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PIB et croissance: notre gâteau national rétrécit-il ?

30 novembre 2022, 22:00

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PIB et croissance: notre gâteau national rétrécit-il ?

Les chiffres de la discorde, les prévisions du ministre des Finances concernant le pourcentage de la croissance économique du pays et la valeur du PIB pour 2022 ne convainquent pas. En effet, selon les chiffres avancés par Renganaden Padayachy lors du sommet de l’investissement de Juristconsult la semaine dernière, nous devrions finir l’année avec un taux de croissance de 7,2 % en 2022 et une valeur du PIB qui devrait dépasser la barre des Rs 550 milliards. Or, ce n’est pas la valeur de ces pourcentages et ces chiffres qui posent problème, c’est plutôt l’interprétation qu’elle peut encourager, soit un retour de la bonne performance économique. Certes, nous sommes sur la pente d’une reprise économique, mais entre perception voulue et réalité, la situation reste difficile. Ce constat, il est important que chaque citoyen le comprenne et adapte ses attentes, ses habitudes de dépenses et d’épargne en conséquence, surtout dans cette période inflationniste et à la veille de l’exercice déterminant la compensation salariale.

Intéressons-nous donc à cette valeur avancée du PIB, soit la valeur de ce que produit l’économie locale, pour 2022. Il est à savoir que Statistics Mauritius ou encore le rapport MCB Focus, par exemple, s’intéressent au PIB nominal, c’est-à-dire la valeur du PIB incluant les effets de l’inflation dans la valeur de la production. À titre illustratif, les revenus générés par l’État à travers la taxe sur divers produits de consommation augmentent avec les effets de l’inflation. Statistics Mauritius prévoit dans son dernier rapport National Accounts, que le PIB devrait atteindre Rs 550,9 milliards en 2022, contre Rs 480,7 milliards en 2021, Rs 448,6 milliards en 2020 et Rs 512,1 milliards en 2019.

Dans cette valeur du PIB, soit la valeur de ce gâteau national, on y retrouve les dépenses de consommation qui contribuent à hauteur de 89 % au PIB en 2022, avec un montant de Rs 451,3 milliards en 2019 contre Rs 489,8 milliards en 2022. On le sait, Covid-19, conflit russo-ukrainien et facteurs locaux obligent, l’inflation a drastiquement augmenté entre 2019 et 2022. L’on peut donc conclure que la valeur du PIB inclut l’impact de cette inflation. Selon les analystes, en terme réel, c’est-à-dire excluant les effets de l’inflation, le PIB en 2022 devrait donc afficher 95 % de sa valeur de 2019 en roupie et 85 % de sa valeur de 2019 en dollars.

«La réalité est que nous sommes encore dans ce précipice et la remontée est la responsabilité de tout un chacun.»

Dans le même élan, il serait donc pertinent de mettre en exergue les prévisions du dernier rapport MCB focus, où l’on peut voir que la valeur en dollars du PIB par habitant, donc la valeur de cette part du gâteau national par habitant, diminue. Elle se chiffrait à USD 11 361 en 2019 et devrait s’établir à USD 9687 en 2022. «Pour avoir une bonne compréhension de notre performance, il nous faut en effet nous intéresser à la valeur du PIB par habitant en dollars, car ne l’oublions pas, Maurice est un net importer et quasiment toutes nos transactions se font en devises étrangères, surtout en dollars. On ne peut pas non plus comparer nos taux de croissance à ceux de 2019, ce serait comparer l’incomparable. Nous pouvons comparer le taux de croissance de 2018 et 2019 car l’environnement économique n’était pas si différent. Mais, il est impossible de comparer 2022 à 2019, car il y a eu une contraction économique entre ces années», dit l’économiste Pierre Dinan.

Dans le même argumentaire, il faut aussi, selon lui, mettre en perspective que la valeur du PIB en 2019 et celui de 2022 n’est encore une fois pas comparable, car la valeur de la roupie n’est pas la même dans les deux cas. «Donc au final, notre situation économique est évidemment inférieure à la performance de 2019, pour toutes les raisons que nous connaissons déjà. La réalité est que nous sommes encore dans ce précipice et la remontée est la responsabilité de tout un chacun.»

En effet, passant de USD 14,4 milliards en 2019, notre PIB est tombé à une valeur nominale d’environ USD 11,5 milliards en 2020 si l’on considère un taux de change moyen de Rs 39,13 pour le dollar, suivant les rafles de la pandémie. Par la suite, en 2021, si nous considérons un taux de change moyen de Rs 41,4 pour le dollar, le PIB représentait USD 11,6 milliards en 2021 et devrait s’établir à USD 12,4 milliards en 2022, si nous considérons un taux de change moyen de Rs 44,9 pour le dollar en 2022 (period average october 2021 to october 2022). Donc, nous le voyons, oui il y a une reprise économique, mais toujours en dessous de notre performance de 2019.

Autres facteurs importants à considérer dans la performance de l’économie, on retrouve évidemment le déficit de la balance commerciale, c’est-à-dire ce que nous dépensons en importation vis-à-vis de nos recettes d’exportations, avec les derniers chiffres de Statistics Mauritius qui pointent vers un déficit de Rs 200 milliards pour 2022 avec une note d’importation de Rs 300 milliards contre des recettes d’exportation de Rs 100 milliards. Aussi, de janvier à septembre 2022, le déficit de la balance commerciale affichait déjà Rs 140,1 milliards. On a vu les effets sur la disponibilité de devises sur le marché, avec 73,9 % de nos importations se faisant en dollars de janvier à septembre et 61,8 % de nos exportations se faisant en dollars au courant de la même période. En outre, le déficit du compte courant devrait afficher 14,4 % en 2022 selon MCB Focus contre 13,2 % en 2021, 8,8 % en 2020 et 5 % en 2019. La dette n’est pas en reste, représentant 94,3 % du PIB en septembre 2021, selon la banque centrale.

Donc finalement, la prudence de toute part reste de mise. L’État devrait revoir ses priorités en termes de dépenses et garder la lutte contre l’inflation au centre des décisions. De même, le secteur privé devrait travailler à soutenir cet élan de relance, surtout après les aides publiques dont ils ont bénéficié pendant le Covid-19, aides ayant aussi contribué à l’excès de liquidité sur le marché, et donc à l’inflation. La responsabilité citoyenne n’est pas en reste, cette tendance à la surconsommation doit ralentir, car plus la demande se maintiendra, plus il sera difficile de réduire la pression inflationniste. Donc, si nous voulons aider de manière constructive dans ce combat pour le pouvoir d’achat des Mauriciens, nous y avons tous un rôle à jouer.