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Chauves-souris fusillées : pleins feux sur la polémique

15 novembre 2015, 08:53

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Chauves-souris fusillées : pleins feux sur la polémique

Le mouvement de contestation autour de la campagne d’abattage des chauves-souris s’amplifie. Les défenseurs de la cause animale montrent les crocs. La presse internationale sort les griffes. Les planteurs crient victoire. Les autorités, elles, campent sur leur position alors que des experts étrangers ont fait le déplacement chez nous en fin de semaine pour un constat. Tour d’horizon.

 

Combien sont-elles ?

 

Les chauves-souris seraient au nombre de 90 000 selon les autorités. La Mauritius Wildlife Foundation (MWF), elle, avance le chiffre de 50 000 et rappelle que les Pteropus niger sont une espèce endémique. «On les appelle les Flying Foxes. Ces chauves-souris voyagent beaucoup. Comme aucune méthode scientifique n’a été utilisée pour le comptage, il est évident qu’il y a un double, voire triple counting, et cela a donné le chiffre de 90 000», lâche Vikash Tatayah, Conservation Director au sein de la MWF.

 

L’International Union for Conservation of Nature (IUCN) se montre aussi sceptique par rapport aux chiffres avancés par le ministère. Du coup, vendredi, l’IUCN a dépêché le Dr Tigga Kingston, spécialiste des chauves-souris, à Maurice, pour dresser un bilan. «Le recensement n’a pas été fait de manière scientifique. Il serait souhaitable que le gouvernement procède à cet exercice de base avant d’aller plus loin», souligne l’experte. Et d’ajouter que les résultats après cette campagne d’abattage seront difficilement mesurables.

 

Il est prévu qu’environ 18 000 de ces mammifères soient abattus par des officiers de la Special Mobile Force. L’opération, qui a démarré il y a une semaine, devrait durer encore trois semaines.

 

Des «nuisances» protégées…

 

Le ministre de l’Agro-industrie, Mahen Seeruttun, tenant une pancarte énumérant les espèces protégées, dont notre chauve-souris.

 

Nos Flying Foxes sont une espèce protégée, concède le ministre de l’Agro-industrie, Mahen Seeruttun. Mais «elles sont devenues des nuisances à cause de leur nombre. D’où la campagne d’abattage». Et d’ajouter : «Nous ne faisons que réguler la population, notre intention n’est pas de les exterminer !» «Encore heureux !» rétorquent les défenseurs de la cause animale. De toute façon, renchérit Vikash Tatayah, la reproduction chez les chauves souris obéit à la loi du plus fort. Pendant les grands cyclones, par exemple, 60 à 80 % de ces mammifères périssent et seuls les plus robustes survivent. Cette sélection naturelle donne alors naissance à des petits plus «résistants».

 

L’abattage, explique-t-il, ne prendra pas en considération cet aspect. «De plus, si le ministère parvient à ses fins, la population de chiroptères sera de nouveau en danger lors du prochain cyclone.» Ainsi, entre les 18 000 chauves-souris qui seront abattues, les milliers d’autres qui sont tuées illégalement et encore les centaines qui meurent sur les fils électriques, la population risque de décliner rapidement.

 

Autre controverse : le début de l’été coïncide avec la période de reproduction. Selon Meera Appadoo, représentante de la Pan African Animal Welfare Alliance, le ministère a décidé d’abattre 20 % de la population, mais c’est sans compter les bébés chauvessouris orphelins qui seront laissés à l’abandon dans la nature. Ils vont vers une mort certaine, ajoute-t-elle.

 

De plus, «les officiers de la SMF ne sont pas formés pour ce genre d’opération. Il y aura donc certainement des chauves-souris qui seront blessées. Est-ce qu’on les laissera agoniser ?»

 

Les répercussions sur l’écosystème

 

Les chauves-souris sont les seuls mammifères capables de transporter le pollen et les grosses graines sur de longues distances. Leur contribution à l’équilibre de l’écosystème est donc primordiale. Elles sont aussi insectivores. Certaines peuvent manger jusqu’à deux fois leur poids quotidiennement. «Il y aura plus d’insectes et l’on devra utiliser encore plus de pesticides», prévient Meera Appadoo.

 

Les alternatives possibles

 

Interrogés sur les méthodes alternatives que l’on pourrait utiliser pour contrôler la population de chauves-souris, les experts de l’IUCN et la MWF expliquent que seuls les filets sont efficaces à 100 %. «Ils sont subventionnés, certes. Mais encore faut-il que les personnes concernées sachent les placer correctement», fait valoir Vikash Tatayah. Le filet protège également les récoltes contre les rats et les oiseaux qui sont responsables de 20 % des dégâts dans les vergers, selon les experts.

 

Par ailleurs, il est aussi conseillé d’élaguer les arbres, les chauves-souris ne s’attaquant qu’aux fruits qui se trouvent à une certaine hauteur. La culture d’arbres fruitiers nains est également conseillée. Mais ce ne sont là que des solutions à court terme, fait ressortir Meera Appadoo. Pour régler le problème, il faut restaurer les forêts endémiques de l’île. Car c’est à cause de la destruction de leur habitat naturel que les chauves-souris ont peu à peu investi les milieux rural et urbain.

 

«Une étude a été menée par l’IUCN sur la migration des chauves-souris. Il a été constaté qu’elles restent confinées dans les forêts. Elles en sortent uniquement lorsque la surface en est diminuée.» Aucune méthode de régulation externe n’est requise. De plus, contrairement aux autres mammifères, les chauves-souris ont un rythme de reproduction très lent. Une femelle a un petit après une période de gestation de six mois. Ensuite, elle s’en occupe pendant quatre autres mois, temps requis pour que le petit soit autonome. Qu’en est-il de la stérilisation ? Il n’y a pas eu d’étude sur ce volet en ce qui concerne les chauves-souris, concèdent les experts.

