il y a un peu de sorcellerie aussi dedans (sourire). Non, laissez-moi mettre cela en d’autres mots.

Un peu d’occulte?
C’est cela.

Vous y croyez?
Qu’on y croit ou pas, cela existe.

Vous composez avec?
C’est sûr. À partir du moment où on prend la voie intellectuelle, on devient un étudiant, un auteur engagé.

Vous considérez-vous comme un auteur engagé?
On ne vous l’a pas dit (il chuchote), j’ai écrit l’hymne national de l’île Maurice.

Est-ce que cela fait de vous un auteur engagé?
Excusez-moi, au suprême degré. J’ai commencé à l’âge de deux ans. Avec mon ardoise, je me suis engagé dans l’écriture. Et puis, il y a eu les livres. J’avais un père... c’était le père fouettard. Il nous frappait à genou sur des graines de filaos (sourire). Des coups de rotin sur le dos.

Cela a servi?
J’ai dû passer des examens pour éviter cela. C’était l’époque qui le voulait. Tous les parents voulaient que les enfants arrivent dans la vie. À chaque fois que je passais un examen, c’était mon père qui réussissait. On le félicitait pour son poulain. J’étais le cheval qu’il menait à l’écurie. L’époque nous obligeait à réussir.

Que faisait votre père dans la vie?
Il était dans la police, figurez-vous. Il est devenu sergent. Cela a compliqué encore les choses. En dehors de cela, il m’a bien élevé. Il ne me privait pas, sauf de mes heures de sommeil, parce qu’on ne finissait pas d’étudier. C’était l’époque qui le voulait. Pour avoir la bourse primaire, j’étais sorti cinquième. C’est Kenneth Noyau qui était premier, Cyril Leckning troisième. (Il feuillette l’un de ses livres et nous montre la photo de son professeur. Il tombe sur la photo de sa correspondante danoise) Elle avait 14 ans et moi 17. À l’époque, la correspondance de plume comptait beaucoup. J’étais forcé d’écrire en anglais. Vous savez, quand vous avez une correspondante, votre espoir, c’est de la rencontrer un jour.

Vous y êtes arrivé?
Vous savez après combien d’années? Quand elle a su que je travaillais à l’ambassade de Maurice en France, c’est elle qui est venue. Elle m’a fait une grande surprise, 60 ans après. (Il continue de feuilleter le livre, nous montre une photo d’eux. Puis celle d’une de ses collaboratrices.) Vous savez entre mille choses que j’ignore, c’est taper à la machine. Maintenant, il n’y a plus de machine qui veut taper mes écrits (sourire).

Que faisiez-vous à l’ambassade de Maurice en France?
Je faisais marcher l’ambassade.

Pourtant, ce n’était pas vous l’ambassadeur.
Presque. J’étais conseiller culturel, je publiais mes livres.

Avez-vous publié les livres d’autres personnes aussi?
(Hésitation) Je parle de ces personnes-là. J’étais président de l’association des écrivains mauriciens, à l’époque de Camille de Rauville. Nous avons fondé l’Académie mauricienne, avec Marcel Cabon. Aujourd’hui, les immortels ont disparu. C’est vieux tout ça.

À partir de quand êtes-vous employé à l’ambassade à plein temps?
En 1972, je rentre au pays. J’avais eu la maitrise et j’étais inscrit pour le doctorat. Je me revois au ministère de l’Éducation. Le ministre me connaissait bien. Il m’attendait même. J’ai été nommé directeur du centre culturel africain. J’ai fait des va-et-vient entre Maurice et la France chaque fois que j’avais à présenter quelque chose. Je ne sais plus compter, il y a tellement d’années qui sont passées.

On vous a reproché de trop aimer la France.
Je suis humain. Je suis un écrivain de langue française, cela veut dire qu’il faut avoir un capital de vocabulaire et de références en termes de grands auteurs. Il faut les lire et les lire et être lu par eux en retour (sourire).

Vous les rencontrerez dans la survie?
Je ne sais pas s’ils vont me reconnaître. Parce que j’aurais vieilli. Après 80 ans, j’aurais 100 ans bientôt. Le temps passe vite. J’ai 83 ans. Je ne m’en rendais pas compte. Il y a tellement de postes que j’ai occupés. Et puis le Premier ministre (NdlR : Navin Ramgoolam) m’a nommé à l’ambassade de Maurice en France. J’avais 75 ans. Il m’a dit qu’on avait besoin de mon expérience. Il y a un livre que le ministère m’a demandé de faire pour les étudiants. Je faisais de la biologie au collège. En découpant des animaux, je voulais être médecin, mais c’est tellement compliqué. Tout cela est passé très vite. Maintenant, il faut être réaliste avant tout.