 

Les commentaires pleuvent

 

 

Le Washington Post a été parmi les premiers médias étrangers à évoquer la polémique entourant la campagne d’abattage. En parlant d’un «grim warning to the world — and to the island of Mauritius, in particular — of the dangers of the unsustainable killing of wildlife». Le très sérieux National Geographic n’y est pas allé de main morte non plus, comparant nos chauves-souris à du «flying liquid gold». Le site TripAdvisor n’est pas en reste. Depuis que l’opération a débuté, les internautes mauriciens et étrangers s’insurgent contre cette campagne, allant même jusqu’à traiter le gouvernement de «barbare». «Après les chiens, les chauves-souris. What a sad country», «what a nation and what a lousy government». Nombreux sont les touristes, également, qui ont décidé de boycotter la destination. «I for one, as much as I love the place. I am looking for an alternative destination», dit un Américain parmi les centaines de commentaires négatifs. Plusieurs pages ont aussi été créées sur Facebook pour soutenir les chauves-souris, dont Save the Bats.

 

Les planteurs ont eu le dernier mot

 

Cela fait au moins trois ans que les propriétaires des vergers et planteurs de fruits réclamaient des mesures pour protéger leurs récoltes. Et, cette année, le gouvernement a entendu leur cri de détresse. «Nous saluons cette décision. J’aurais aimé que cette campagne d’abattage soit plus agressive», confie Rajen Pokhen qui s’occupe, en compagnie d’une dizaine d’autres personnes, d’un verger s’étalant sur une superficie de 25 perches à Arsenal.

 

Le ministre de l’Agro-industrie a, en outre, pu compter sur le soutien de l’opposition pour mener à bien cette opération. Rajesh Bhagwan, du MMM, avait adressé des questions à ce propos au Parlement, lors des débats sur le «Native Terrestrial Biodiversity and National Parks Bill».

 

Le mystère demeure

 

Hormis les tireurs choisis pour cette opération, leurs supérieurs hiérarchiques ainsi que quelques officiers du ministère de l’Agro-industrie et le ministre, personne d’autre ne sait précisément à l’avance où, quand, comment et dans quelles conditions se déroule cette opération. Quid du nombre de chauves-souris abattues ? Bien que les informations qui nous proviennent parlent d’une centaine chaque jour (soit moins d’un millier jusqu’ici), d’autres sources concordantes évoquent le chiffre de 6 000.

 

Parmi les endroits choisis, il y aurait la forêt de Daruty, celles de Congomah, Crève-Coeur, et la chasse à Les Mariannes, entre autres. Les heures d’abattage : entre 6 heures du matin et 18 heures. Des cartouches, calibre 12 mm, seraient utilisées. Quoi qu’il en soit, l’on saura, en décembre, si toute cette campagne a porté ses fruits…

 

Bruce,le petit orphelin

 

 

Il n’a que quelques semaines et commence à peine à manger de la purée de fruits. Lui, c’est Bruce – clin d’oeil à Bruce Wayne, alias Batman –, une chauve-souris recueillie par l’ONG Paws il y a 11 jours. La présidente de l’organisation, Moira Van Der Westhuizen, passionnée par les animaux, l’a immédiatement prise sous son aile. C’est le vétérinaire qui oeuvre pour l’ONG, le Dr Dyllan de Beer, et sa fiancée Annico, qui s’en occupent actuellement, chez eux, à Péreybère, le bébé chauve-souris ayant besoin de soins intensifs.

 

L’abattage des chauves-souris a fait de nombreux orphelins. Comme Bruce, les bébés chauves-souris restent agrippés à leurs mamans. Lorsque celle-ci est abattue par balle, il se peut que le bébé, lui, parvienne à avoir la vie sauve, non sans avoir été blessé. C’est le cas du petit Bruce. Blessé par la même balle qui a tué sa maman, il a été ramené chez Paws. C’est ce que laisse entendre Moira Van Der Westhuizen. «Bruce a eu les doigts amputés. Nous ne savons toujours pas s’il sera un jour capable de voler», laisse-t-elle entendre. Et d’ajouter que bien qu’elle n’ait jamais touché une chauve-souris auparavant, elle est immédiatement tombée sous le charme du petit orphelin. «C’est un petit être tellement attachant. Il adore les câlins», dit-elle.

 

Pour le Dr Dyllan De Beer, qui a déjà traité des chauves-souris en Afrique du Sud, les bébés chauves-souris sont des animaux très affectueux. Bruce est toujours nourri au biberon et commence tout juste à développer sa personnalité. «Il y a de très bonnes chances qu’il puisse un jour voler. Nous essayerons de le réhabiliter et le relâcher», indique-t-il. Toutefois, Moira Van Der Westhuizen souligne qu’elle a l’intention de créer une ferme pour animaux où Bruce pourra être accueilli s’il ne peut pas voler.

 

Malgré les mythes et les superstitions qui entourent les chauves-souris, le Dr Dyllan de Beer indique qu’il n’ont rien de mystérieux. «Les chauves-souris de Maurice sont principalement frugivores. Et elles n’ont pas la rage», dit-il. A-t-il l’intention d’en sauver d’autres victimes de ce massacre ? «Oui j’en sauverai un millier s’il le faut, j’en sauverai autant que je peux. Ce sont des êtres vivants, en plus ils sont en danger.» Sur les réseaux sociaux également, on apprend que des Mauriciens ont recueilli des bébés chauves-souris toujours en vie…